Président : des prérogatives élargies
Le projet limite la durée du mandat du président de la République à quatre ans et lui interdit plus de deux mandats successifs. Pourtant, il annule le texte rendant obligatoire la nomination d’un vice-président, voté par les Egyptiens lors du référendum de mars 2011. Réparties dans une vingtaine d’articles, les prérogatives du chef de l’Etat restent très larges, même si la forme change en exigeant que les décisions du président soient approuvées par le Parlement ou à la suite d’un référendum. Le président nomme le chef du gouvernement (139) et déclare l’état d’urgence (148).
Il a le droit de dissoudre le Parlement (127-139) et de promulguer des décrets ayant force de loi (131). Il est le commandant suprême des Forces armées (146). Il élabore les politiques de l’Etat (140) et conclut les traités et les accords avec les pays étrangers (145). Le projet ignore le jugement du chef d’Etat pour corruption politique. Son jugement ne peut avoir lieu qu’en cas de criminalité et de haute trahison, mais le texte ne définit pas cette dernière. L’acte d’accusation doit être présenté par le tiers des députés de l’Assemblée du peuple et approuvé par les deux tiers et non plus par le procureur général. Le projet transgresse le pouvoir judiciaire en accordant au chef d’Etat le droit d’amnistie ou de réduction d’une peine (149). L’article 150 permet au président de convoquer les électeurs à un référendum sur des questions importantes concernant le pays, sans préciser la nature de ces questions.
Le Conseil consultatif, une citadelle
L’article 131 accorde des prérogatives supplémentaires au Conseil consultatif ; cet article octroie à cette Chambre le droit d’exercer seule le pouvoir législatif en cas de dissolution de l’Assemblée du peuple. L’article a été ajouté lors des derniers débats sous prétexte de « récupérer » le pouvoir législatif au président de la République. En réalité, l’article vise en premier lieu à empêcher la dissolution par la justice de cette Chambre haute du Parlement où les islamistes occupent la majorité des sièges. Le texte neutralise les recours présentés contre la composition du Conseil consultatif devant la Haute Cour constitutionnelle.
L’article 202 donne au Conseil consultatif d’autres prérogatives, dont celle d’approuver la nomination par le président de la République des chefs des organismes de contrôle. Ces chefs ne peuvent pas être suspendus de leurs fonctions qu’avec l’approbation de la majorité du Conseil. Un texte qui est en contradiction avec les prérogatives de ces organismes chargés de contrôler les dépenses de l’argent public, y compris celles du Conseil consultatif.
La Cour constitutionnelle, des juges en moins
La Haute Cour constitutionnelle, qui a émis des verdicts contre le gré de la confrérie, est visée dans l’article 179. « La Haute Cour constitutionnelle est formée d’un président et de dix membres. La loi définit les autorités, judiciaires ou autres, chargées de les nommer et détermine les conditions et la méthode de leur nomination ». L’article réduit ainsi le nombre de magistrats membres de la Cour de 19 à 11. L’article 233 stipule que les 8 juges en plus de la cour actuelle sont les plus jeunes et exige « leur retour à leurs instances judiciaires d’origine d’où ils ont été sélectionnés avant de rejoindre la Cour constitutionnelle ». Ainsi le président peut se débarrasser de ces forts ennemis de la cour, Tahani Al-Guébali et Hatem Bégato.
Le jugement des civils devant les tribunaux militaires maintenu
Un article interdisant le jugement des civils devant les tribunaux militaires a été annulé à la dernière minute. L’article 198 relatif aux tribunaux militaires permet de « traduire les civils devant la justice militaire pour les crimes portant atteinte aux forces armées, lesquels seront définis par la loi ». L’article maintient intact le droit donné aux militaires de juger des civils sous le code de la justice militaire qui a longuement servi d’outil de répression contre l’opposition. L’article donne aux juges militaires, nommés par le ministre de la Défense, les mêmes droits et la même immunité que les juges normaux.
Détention et torture autorisées
Le texte dans le chapitre II sur les Droits et Libertés prévoit des garanties de base contre la détention arbitraire (article 35) et contre la torture ainsi que les traitements inhumains (article 36). Pourtant, il n’incrimine pas totalement l’usage de la torture. En effet, l’article 36 stipule que « un citoyen arrêté ou emprisonné (...) doit être traité d’une manière qui protège sa dignité. Il ne doit pas être intimidé, faire l’objet de contraintes ou être blessé physiquement ou psychologiquement ». Le code pénal limite, de son côté, l’usage de la torture à la torture physique et dans les cas où les suspects ont été officiellement accusés. De plus, la nouvelle version n’interdit plus clairement la diffamation des détenus dans les médias.
Liberté de la presse : mains ligotées
L’article 48 sur la presse ne protège pas la liberté de celle-ci. Non seulement il n’empêche pas l’emprisonnement des journalistes mais en plus il ne reconnaît pas la presse en tant que « pouvoir populaire indépendant ». Il permet la fermeture et la suspension des journaux sur verdict de justice, alors que la loi 147 de l’année 2006 l’avait interdit après des années de lutte par les journalistes pour acquérir ce droit. L’article souligne que la presse doit respecter les « exigences de la sécurité nationale ». Des termes ambigus et vagues.
L’accès à l’information, des restrictions « voilées »
L’article 47 menace sérieusement le droit d’accéder à l’information. Bien qu’il stipule littéralement, contrairement à la Constitution de 1971, que « la liberté d’accès à l’information, aux données, aux statistiques, et aux documentations est un droit garanti par l’Etat au citoyen », il met des conditions strictes à l’exercice de ce droit. Cet accès ne doit pas entre autres s’opposer à « la sécurité nationale ».
Mineurs : enfance perdue
Ils représentent 38 % de la population et ils n’ont pas le droit de dire « non » à cette Constitution qui ignore leurs droits les plus élémentaires. Les enfants sont quasi absents de cette Constitution. Seul l’article 70 aborde les droits de l’enfant. Il garantit aux mineurs le droit à « un nom, aux soins familiaux, à la nutrition de base, au logement, aux services de santé et religieux et à la protection en cas de disparition de sa famille ». Le texte a pourtant omis de définir l’âge limite de l’enfance négligeant ainsi la Convention internationale des droits de l’enfant, qui considère comme mineure toute personne de moins de 18 ans. L’objectif est de rendre légal le mariage précoce des filles. Il n’y a aucun règlement se rapportant au travail des enfants et leur protection contre les risques de l’emploi. L’article 70 interdit l’emploi des enfants dans des tâches « non adéquates » jusqu’à l’âge de scolarité obligatoire, c’est-à-dire jusqu’à 15 ans. Il légalise ainsi le travail des mineurs. Le texte autorise aussi la détention des enfants pendant une durée déterminée.
Statut de la femme, le retour en arrière
Aucun progrès en ce qui a trait aux droits de la femme. Bien au contraire, c’est un recul qui s’opère par rapport à la Constitution de 1971. L’article 33 interdit la discrimination et stipule que « tous les citoyens sont égaux devant la loi. Ils ont les mêmes droits et devoirs publics », les femmes ne sont pas explicitement mentionnées. Pire, la formule « sans distinction basée sur le genre », qui faisait partie de l’ébauche précédente et qui était aussi mentionnée dans l’ancienne Constitution, a été supprimée à la dernière minute avant le vote final. L’absence de référence à la discrimination sur la base du genre est perçue par plusieurs comme une insistance sur le fait de ne pas fournir une protection constitutionnelle aux droits des femmes. Le droit de la femme est mentionné seulement dans l’article 10, mais seulement dans sa position de mère. Selon cet article, « l’Etat doit fournir des services gratuits pour la maternité et l’enfance, et veiller à l’équilibre entre les obligations des femmes à l’égard de leurs familles et leur travail ».
La charia : les islamistes crient victoire
Si le coup de force des salafistes pour tenter de remplacer la formule « principes de la charia », dans l’article 2 par « préceptes de la charia » n’a pas abouti, laissant l’ancien texte intact, un nouvel article 219 apparaît et est considéré comme une sorte d’amendement de l’article 2.
Il présente une explication des « principes de la charia » qui, selon le texte, englobent « les règles fondamentales et la jurisprudence des doctrines sunnites ». Selon les juristes, cet article mettra le législateur dans un état de confusion et peut faire l’objet d’une multitude d’interprétations due à la différence entre les doctrines islamiques. Egalement, il suscite la crainte d’une intervention des islamistes dans le droit pénal.
Al-Azhar : un rôle politique
L’article 4 donne à l’institution sunnite d’Al-Azhar la tâche d’interpréter la charia. Il stipule que « l’opinion du conseil d’Al-Azhar doit être prise pour les affaires concernant la charia ». Le mot « affaires » est vague qui peut aller au-delà d’une simple opinion. Il pourrait donner à cette institution religieuse un droit de regard sur les lois. Et celles-ci ne seraient mises en vigueur qu’après leur adoption par le Conseil des hauts érudits d’Al-Azhar, nommés par le président .
Lien court: