Tout commence par une vidéo qui apparaît via le fil
Twitter d’un site soutenant les djihadistes de l’Etat Islamique (EI). On y voit des citoyens coptes, vêtus de combinaisons oranges, comme celles des otages exécutés ces derniers mois en Syrie, alignés sur une plage, les mains menottées dans le dos. Au nombre de 21, ils avaient été enlevés en décembre et janvier par l’EI à Syrte en Libye.
Des hommes cagoulés, vêtus de noir et armés de couteaux leur demandent de se mettre à genoux. Puis, dans une scène effroyable, ils procèdent à leur décapitation. Avant les exécutions, un terroriste de l’EI cagoulé et brandissant son couteau crie en anglais: « Vous nous avez vu sur les collines de grande Syrie et sur les plaines de Dabiq coupant les têtes de ceux qui ont porté les croix pendant longtemps et qui avaient plein de haine pour l’islam et les musulmans.
Ô les Croisés, votre sécurité ne sera qu’un vain espoir. Nous vous combattrons jusqu’à ce que la guerre soit terminée et que Jésus, paix sur lui, descende sur terre ». L’homme conclut en faisant référence à Ossama bin Laden : « Nous jurons par Allah de remplir la mer dans laquelle vous avez caché cheikh Ossama avec votre sang ». Nouvelle opération de propagande? La vidéo a créé le choc en Egypte.
Et la riposte égyptienne à cet acte pour le moins barbare ne s’est pas fait attendre. La télévision d’Etat interrompt ses émissions et diffuse une brève allocution du président Abdel-Fattah Al-Sissi. « L’Egypte se réserve le droit de répliquer », martèle le président. Il convoque d’urgence le Conseil national de défense et jure de « punir les assassins». Sissi ordonne en outre l’évacuation immédiate des Egyptiens qui résident en Libye et qui souhaitent rentrer chez eux. Quelques minutes après le discours présidentiel, un communiqué de l’armée au ton solennel annonce le lancement de frappes aériennes « sur les positions ennemies pour venger le sang égyptien ». Un deuil de 7 jours est décrété.
Riposte impérative
Pour la première fois depuis 1973, l’Egypte est en état de guerre. Les avions de chasse égyptiens effectuent dès lundi à l’aube 8 sorties en concertation avec l’armée de l’air libyenne et frappent des positions de l’EI dans les régions de Bab Chiha, Dafech et Al-Chaeri à l’intérieur du territoire libyen. L’aviation libyenne a frappé, elle, d’autres cibles dans les régions de Syrte et de Bin Jawad.
La riposte égyptienne était impérative. « L’objectif de ce massacre est clair. C’est un message adressé à l’Egypte mais aussi à d’autres pays. Il s’agit de créer une fracture sur la scène égyptienne interne », explique une source militaire sous couvert de l’anonymat. Et d’ajouter que le commandement égyptien était préparé à une escalade avec les extrémistes en Libye.
« Il y a des concertations avec des pays arabes comme les Emirats arabes unis et la Jordanie pour contrer le danger djihadiste », ajoute la source. Une soixantaine de combattants de l’EI sont morts dans les raids, selon les sources militaires.
« Ces frappes hors d’Egypte sont une réaction naturelle. La guerre a été imposée à l’Egypte. Nous ne l’avons jamais cherchée. Après ce massacre, il fallait une action pour préserver la dignité de l’Egypte, adresser un message fort à l’opinion publique égyptienne, et venger les Egyptiens morts en Libye.
Nous voulons montrer que nous menons nous-mêmes la bataille contre le terrorisme et avec nos armes», précise une source des services de renseignement, sous couvert d’anonymat. Elle explique que l’Egypte s’est pendant longtemps contentée de protéger ses frontières lorsque celles-ci étaient menacées, grâce notamment à l’aide des satellites russes et au déploiement d’un grand nombre de policiers et de troupes aux frontières. « Mais avec un tel massacre, l’Egypte ne pouvait pas rester inactive », ajoute la source. Le président Abdel-Fattah Al-Sissi s’est rendu à la cathédrale Saint-Marc au Caire, siège de l’Eglise copte, pour présenter ses condoléances au pape Tawadros II.
Les autorités égyptiennes n’excluent toutefois pas des représailles de la part de l’EI. « Le commandement égyptien est conscient que l’EI peut s’en prendre des Egyptiens résidents en Libye ou lancer des opérations à l’intérieur ou à l’extérieur du Sinaï. Nous savons que la lutte contre le terrorisme prendra beaucoup de temps et qu’il y aura un prix à payer. Nous devons assimiler le prochain coup de la part de cette organisation terroriste et en même temps avoir un plan d’action sur le long terme aux niveaux politique et populaire, et aussi celui des renseignements. L’EI pourrait en effet changer de tactique et pourrait nous surprendre avec des actes que nous ne sommes pas prêts à affronter ».
« Stratégie basée sur le chaos »
L’Etat islamique avait affirmé avoir enlevé les 21 coptes en représailles à « l’enlèvement en Egypte de femmes converties à l’islam par l’Eglise copte orthodoxe ». L’EI, qui opère principalement en Iraq et en Syrie, est réputé pour ses exactions, rapts et exécutions. Depuis la destitution de l’ancien président islamiste Mohamad Morsi, les combattants de l’EI soutiennent les groupuscules djihadistes égyptiens dans le Sinaï. Et, profitant du vide sécuritaire depuis la chute de Qadhafi, le groupe s’est aussi installé en Libye. « Les combattants de l’EI sont venus d’Iraq, de Syrie et du Mali avec l’objectif de fonder un Etat islamique. La stratégie du groupe est basée sur le chaos et le sectarisme. En Syrie et en Iraq, l’EI a également tué des chrétiens et des non-musulmans », affirme le politologue Ahmad Ban. Selon lui, les coptes sont particulièrement visés par les groupes extrémistes en Libye car ils ont soutenu la révolution du 30 juin et la chute de Morsi.
Les attaques terroristes contre les coptes en Libye avaient commencé dès février 2014, lorsque les corps de 7 chrétiens avaient été découverts abattus sur une plage dans l’est de la Libye. Un médecin égyptien, également copte, a été tué ainsi que sa femme et sa fille en décembre dernier. La Libye compte environ 1 millions d’Egyptiens, dont beaucoup appartiennent à des familles pauvres.La présence djihadiste en Libye inquiète fortement l’Egypte qui ne veut pas d’un Etat extrémiste à ses frontières ouest. « Ces frappes aériennes pourront affaiblir quelque peu l’EI, mais elles ne constituent pas à elles seules une solution au problème des djihadistes », explique Ahmad Ban.
En fait, c’est surtout au niveau politique que Le Caire devra agir. « L’Egypte a longtemps cherché à mobiliser la communauté internationale pour désarmer les milices libyennes et imposer un embargo sur les armes à leur destination. Mais la communauté internationale était réticente à intervenir dans le bourbier libyen », affirme Ban. Or, l’exécution des 21 coptes va à présent donner à l’Egypte la possibilité d’impliquer les pays occidentaux dans le conflit libyen. C’est dans ce contexte que le président Abdel-Fattah Al-Sissi a appelé lundi son homologue français François Hollande. Les deux chefs d’Etat ont appelé à une réunion du Conseil de sécurité des Nations-Unies et à de nouvelles mesures contre l’EI. Mardi matin, le président égyptien a réitéré son appel, lors d’une interview accordée au Caire à la radio française Europe 1, en estimant que le Conseil de sécurité des Nations-Unies devait adopter une résolution permettant une intervention militaire internationale en Libye.
« Chercher une alliance internationale »
Et le ministre des Affaires étrangères, Sameh Choukri, présent à Washington pour participer à une conférence sur le terrorisme, a appelé la coalition internationale contre l’EI, menée par les Etats-Unis, à faire face aux extrémistes en Libye. « L’Egypte va chercher à former une alliance internationale pour faire face aux djihadistes libyens », analyse Hani Raslane, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. La question est de savoir si une telle alliance est possible.
« Même si Le Caire ne parvient pas à réunir Américains et Européens au sein d’une large coalition, elle pourra au moins obtenir l’appui des Occidentaux pour intervenir militairement en Libye. Jusqu’ici, les Etats-Unis s’intéressaient surtout à combattre l’EI en Syrie et en Iraq, en raison de l’influence iranienne dans ces deux pays, mais ne s’intéressaient pas beaucoup à la Libye », explique Raslane. Il est peu probable cependant que les Etats-Unis changent de politique. Ahmad Sawan, sénateur du Parti républicain au Congrès américain, joint par l’Hebdo, pense que « le soutien américain se limitera à l’appui logistique et à l’approbation d’opérations menées par des pays arabes, mais pas plus ».
Il pense que les Européens sont plus concernés par le dossier libyen et peuvent jouer, eux, un rôle direct en Libye pour faire face à l’EI. La France et l’Italie ont d’ailleurs soutenu les frappes égyptiennes et ont convenu de prendre des mesures contre l’EI. La ministre italienne de la Défense a ainsi déclaré dans une interview que son pays est disposé à envoyer des troupes en Libye et de mener une coalition contre les islamistes dans ce pays. Dans sa guerre contre le terrorisme en Libye, l’Egypte tablera surtout sur l’appui européen, mais aussi russe.
Le porte-parole de l’armée libyenne, Ahmad Al-Mesmari, est d’avis qu’ « il faut lever l’embargo sur les armes à destination de la Libye au moment où les terroristes obtiennent des armes à travers le trafic maritime ». L’Egypte doit s’attendre à une guerre longue et pénible contre le terrorisme. Lundi, le groupe terroriste Fajr Libya a lancé un ultimatum aux Egyptiens résidant en Libye pour quitter le pays sous 48 heures, sous peine de mettre leurs vies en danger.
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