Il y a exactement trois ans, 74 personnes trouvaient la mort et des centaines étaient blessées dans la plus grande catastrophe de l’histoire du football égyptien. Le drame s’est produit à Port-Saïd dans le nord-est de l’Egypte au terme d’un match opposant
Ahli, le club le plus titré du pays, à
Masri, l’équipe locale.
Dimanche dernier, dans la soirée, le pays avait rendez-vous avec une nouvelle salve de violence. Les heurts ont opposés les Ultras White Knights (UWK), les supporters du club de football de Zamalek, à la police, avant le match de première division du Championnat entre Zamalek et Enppi.
Les affrontements ont eu lieu à l’entrée d’un stade militaire dans la banlieue est de la capitale. Les forces de l’ordre avaient installé un tunnel étroit en métal, qui ressemble plutôt à une cage, comme un passage obligé vers l’intérieur du stade afin, apparemment, de réduire le flux des supporters entrant dans le stade.
Ce match était censé marquer la première semaine du retour du public, après une interdiction en vigueur depuis le « massacre » de Port-Saïd. Seuls 10000 supporters étaient autorisés à y assister, selon les chiffres officiels. Mais seuls 5000 billets étaient disponibles à la vente, et le reste ayant été distribués par le club à ses membres abonnés.
Toutefois, selon les médias, le président de Zamalek, Mortada Mansour, ennemi farouche des Ultras, aurait décidé de transformer tous les billets en invitations. L’encombrement était inévitable. Les Ultras de Zamalek, agglutinés, tentaient de rentrer en force dans l’enceinte, alors que la police s’efforçait de les disperser, usant de gaz lacrymogènes. « Ils ont tenté de prendre d’assaut les portes du stade et d’escalader les murs, ce qui a poussé la sécurité à les arrêter », a indiqué le ministère de l’Intérieur dans un communiqué prétendant que les morts étaient dues à des « bousculades ».
Le bilan est lourd, même s’il a été réduit à la baisse par le ministère le lendemain du drame. « Dix-neuf personnes ont été tuées, 22 policiers blessés et 18émeutiers ont été arrêtés », selon Hani Abdel-Latif, porte-parole du ministère de l’Intérieur. Le procureur général, qui a ordonné l’ouverture d’une enquête, avait parlé de 22 morts. Mais la page Facebook des UWK parle de 28 morts et de plusieurs disparus.
La médecine légale avait, dans un premier temps, évoqué la suffocation due aux gaz lacrymogènes comme principale cause de la mort des supporters. Mais le lendemain, son porte-parole citait l’encombrement et la bousculade comme unique raison.
Les Ultras accusent la police
Un supporter de Zamalek en pleurs durant le match du 8 février qui a fait une vingtaine de morts. (Photo : AP)
C’est «
un massacre orchestré… un assassinat avec préméditation », écrivent les
UWK sur leur page
Facebook. Les fans du club accusent son président, Mortada Mansour, d’avoir comploté avec le ministère de l’Intérieur pour provoquer ces troubles.
« J’étais présent au stade depuis 15h30 », raconte un membre des White Knights joint par téléphone et préférant parler sous couvert de l’anonymat. « Le nombre de supporters ne dépassait pas les 2000. Nous attendions dans le couloir qui mène à la porte 4. Mais le nombre de supporters a augmenté et, vers 17h30, nous étions au moins 10000 », précise-t-il. Il ajoute qu’il avait réussi à acheter un billet-invitation au marché noir pour 30 L.E.
Pourtant, il ne pouvait pas passer, affirme-t-il. « J’ai remarqué une brigade d’une vingtaine de soldats avec leur officier et j’ai dit à mon ami qu’une embuscade se préparait. Cinq minutes plus tard, ils nous ont pris en tenailles par devant et par derrière et les gaz lacrymogènes ont commencé à pleuvoir, suivis de bousculades ».
Ce supporter de Zamalek, qui a rejoint les UWK en 2009, a perdu deux de ses amis lors des troubles, mais affirme que la plupart des victimes sont des supporters « ordinaires » et non des affiliés aux UWK. Il dit s’en être sorti par « miracle » et a affirmé avoir dû enjamber des corps entassés par terre.
Il conteste la version officielle qui fait assumer aux UWK la responsabilité des événements. « Si nous avions cherché l’affrontement, on l’aurait fait dès le début. Pourquoi attendre 3 heures? C’est clair: C’était prévu. Les autorités veulent se venger de nous ».
Les Ultras des clubs égyptiens ont été en effet l’un des fers de lance de la révolution de 2011 et avaient joué un rôle-clé plus tard (lire encadré page 4). Depuis, les tensions sont latentes avec le pouvoir, quel qu’il soit, y compris celui des Frères, et les ultras de Zamalek ou d’Ahli. Ils ont souvent affronté les forces de sécurité, dans et en dehors des stades.
Pourtant, dans un contexte politique radicalisé depuis la destitution de Mohamad Morsi, le président du club Zamalek ne cesse de montrer du doigt les Frères musulmans. Selon sa version, « ils auraient payé des voyous pour s’infiltrer parmi les Ultras et profiter de la bousculade pour mener leur crime horrible, tout comme ils l’ont fait auparavant dans l’incident de Port-Saïd ».
Dans une autre version, tout en louant « le professionnalisme » de la police, Mansour estime que les responsables sont les mêmes qui ont assassiné les soldats dans le Sinaï le mois dernier. Mansour, qui raconte une histoire sans aucun fondement, estime que le but est de « briser le prestige de l’Etat » et appelle la justice à déclarer les ultras comme « organisation terroriste », car étant « le bras armé de la confrérie ».
Incompétence ?
Hassan Al-Mestekawi, le fameux critique sportif, parle lui d’une « organisation catastrophique qui dure depuis 30 ans. Comment les autorités peuvent-elles chercher à faire passer 10000 personnes par le trou d’une aiguille ? ».
Mestekawi estime que les autorités n’ont rien appris et n’ont rien changé depuis le massacre de Port-Saïd. « Fermons les écoles, les universités et cinémas ! », lance-t-il ironiquement en réaction à la décision du gouvernement de suspendre le championnat.
La Fédération égyptienne de football doit pourtant se réunir après les trois jours de deuil pour décider de la date de reprise des matchs. Mais, selon le ministre des Sports, Khaled Abdel-Aziz, joint par téléphone « aucune nouvelle décision ne sera prise. Notre position sera celle du Conseil des ministres ».
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