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Le discours qui divise

Caroline Odoz, Mardi, 27 novembre 2012

Pour appuyer son décret constitutionnel, le président de la République s’est adressé à la nation vendredi après-midi. Avec en toile de fond des affrontements, des manifestations massives et une opposition qui s’unit pour faire front.

Discours
Le président a donné vendredi l'explication de ses décisions de la veille. (Photo: Reuters)

D’une estrade placée cette fois devant le palais présidentiel, dans son style informel rappelant les one man show, Morsi s’est adressé, en direct à la télévision, à la nation tout entière, au lendemain de la publicationde son décret constitutionnel. « J’ai pris cette décision pour protéger la démocratie », annonce-t-il. Tout au long de ce discours de 3 heures émaillé de métaphores et d’effet
d’annonce, l’intermédiaire, au son comme à l’image, entre lui et le peuple, est une foule électrisée de Frères musulmans, mobilisés pour l’occasion.
Il vient pour rassurer : « Je me consacre tout entier à la tâche de restaurer la stabilité sur les plans politique, social et économique », ajoutant : « J’endure les mêmes problèmes que tous les Egyptiens ». Il fait ainsi écho aux aspirations d’une population égyptienne qui, dans sa majorité, vit un réel désastre économique,
bien que le bilan de ces premiers 5 mois de présidence semble le contredire.
Il dément ensuite être animé d’un quelconque esprit de vengeance, de division ou de discrimination : « L’Egypte est pour tous les Egyptiens, et la révolution appartient
à tout le monde ». Et d’ajouter : « La révolution est en marche et atteindra ses buts ». Malgré l’absence de consultation nationale sur les points en jeu dans l’avenir politiqueet économique de la nation, il déclare : « Je remplis mes fonctions au service de Dieu et de la nation et je prends mes décisions après avoir consulté tout le monde ». Si l’on en croit Gamal Hechmat, du Parti Liberté et justice, il s’agit de faire comprendre à l’ensemble de la populationque le président, régulièrementaccusé de n’avoir pas le contrôle des institutions de l’Etat, se devait d’agir.Comme l’analyse Achraf Al-Chérif, professeur à l’Université américaine du Caire et expert des mouvements islamistes, ces déclarations
de bonnes intentions cadrent cependant mal avec la confiscation du pouvoir judiciaire, l’impossibilité de réviser la composition de l’assemblée constituante et les dispositionslégales, qui pourraient être un nouvel état d’urgence, mises en place par le décret. « Le discours a été motivé par l’intensité de la réaction de la rue, suite à l’annonce du décret, pour tenter de canaliser les énergies », ajoute Al-Chérif.
Personnes oeuvrant dans l’ombre
Le président assène ensuite le fait qu’il n’a « pas peur de l’opposition » et qu’au contraire, il veut qu’elle soit « réelle et forte ». Ce qui vient en écho d’une précédente déclaration télévisée dans laquelle il disait souhaiter que le peuple se soulève s’il faisait des erreurs. Il enchaîne sur le fait que « l’opposition loyale est à l’évidence différente de ces casseurs recrutés qui s’attaquent au ministère de l’Intérieur ». Il ajoute : « Les ennemis de l’Egypte, tout comme ceux attachés à l’ancien régime, ne veulent pas qu’elle se relève », et mentionne des personnes oeuvrant dans l’ombre pour détruire la révolution. Il clôt ensuite le débat sur la légitimité de ses décisions en rappelant qu’il avait prévenu qu’il prendrait les mesures nécessaires s’il constatait que la nation était en danger : «loi s’applique à tous, et le président ne fait pas exception ». Cependant, le président est désormais la loi, et toute cette partie de son discours rappelle, à s’y méprendre, les arguments
utilisés par Moubarak. « Tout cela nous rappelle le style de Sadate, qui avait créé la formule mon opposition », indique Al-Chérif, qui ajoute : « La cible première de ce discours n’était pas le peuple. Il était destiné aux opposants rassemblésà Tahrir, et pour démontrer l’approbation de ses partisans. C’est d’ailleurs pour cela qu’il a choisi le palais présidentiel ».
La dernière partie de son discours est destinée à inspirer les foules, auxquelles il assure « de grandes choses », sans préciser lesquelles. Lorsque ses supporters amassés réclament l’application de la loi de Dieu, il ne les interrompt pas, mais ne renchérit pas non plus : « La loi de Dieu est par essence la justice, le droit, la justice sociale, le dur labeur et l’égalité ». Son voeu que Dieu le protège et le guide dans sa tâche jalonne sans excès ce discours qui se termine sur un : « Je ne serai pas injuste, inch Allah ». Chaïnaz Machal, du mouvement du 6 Avril, nous rappelle qu’il continue en cela de cultiver son image de président modéré : « C’est l’image qu’en ont la plupart des Egyptiens », tandis que Al-Chérif attire notre attention sur le fait que « même si sa politique favorise presque systématiquement les islamistes, il évite de trop ancrer son discours dans la religion quand il s’exprime en public ».
Sous des dehors rassurants, il renvoie très efficacement l’opposition dans le camp de ceux qui ne veulent pas faire avancer les choses.
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