La crainte d’une baisse des devises étrangères, à peine stabilisées, n’a pas empêché le gouverneur de la Banque Centrale d’Egypte (BCE), Hicham Ramez, de manifester sa joie en se disant «
fier » de rembourser, le 28 novembre dernier, un dépôt de 2,5 milliards de dollars au Qatar. Il se dit aussi «
confiant » de les remplacer d’ici trois mois.
Ramez a même dévoilé qu’en principe, il n’avait pas « pris en compte ces 2,5 milliards dans le décompte des devises étrangères de la BCE ». Ce dernier versement porte à 6 milliards l’ensemble des fonds remboursés au Qatar depuis le 30 juin 2013. Il ne reste plus à rembourser à Doha que 500 millions, somme que le gouvernement insiste à verser à la date prévue, soit lors du premier semestre 2015. Du côté égyptien, toute négociation sur un éventuel échelonnement des remboursements est exclue.
Ces prêts et dons, qui datent de l’époque de Morsi, étaient censés « redresser l’économie égyptienne » et lui donner plus de puissance. A l’époque, Doha avait promis d’injecter 18 milliards de dollars d’investissements sur 5 ans.
Mais les ambitions économiques du Qatar en Egypte ont été mal perçues par une tranche de la société, qui craignait une « qatarisation » des marchés égyptiens, surtout du secteur bancaire. La QNB (Qatar National Bank) avait notamment racheté la NSGB (National Society General Bank, filiale égyptienne de la Société Générale) pour 2 milliards de dollars. L’institution financière qatari QInvest avait aussi acquis 60% de la plus importante banque d’investissement égyptienne : EFG-Hermes.
Mais au lendemain de la destitution de Morsi, les aides qatari ont été suspendues et les négociations visant à convertir les dépôts qatari en obligations sur 3 ans ont échoué. Cette position du Qatar a été lue par beaucoup d’économistes comme une tentative de déstabiliser l’économique égyptienne.
L’un s’en va, l’autre arrive …
En réponse, ce sont 12 milliards de dollars de dons et de prêts à zéro intérêt qui ont été versés par trois pays du Golfe: l’Arabie saoudite, le Koweït et les Emirats arabes unis, hostiles aux Frères musulmans et au Qatar. Quant aux 18 milliards d’investissements en provenance de Doha, ils se sont rapidement évaporés.
Les investisseurs qatari ont aussi boycotté le premier forum d’investissement Egypte/CCG (Conseil de Coopération du Golfe), tenu au Caire en décembre 2013. Le Conseil des affaires égypto-qatari, qui a vu le jour en janvier 2013, a aussi gelé ses activités jusqu’à « l’apaisement des tensions entre les deux pays », avait prévenu Moharram Hélal, président du conseil, qui avait dévoilé que « les investissements qatari datant de l’époque des Frères musulmans sont toujours en Egypte, mais qu’il n’y a pas de nouveaux investissements ».
Le volume des investissements du Qatar en Egypte a donc largement reculé face à celui des autres pays du Golfe. Selon le classement de l’Organisme de l’investissement, le Qatar, qui était en tête de liste des pays investisseurs en Egypte en 2013, occupe désormais la 9e place. Evalués à 1,8 milliard de dollars selon les chiffres de l’organisme, les investissements qatari sont repartis dans 195 sociétés qui travaillent dans divers secteurs: financier, services, télécommunications, tourisme et industrie.
En tête des pays investisseurs se trouve aujourd’hui l’Arabie saoudite, qui possède 3303 sociétés avec un volume d’investissement évalué à 6 milliards de dollars. Les Emirats et le Koweït occupent les 3e et 4e places, derrière la Grande-Bretagne. En Bourse, le nombre des investisseurs qatari est aussi très modeste. Ils sont au nombre de 98 contre près de 2000 de nationalité saoudienne.
Vers un retour progressif
L’appel « au soutien de l’Egypte », lancé à Doha lors du sommet de CCG tenu la semaine dernière, va-t-il ramener une normalisation économique avec le Qatar, notamment à l’approche de la conférence sur l’investissement prévue en mars au Caire ? Beaucoup d’économistes doutent d’un rebond rapide.
Pour Hamdi Abdel-Azim, professeur d’économie à l’Université du Caire, le climat n’est pas encore propice aux investissements: « Les relations économiques entre les deux pays restent gelées tant que les dossiers politiques restent en suspens. Les investisseurs des deux pays sont, en effet, hantés par un risque de rupture politique possible à tout moment ».
Pour Gamal Bayoumi, secrétaire général de l’Union des investisseurs arabes, Doha doit rapidement faire le premier pas pour rétablir la confiance avec Le Caire. Le communiqué du sommet du CCG, auquel a adhéré le Qatar, doit se traduire, pour Bayoumi, par l’arrêt des campagnes médiatiques hostiles à l’Egypte, mais aussi par le retour des investissements. Pour ce diplomate, il est prématuré d’estimer l’importance de la participation du Qatar à la conférence sur l’investissement.
« On est dans le Wait and See», dit-il, ajoutant que « c’est plus dans l’intérêt de ce petit richissime émirat, ayant des excédents financiers énormes, et dont l’économie est la 6e des économies arabes, de rétablir ses investissements en Egypte ». Le Caire arrive en 3e position des économies arabes après l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis. L’Egypte est aussi perçue comme un marché prometteur, notamment en raison de sa forte population.
Mais ce ne sont pas les calculs économiques qui font bouger les investissements qatari. L’émirat pratique, en effet, une diplomatie « du chéquier », comme explique Farag Abdel-Fattah, économiste. Il estime que « dans tous les cas, on ne doit pas élargir les investissements qatari en Egypte, au moins sur le court terme, jusqu’à ce qu’on soit sûr des bonnes intentions de ce pays ».
Moharram Hélal, lui, portera ses fruits pour parvenir à un rapprochement économique entre les deux pays. Il regrette que les intérêts économiques soient autant liés aux considérations politiques, rappelant que la main-d’oeuvre égyptienne au Qatar se chiffre à 125 000 travailleurs.
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