« Il y a des contacts égypto-qatari, et les relations entre les deux pays sont meilleures qu’auparavant », affirme le ministre bahreïni des Affaires étrangères, le cheikh Khaled ben Ahmad Al Khalifa. Le ministre s’exprimait dans le journal saoudien
Al-Hayat au lendemain d’une réunion à Doha consacrée à la sécurité des pays du Golfe. Khalifa a dénoncé ce qu’il a qualifié comme «
un gonflement du litige » entre Doha et Le Caire.
Un haut responsable au ministère égyptien des Affaires étrangères a pourtant nié toute amélioration avec l’Emirat. « Autant que je sache, il n’y a aucun changement, affirme le responsable dans un entretien avec l’Hebdo en préférant garder l’anonymat. Nous apprécions les efforts du Golfe, mais Doha reste sur le niveau des promesses, pas plus. Nous n’avons noté aucun changement dans sa politique ». Le diplomate égyptien se référait au communiqué final de la rencontre du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) qui affirmait « la position ferme de soutien à l’Egypte et le soutien au programme et à la feuille de route du président Abdel-Fattah Al-Sissi », programme qui a décrété les Frères musulmans organisation « terroriste ».
Les relations entre Le Caire et Doha passent par des turbulences depuis juillet 2013, suite à la destitution de Mohamad Morsi. Depuis, l’Emirat a, au grand dam du Caire, donné refuge aux membres de la confrérie, bête noire de l'Egypte. La chaîne qatari Al-Jazeera est parallèlement devenue le porte-voix des opposants au régime et des dits membres « de la Coalition de la légitimité », qui rassemblent les Frères et divers courants islamistes.
Cette tension dans les relations avait culminé avec le rappel par Le Caire de son ambassadeur à Doha, et avait pesé de tout son poids sur le CCG depuis sa création en 1981, poussant également l’Arabie saoudite, Bahreïn et les Emirats arabes unis à rappeler leurs ambassadeurs au Qatar, en l’accusant de déstabiliser la région par son soutien aux Frères musulmans (lire page 5).
Une médiation menée par le Koweït avait permis en novembre dernier de sceller une première réconciliation. Le roi Abdallah d’Arabie saoudite avait alors annoncé « un cadre général pour la fin des divergences » arabes, y compris entre le Qatar et l’Egypte. Le Caire avait salué l’appel du Royaume, y voyant « un pas énorme vers la solidarité arabe ».
Et au terme du sommet annuel du CCG tenu à Doha début novembre, le Qatar s’était rallié aux 5 autres monarchies, pour soutenir le gouvernement du Caire. « Il faut attendre et voir », avait déclaré le président Sissi dans des déclarations à la chaîne France 24.
Les désaccords sont surtout régionaux.
Depuis, selon un haut diplomate égyptien ayant accès au dossier qatari, « Le Caire a formulé des demandes précises qui ne sont pas difficiles à deviner: arrêter d’accorder un refuge aux Frères et arrêter de les soutenir en Egypte ». Une réponse positive à ces demandes devrait logiquement aboutir à un retour des bonnes relations avec Doha.
Mais la réalité est beaucoup plus complexe pour plusieurs raisons. Si Le Caire certes accueillait avec satisfaction la nouvelle position du Golfe en novembre dernier, « il s’attendrait plutôt à un inversement de la politique qatari vis-à-vis de l’Egypte. La satisfaction du Caire est restée prudente: Al-Jazeera n’a pas changé sa ligne éditoriale », explique le politologue Yousri Al-Azabawi. D’après lui, « la ligne éditoriale confuse de la chaîne révèle que Doha vacille toujours entre une politique officielle— et récemment déclarée— soutenant le régime d’Al-Sissi, et une stratégie intimement liée aux Frères musulmans ». Al-Jazeera reste en tête des divergences égypto-qatari.
Selon le diplomate égyptien qui travaille dans le département des Affaires arabes, la question dépasse cependant les Frères et concerne des enjeux régionaux plus complexes. Le Qatar soutient, en effet, les djihadistes salafistes en Libye et en Syrie : « une question inquiétante pour nous, mais aussi pour l’Occident ». Plusieurs diplomates égyptiens contactés par l’Hebdo croient aussi que l’Occident commence seulement aujourd’hui à s’interroger sur ce soutien de Doha et d’Ankara aux extrémistes libyens et syriens.
« Les énormes fonds qatari à destination des djihadistes à nos frontières-ouest sont un sujet de différend majeur », affirme l’un d’entre eux. Pour ce diplomate, « Doha fait une chose et son contraire juste pour calmer les Saoudiens. C’est la mise en scène qui change, mais sur le fond, son appui à ces djihadistes et leur objectif principal reste le même ».
L’écrivain et ancien diplomate Gamil Matar croit que Riyad espère que « Doha changera sa position, car la stabilité de l’Egypte est un objectif qui lui permettrait d’avoir Le Caire à bord, face à l’Iran, dont les relations qui passent au chaud avec Washington, angoissent l’Emirat ». Il écarte pourtant tout rapprochement entre l’Egypte et le Qatar sur le court terme, en dépit d’un climat régional pressant. Du côté qatari, « il semble, en effet, peut probable que l’Emirat abandonne sa carte des Frères musulmans, qui constitue un dossier commun avec Ankara. Sa politique régionale restera la même ».
L’écrivain libanais Georges Samaane laisse entendre dans un article publié par Al-Hayat dans son édition du 12 décembre, que le Royaume saoudien pourrait, contrairement à l’accoutumé, accepter que les pays du CCG n’adoptent pas la même position politique pour tenter de sauver le conseil.
« C’est en quelque sorte la même position de l’émir du Qatar, le cheikh Tamim bin Hamad Al-Thani, qui disait qu’il ne fallait pas laisser des désaccords politiques se transformer en divergences », poursuit Gamil Matar, sans cacher un certain étonnement. Il avoue pourtant que Le Caire reconnaît que Doha « n’abandonnera pas de carte de pression avant de s’en procurer une autre ». Il écarte ainsi toute normalisation des relations sur le cours terme. Selon lui, « Le Caire n’a pas changé de position. Pas de décision pour un retour de notre ambassadeur: nous attendons une nouvelle évaluation ».
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