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Ouvriers et patrons réunis sur le désaccord

Marwa Hussein, Mardi, 09 décembre 2014

Le projet de loi du Travail fait grande controverse. Les hommes d’affaires, aussi bien que les ouvriers, estiment qu’il réduit de leurs droits par rapport à la loi en vigueur. Le gouvernement fait la sourde oreille.

Ouvriers
Le projet de loi sur le travail en discussion renforce les restrictions imposées aux grèves. (Photo : Yousri Aql)

Le dialogue autour d’un nouveau code du travail élaboré par le ministère de la Main-d’oeuvre et qui devra remplacer la loi unifiée du travail promulguée en 2003, a été bloqué la semaine dernière suite au retrait de la Fédération des industries égyptiennes, principal représentant des hommes d’affaires. Depuis trois semaines, les représentants du Congrès démocratique des ouvriers d’Egypte, union indépendante, n’assistent plus, eux aussi, aux séances du dialogue. « Nous nous sommes retirés après une séance au cours de laquelle le gouvernement a fini par adopter 34 articles en un quart d’heure malgré nos contestations », indique Magdi Salem, membre exécutif du Congrès démocratique des ouvriers d’Egypte. « Quelques articles étaient d’une importance primordiale, comme celui qui autorise aux patrons de ne pas payer aux ouvriers la prime annuelle en cas de difficultés financières », poursuit-il. Actuellement, le seul représentant « officiel » des ouvriers est la Fédération des syndicats des ouvriers d’Egypte, nommée par le gouvernement même et qui, jusqu’à présent, n’a pas fait de remarques sur le projet de loi. « Le comité que la Fédération a formé pour discuter de ce projet de loi poursuit encore sa mission », déclare à l’Hebdo Guébali Al-Maraghi, président de cette Fédération. Malgré ces différends, le ministère de la Main-d’oeuvre a annoncé que les trois partis concernés (le gouvernement, les hommes d’affaires et les ouvriers) sont arrivés à un accord autour de 132 articles du texte composé de plus de 250 articles et que le dialogue, qui dure depuis trois mois, se poursuivait. « A chaque séance de dialogue, nous présentons nos remarques sur certains articles, mais le ministère annonce que nous sommes arrivés à un accord. Ce n’est pas un dialogue sérieux », dit Zaki Al-Sewedy, président de la Fédération des industries. Il critique aussi le gouvernement pour avoir élaboré la loi sans consultation avec la Fédération. Il appelle ainsi le gouvernement à remettre la promulgation de la loi après les élections parlementaires, prévues en mars 2015.

Pas de logique différente

Le projet de loi ne satisfait, ni aux hommes d’affaires, ni aux représentants des ouvriers, alors que les différends entre les deux parties sont énormes. Tandis que les premiers protestent contre un Code du travail qui leur impose des restrictions sur le licenciement des ouvriers tout en ouvrant la porte aux grèves ouvrières, les représentant des ouvriers, eux, assurent que la nouvelle loi représente une régression en matière des droits ouvriers, en comparaison avec la loi en vigueur qu’ils contestent déjà depuis des années. La campagne « Vers une nouvelle loi du travail équitable » adopte, elle, une vision plus radicale. Formée par des unions indépendantes d’ouvriers, des syndicats, des partis politiques et des mouvements de gauche ainsi que des ONG, les représentants de la campagne n’ont toutefois pas été invités à assister au dialogue. Cela n’empêche qu’ils oeuvrent à élaborer un projet de loi alternatif à celui du ministère, auquel ils envoient leurs objections. Pour les membres de la campagne, le projet de loi ouvre la porte au licenciement arbitraire. « Les patrons ne sont pas sanctionnés s’ils licencient des ouvriers sans avoir recours au tribunal. Pas de sanction non plus en cas de licenciement de syndicalistes, et rien ne les obligent à respecter les accords de négociations collectives », dit Fatma Ramadan, syndicaliste et membre fondatrice de la campagne. Zaki Al-Sewedy décrit la loi différemment. « La loi énonce que les ouvriers ont droit de mener une grève dans les locaux du travail, afin d’obliger le patron à mettre en oeuvre leurs demandes », réplique-t-il. « Obliger, ça fait trop quand même. Il serait plus logique d’avoir recours aux instances juridiques et administratives compétentes pour arriver à une solution au lieu d’ouvrir la porte aux grèves », ajoute-t-il. En réalité, la loi en discussion reconnaît pour la première fois le sit-in. Cependant, elle impose des restrictions qui le rendent pratiquement impossible, en stipulant qu’il ne doit avoir lieu pendant les heures de travail. Les restrictions imposées sur les grèves ont aussi été renforcées. « La loi interdit la grève au cours des négociations ou de la mise en place d’un accord de travail collectif. Elle impose aussi des restrictions sur les ouvriers en leur interdisant de relever le plafond de leurs demandes au cours de la grève ainsi que toute revendication de nature politique », explique Ramadan. Le projet de loi a gardé les restrictions imposées sur la grève dans la loi en vigueur comme celle obligeant les ouvriers à prévenir l’administration deux semaines au préalable tout en insistant que « la grève vise à entamer des négociations avec le patron ». En plus, il donne le droit aux patrons de licencier l’ouvrier s’il ne respecte pas les articles organisant la grève. « L’employeur n’est pas obligé de réintégrer l’ouvrier licencié à son poste même si la cour tranche l’affaire en faveur de l’ouvrier. Il peut seulement lui payer l’équivalent du salaire de deux mois, pour chaque année de travail », explique Saad Chaaban, président du Congrès démocratique des ouvriers d’Egypte et son représentant dans le débat.

La nouvelle loi pourrait, par ailleurs, être la première à reconnaître les agences de recrutement privées qui sont des sous-contractants de travailleurs permanents ou temporaires pour d’autres entreprises. Un phénomène contesté par les syndicats. L’article impliquant que ces agences doivent fournir à leurs travailleurs le même salaire et droits que ceux des ouvriers de l’entreprise mère n’est pas suffisant pour avoir confiance en les représentants des ouvriers.

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