Quelques heures avaient passé. L’armée israélienne était en pleine opération dans la bande de Gaza. Au Caire, la colère montait avec chaque bombardement dont les médias se font l’écho. Le ministre des Affaires étrangères réagit. Il annonce le rappel de l’ambassadeur égyptien de Tel-Aviv.
Quelques minutes plus tard, c’est la présidence qui prend la parole et parle plutôt d’un « retrait » de l’ambassadeur. La diplomatie rectifie ses mots et confirme ceux du président. L’ambassadeur d’Israël est également convoqué au ministère des Affaires étrangères pour se faire signifier les protestations de l’Egypte contre l’attaque israélienne. Et tandis que certains officiels israéliens anonymes confirmaient à Reuters que l’ambassadeur d’Israël en Egypte était rentré dans son pays bien avant l’attaque, des sources à l’aéroport du Caire affirmaient qu’il venait juste de quitter l’Egypte mercredi soir à destination de Amman.

Le premier ministre Hicham Qandil, lors de sa visite à Gaza,accompagné d'Ismaïl Haniyeh.
Ce n’est pas la première fois que l’Egypte réagit de cette façon. Par le passé, Moubarak, allié d’Israël, avait réagi de la manière à deux reprises. Ce qui diffère cette fois-ci c’est la rapidité de la réaction. Moubarak préférait attendre que des manifestations éclatent dans les rues, et disait alors à Washington et Tel-Aviv qu’il ne pourrait plus résister aux pressions des Egyptiens solidaires de leurs frères palestiniens.
Moubarak et son chef des renseignements, Omar Soliman, avaient repris à leur compte la position d’Israël quand il était question de Gaza et du Hamas qui dirige le secteur. Moubarak dépêchait des médiateurs pour négocier une trêve, aux conditions israéliennes. Pendant des années, la tactique marchait et Le Caire se donnait l’image d’un médiateur crédible.
Avec un président issu des Frères musulmans, la réaction de l’Egypte a quelque peu changé. Morsi a dépêché son premier ministre, Hicham Qandil, à Gaza confrontée aux attaques de Tsahal. Une importante délégation populaire a suivi le premier ministre. 500 activistes égyptiens ont passé la nuit de dimanche à lundi avec les Palestiniens soumis aux raids israéliens, avant de rentrer via le terminal de Rafah qui accueillait, le lendemain, le secrétaire général de la Ligue arabe, Nabil Al-Arabi, pour la première visite du genre « Je leur dis au nom du peuple égyptien que l’Egypte d’aujourd’hui est différente de l’Egypte d’hier », lance le président égyptien en s’adressant aux Israéliens.
Symbolique renforcée
L’Egypte de la révolution est différente, du moins par la symbolique de ses actes. Mais sa politique de « paix » est presque identique. Au Caire, on multiplie les efforts diplomatiques : une réunion extraordinaire à la Ligue arabe, des visites de responsables palestiniens — du Hamas comme du Fatah de Mahmoud Abbas. Et d’Israël aussi. Le secrétaire général des Nations-Unies a aussi fait une escale dans la capitale égyptienne.
Les négociations visent l’arrêt des hostilités. L’Egypte sait que tout se joue sur son sol, les protagonistes aussi. Le chef du Hamas, Khaled Mechaal, était au Caire samedi en même temps que le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan. Occasion d’une rencontre avec lui et avec l’émir du Qatar, Hamad Ben Khalifa Al Thani, et le chef des services de renseignement égyptiens, qui détient toujours ce dossier.
Un émissaire israélien a été également dépêché en Egypte au moment où son premier ministre, Benyamin Netanyahu, a menacé d’élargir considérablement les opérations militaires. Son identité n’a pas été dévoilée, mais il vient négocier un éventuel cessez-le-feu. Des négociations secrètes avec les responsables égyptiens que Nabil Chaath, un collaborateur du président palestinien, Mahmoud Abbas, également au Caire, qualifie de « tentatives sérieuses » ont également eu lieu.
Le premier ministre du Hamas, Ismaïl Haniyeh, a parlé au président Morsi lui disant qu’il soutenait de telles négociations à condition que le Hamas reçoive des « garanties qui empêchent toute agression future par Israël ». Les Palestiniens exigent une trêve « réciproque » : Israël suspend son opération militaire et les Palestiniens arrêtent les tirs de roquettes (lire entretien page 5). Ils réclament aussi la levée du blocus imposé par Israël sur Gaza depuis 2007, promise en 2009, mais jamais appliquée.
En janvier 2009, c’est une trêve négociée par l’Egypte qui avait permis de mettre fin à la dévastatrice opération « Plomb durci » lancée quelques semaines plus tôt par Israël contre Gaza, qui comprend 1,2 million d’habitants.
Depuis le lancement, mercredi, de l’agression militaire israélienne contre Gaza, l’aviation sioniste a mené des centaines de raids et les mouvements Palestiniens ont répliqué par des centaines de tirs de roquettes, touchant des villes israéliennes, laissant croire qu’aucun pays ne pourra se porter garant d’une trêve.
« Le principal objectif d’Israël est d’assurer le calme à long terme et d’obtenir une promesse sur l’arrêt des attaques palestiniennes lancées de l’autre côté de la frontière », résument les spécialistes de défense du quotidien israélien Haaretz. « L’une des difficultés actuelles est l’absence d’un médiateur suffisamment influent pour arracher un accord », disent-ils.
Une trêve pourrait intervenir prochainement, croient pourtant savoir les responsables au Caire. « Au moment où nous parlons, les négociations se poursuivent, et j’espère que nous parviendrons bientôt à quelque chose permettant de mettre fin à cette violence et à cette contre-violence », a dit le premier ministre Hicham Qandil. « Je pense que nous en sommes très proches, mais la nature de ce type de négociations fait que c’est très difficile à prédire », a-t-il ajouté.
Le régime égyptien est confronté à l’une des situations les plus difficiles depuis son avènement. Morsi a basé son discours sur une rupture complète avec le régime de Moubarak, mais il semble peu probable qu’il puisse changer la politique de l’Egypte sur le terminal de Rafah, seule ouverture des Gazaouis sur le monde.
« Transformer Rafah en terminal commercial signifierait que Le Caire est responsable de la bande de Gaza, alors que la gestion de Gaza incombe à Israël », c’est ce qu’affirment les responsables des renseignements. Cependant, Chérif Bassiouni, professeur de droit et ancien conseiller juridique du président Sadate dans les négociations de Camp David, estime que c’est le seul moyen disponible à l’Egypte pour mettre fin à la contrebande et aux tunnels, un phénomène qui s’est avéré dangereux pour l’Egypte. Il fait ici allusion aux groupes djihadistes armés régissant la péninsule.
L’aide financière en moyen de pression
Aux Etats-Unis, on demande à l’Egypte et la Turquie de jouer un rôle central pour mettre fin au conflit au Moyen-Orient. Mais les sénateurs américains affirment que l’aide américaine fournie à l’Egypte risque d’être supprimée. Les yeux sont rivés sur Morsi.
« Egypte, regardez ce que vous faites et comment vous le faites », a déclaré le sénateur républicain Lindsey Graham, dans une interview sur NBC. Il voit dans la solidarité affichée par Morsi aux Palestiniens un moyen « d’inciter à la violence entre les Israéliens et les Palestiniens ».
« Ceux qui défendent la cause des Palestiniens doivent comprendre que si une nouvelle escalade se produit dans la bande de Gaza, alors la possibilité de nous mettre sur la voie de la paix et de la solution des deux Etats sera repoussée », a mis en garde le président américain, s’adressant au président égyptien et au premier ministre turc.
L’Egypte ne prend pas trop au sérieux les menaces d’une remise en cause de la paix : les négociations étant déjà au point mort depuis des années. Mais elle ne veut pas risquer de mettre à mal ses relations avec Washington, surtout que les Frères musulmans en sont encore à leurs débuts dans les cercles du pouvoir. Pour le moment, ils semblent confiants. Israël ne voudra pas aller plus loin et les Israéliens ne veulent pas voir leurs soldats mourir dans le bourbier de Gaza. Un compromis se profile à l’horizon. Il devra empêcher davantage de massacres de la part de l’Etat hébreu.
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