Une ancienne photo montre des djihadistes au Sinaï.
«
Difficile de connaître l’identité des auteursdes attaques. C’est à la police de répondre à cette question ». C’est le réponse du président du conseil des tribus du centre du Sinaï, cheikh Abdallah Gahamma, lorsqu’on lui demande qui commet des attentats dans la péninsule. Quelques heures auparavant, lundi dans l’après-midi, le camp des forces antiémeutes du Nord-Sinaï a été pris pour cible. Le cheikh continue et nous présente sa propre théorie. «
Ils n’appartiennent pas à Al- Qaëda
. Ce serait plutôt le Mossad israélien », dit-il. Cette théorie semble corroborée par les mises en garde lancées par Israël, quelques jours avant cette attaque, contre d’éventuels actes de violence. «
Je pense qu’Israël a exploité certains pays voisins pour exécuter ses plans et créer un déséquilibre sécuritaire dans la péninsule du Sinaï sous prétexte que des éléments d’Al-Qaëda
y sont implantés. Israël veut que le Sinaï demeure inhabité et ne veut surtout pas que ses richesses soient exploitées ou que des usines y soient installées », développe Gahamma, qui parle d’une guerre motivée par des considérations d’ordre idéologique et économique. La théorie évoquée par Gahamma trouve un écho chez beaucoup d’habitants du Sinaï, voire chez beaucoup d’Egyptiens. Mais beaucoup s’interrogent sur la passivité des appareils de sécurité, qui n’ont toujours pas trouvé la piste des auteurs des attentats de Rafah du mois du Ramadan cette année.
Les djihadistes prospèrent, en effet, dans une sorte de « no man’s land ». Depuis la révolution, ils profitent du vide sécuritaire et lancent leurs attaques contre l’armée et la police. Qui sont-ils ? Et surtout que veulentils ? Israël se cache-t-il vraiment derrière leurs attaques ? Des questions que tout le monde se pose aujourd’hui.
Difficile cependant d’apporter des réponses définitives à ces questions. Ce qui est certain c’est que certains de ces djihadistes sont des étrangers infiltrés sur le territoire égyptien (un Libyen aurait été tué dans une récente opération militaire et un Tunisien a été arrêté). Leur objectif ? Déstabiliser les régimes arabes et fonder un émirat islamique.
Certains de ces groupuscules auraient des liens avec le chef actuel d’Al-Qaëda, Ayman Al-Zawahri (lire fiche ci-dessous). Et pour l’instant, on n'en sait pas beaucoup plus, car les informations fournies par les instances sécuritaires se caractérisent par une grande opacité.
Craintes de dérapages
Ce que la population du Sinaï craint le plus c’est l’attitude des appareils de sécurité. « Nous ne voulons pas revenir au temps de Moubarak lorsque n’importe qui pouvait être arrêté et emprisonné sans motif et sans jugement », lance Ali Osman, un jeune bédouin.
Après les attentats terroristes de Taba en 2004 et Dahab en 2006, des centaines ou peut-être des milliers de bédouins innocents avaient été arrêtés et jetés en prison lors de vastes coups de filet. L’objectif de ces détentions aléatoires était de forcer les accusés en fuite à se rendre à la police.
Depuis la résurgence de la violence dans le Sinaï, des renforts de l’armée et de la police ont été dépêchés dans la péninsule, ce qui fait craindre aux habitants un retour des arrestations arbitraires. « Lorsque la police découvre un terrain planté de drogue, elle arrête n’importe qui afin de clore le procès. Parce que le terrain n’a pas de propriétaire », explique le cheikh Abdallah Gahamma.
Mais au-delà de la sécurité, c’est la question du développement du Sinaï qui se retrouve à nouveau au centre d’un vif débat. C’est ce que souligne l’expert des affaires sécuritaires du Sinaï, le général Ahmad Al-Saïd. Il pense que le gouvernement doit avancer parallèlement sur trois voies principales. Il faut traquer les groupuscules armés, légaliser le commerce entre l’Egypte et la bande de Gaza, tout en mettant un terme au phénomène des tunnels secrets, qui est, selon lui, « l’une des principales raisons des incidents du Sinaï ». Al-Saïd suggère même de créer une zone franche à Rafah.
Développer la péninsule
La troisième voie, enfin, est celle du développement de la péninsule « en exploitant dans un premier temps les richesses naturelles du Sinaï ». Cette troisième voie suppose entre autres un changement des procédures liées à l’investissement dans le Sinaï. Le cheikh Gahamma précise qu’il faut « prendre l’avis des cheikhs du Sinaï, même dans les détails, pour être en mesure de déterminer les meilleurs moyens de développement et d’exploitation des richesses de cette région stratégique ». Cheikh Nasr Abou-Akr affirme, lui, que les chefs de tribus du Sinaï sont parfaitement soudés et que c’est à l’Etat de leur redonner du prestige et de les considérer comme de véritables interlocuteurs.
Mais pour cela, il faut également que l’Etat s’assure que les malversations commises par le régime précédent ne se reproduisent pas et que les familles qui en ont été victimes trouvent réparation. Pour avancer dans la voie d’un dialogue constructif, « nous proposons de répartir les tribus en quatre entités. Chaque chef de tribu deviendra responsable de l’entité le concernant. Il aura à sa charge chaque membre de sa tribu jusqu’au quatrième arrière-grand-père. Il sera de cette manière possible de détecter tout étranger apparaissant dans la région », conclut Abou-Akr. Une mission dépêchée par le président dans le Sinaï est rentrée avec le constat improductif « qu’aucun dialogue ne parviendra avec les djihadistes tant que l’Etat continue à les traiter d’ennemis ». Le gouvernement devra, cependant, le plus rapidement possible s’attaquer à ce problème avec un véritable plan d’ensemble, pour que l’Egypte cesse de prêter le flanc au terrorisme.
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