Mercredi, 06 novembre 2024
Dossier > Dossier >

Egypte : Craintes sur un retour de la violence aveugle

Samar Al-Gamal, Mardi, 13 novembre 2012

La montée des islamistes, accompagnée d’une résurgence des groupes djihadistes dans le Sinaï et le recrutement de combattants pour la Syrie, font craindre un retour du terrorisme en Egypte. Un fléau dont le pays ne s’est jamais complètement débarrassé.

Securite
(AP)

«Dieu est grand ... Gloire à Dieu », une voix arabe commente des images montrant des combattants et des blessés en sang. Des clips en provenance de Syrie montrent les opérations des groupes islamistes armés contre le régime d'Al-Assad. Ces vidéos étaient diffusées en plein centre de Tahrir, place emblématique de la révolution égyptienne, vendredi dernier.

La place avait alors une allure particulière. Des barbus — au sens le plus strict du terme — et des femmes en noir couvertes de la tête aux pieds manifestaient pour réclamer l’instauration de la « charia » en Egypte. Quelques milliers d’islamistes, dont beaucoup de salafistes et de membres de la Gamaa islamiya, avaient fait le déplacement.

Inspirés par les clips des révolutionnaires sur leur combat politique ou sur les atrocités de la police ou de l’armée, les islamistes diffusent désormais leurs images. Est-ce dans le but de recruter de jeunes Egyptiens pour le djihad contre le régime d’Al-Assad, à l’instar de l’Afghanistan ? Tout est possible.

Les salafistes ont, en effet, déjà envoyé un certain nombre de jeunes hommes prêter main forte aux islamistes syriens : des volontaires acheminés dans le plus grand secret, même si certains se font parfois arrêter sur place.

Difficile d’évaluer le nombre exact des djihadistes en Egypte ou en Syrie, mais une cellule « terroriste » a été démantelée à Madinet Nasr, la banlieue nord du Caire. L’un des accusés est un capitaine de l’armée de l’air égyptien qui aurait « démissionné pour soutenir les Syriens », selon ses aveux lors de l’interrogatoire.

Circonstances atténuantes ?

Montasser Al-Zayat, avocat de longue date des groupes islamistes, affirme que « les accusés ont été touchés par les images des martyrs et des blessés et étaient prêts à apporter une aide au peuple syrien », avant d’ajouter que « parler d’une cellule terroriste est exagéré ». Mais selon des informations non confirmées officiellement, les accusés « avaient planifié de se débarrasser de plusieurs personnalités politiques ». Le Parquet de la Sûreté d’Etat n’a cependant pas révélé les détails de l’enquête.

Les leaders des anciens mouvements djihadistes en Egypte, la Gamaa islamiya ou le djihad, auteurs des attentats terroristes de Louqsor et de l’assassinat du président Sadate, assurent que les mouvements égyptiens ont renoncé à la violence après des « révisions idéologiques » de leurs doctrines (lire page 5).

Entre 1992 et 1997, l’Egypte a connu plusieurs centaines d’attaques terroristes. La tuerie de Louqsor, lorsque des terroristes de la Gamaa islamiya, déguisés en policiers, s’introduisirent dans le temple de Hatchepsout et tuèrent de sang-froid 58 touristes et 4 Egyptiens et blessant près de 400 personnes, avant d’être eux-mêmes abattus par la police, a marqué les esprits.

Ils considéraient le régime de Moubarak comme l’un des plus hérétiques et des plus corrompus du monde islamique, à cause de ses liens étroits avec les Etats-Unis et Israël. Ils reprochaient aussi à l’ancien président de ne pas avoir appliqué la charia. La création d’un Etat théocratique en Egypte était leur objectif principal.

Les violences se déplacent

Après une pause, les attentats reprennent en 2004, mais loin de la Haute-Egypte dévastée par la lutte armée entre la police et les fondamentalistes armés. Les terroristes trouvent alors dans le Sinaï, région désertique et délaissée par l’Etat, un nouveau terrain d’accueil. Il s’agit cependant de mouvements moins organisés que ceux qu’avait connus l’Egypte dans les années 1990. Des cellules inspirées d’Al-Qaëda, comme l’explique le chercheur spécialisé des mouvements islamiques, Diaa Rachwane, s’y développent, « mais sans appartenance directe avec le mouvement de Bin Laden ».

C’est dans cette péninsule malheureuse, tantôt occupée par Israël, puis théâtre d’une guerre pour la libérer avant de servir comme refuge pour des Palestiniens encerclés par Israël, que se crée un vide sécuritaire. Ce vide, particulièrement au Nord-Sinaï, a favorisé l’expansion de militants extrémistes, alors que la région est depuis longtemps une zone de trafics en tout genre.

S’il y a bien une chose en abondance dans cette zone, ce sont les armes. Et il est toujours difficile de faire la différence alors entre un simple bédouin et un terroriste. Tous se sont armés contre un régime de Moubarak qu’ils considéraient comme oppresseur et discriminatoire.

La guerre contre Kadhafi, à l’autre bout de la frontière égyptienne, a multiplié le nombre d’armes en circulation dans la région. Un nombre impressionnant d’armes, de canons à épaule antiaériens, de missiles antiblindage et antichars sont désormais dans les mains de combattants plus ou moins extrémistes.

Attaques à répétition

Pour le moment, les djihadistes ont attaqué à l’arme lourde le siège de la préfecture de la sécurité, le cabinet du gouvernorat, le poste de police d’Al-Arich et un poste militaire faisant plusieurs dizaines de morts. Les opérations menées par l’armée n’ont pas empêché la riposte des extrémistes, provenant vraisemblablement du Mouvement Al-Salafiya al-djihadiya (le mouvement salafiste djihadiste).

L’avocat des groupes islamiques, Al-Zayat, estime que les « takfirisdans le désert du Sinaï trouvent un lieu propice pour se venger de l’appareil de sécurité qui, à l’époque de Moubarak, était l’auteur de tortures et de mauvais traitements chez les tribus bédouines, sans parler de femmes prises en otages par l’Etat ».

Al-Zayat ne nie pas la présence de groupuscules radicaux inspirés par Al-Qaëda, « mais ils se déplacent assez lentement et dans une zone géographique limitée dans le Sinaï et autour de Marsa Matrouh ».

D’après lui, l’appareil de sécurité cherche à gonfler ces incidents dans le but de provoquer la panique chez les Egyptiens : une façon de les punir pour avoir renversé l’ancien régime et de récupérer certains privilèges perdus depuis la révolution.

Une vision reprise par le fondateur des brigades Talaïe al-fath, Magdi Salem, qui a déclaré : « Les dirigeants des mouvements salafistes djihadistes m’ont confirmé que l’attaque menée au Sinaï était une riposte à l’attaque injustifiée menée par les forces de sécurité contre les tribus bédouines et les salafistes ». L’armée obtient, en effet, très peu d’aides des bédouins qui ne souhaitent pas coopérer pour diverses raisons .

Laxisme de l’Etat

L’écrivain Makram Mohamad Ahmad, qui a mené une série d’entretiens avec les djihadistes des années 1990 autour de leur dite « révision idéologique » — qui a engendré plus tard l’abandon de la lutte armée — n’est pas convaincu par cette vision. Il reconnaît la responsabilité de l’Etat, sa répression et sa volonté d’humilier les bédouins du Sinaï, mais croit que l’arrivée d’un chef d’Etat islamiste a encouragé la résurgence des radicaux armés.

Il critique « le laxisme » de l’Etat à leur égard et l’appel du président à « un dialogue » avec eux. Il ajoute que « le discours modéré qu’adoptent les Frères musulmans sur la charia et l’identité civile de l’Etat est mou, selon les djihadistes, et ne rime pas avec leurs convictions idéologiques de lutter pour renverser les régimes arabes, jugés impies, et instaurer des Etats théocrates »

Un des dirigeants de la Salafiya djihadiya, Ahmad Achouch, a déjà promulgué une fatwa contre le président Morsi pour son « refus d’appliquer les dispositions de la charia ». La fatwa, le qualifiant « d’apostat », a cependant provoqué des indignations dans le camp des salafistes, refusant de décrire les Frères musulmans comme des « tyrans ». Ils ont pourtant exigé que Morsi applique la loi islamique, surtout que « plus de 75 % des gens veulent l’appliquer », croient-ils savoir.

La charia c’est le fond de la division entre islamistes, libéraux et laïcs, notamment sur sa place dans la future Constitution. Vendredi, sur Tahrir, bon nombre de manifestants brandissaient des banderoles avec l’inscription : « La loi de Dieu est notre Constitution ». Est-ce à dire que l’extrémisme et l’intolérance ont désormais atteint le cœur du Caire ? Il est trop tôt pour le savoir.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique