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Liban : La paralysie

Samar Al-Gamal, Mardi, 11 novembre 2014

Face à l'absence de président au Liban, le Parlement s'est offert un nouveau mandat alors que la classe dirigeante peine à mettre fin à ses divergences. La tenue d'un prochain scrutin n’a toujours pas été annoncé.

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(Photo : Reuters)

Le liban est aujourd’hui sans président, ni gouvernement, ni même députés légitimes. En quelques minutes, le Parlement libanais a, en effet, autoprolongé, la semaine dernière, son mandat qui devait en principe se terminer en juin 2013. Et cela jusqu’en juin 2017, pour éviter « le vide total ».

Théoriquement, cette date lui permet d’achever entièrement une nouvelle législature— si l’on additionne la première auto-prorogation. Les députés l’avaient déjà prolongée en mai 2013 de 17 mois, laissant place au doute sur la légitimité d’une telle mesure.

Des activistes avaient tenté d’empêcher les véhicules des députés libanais d’atteindre le Parlement dans le centre de Beyrouth et avaient dressé des tentes place Riad Al-Solh, à quelques mètres du Parlement, pour manifester leur mécontentement au sujet de la prorogation du mandat de la Chambre.

Les députés, incapables pendant une quinzaine de séances de s’accorder sur la loi électorale ou sur le futur président, ont rapidement approuvé cette loi, très problématique, mettant en avant « la sécurité nationale », pour justifier leur position.

Les partisans de la prorogation invoquent aussi comme justification la vacance de la présidence, alors que le président Michel Sleimane ne s’était pas exprimé quand ils avaient approuvé la première prorogation. Son mandat a, en effet, pris fin le 25 mai 2014.

« Sans prolongation, le gouvernement serait obligé de démissionner, et en l’absence du président, cela aurait été le vide total », justifie Rami Al-Rayes, du Parti progressif socialiste de Walid Jumblatt, dans un entretien téléphonique.

Le vote révèle une fois de plus à quel point, 25 ans après leur signature, les accords de Taef sont fragiles. Ils mélangent en effet les cartes des rapports de forces au Liban. Une majorité de 95 sur 97 députés présents ont ainsi voté pour le « oui » alors que 2 députés du parti arménien Tachnag ont voté contre. Les 31 députés restants ont boycotté la séance.

Ainsi, les députés chrétiens du Courant Patriotique Libre (CPL) de Michel Aoun, allié du Hezbollah et du mouvement Amal, ont, contrairement à ces derniers, boycotté la séance et se sont ainsi retrouvés avec leur rival Al-Kataeb d’Amin Jemayel.

Aoun s’est ainsi démarqué de ses alliés du groupe du 8 Marset du Bloc de la réforme et du changement qu’il forme au Parlement avec les Tachnag et Al-Marada de Souleimane Frangié. Alors que Jemayel s’est démarqué du bloc du 14 Mars (lire page 4). La voix des chrétiens a ainsi été dispersée tandis que les musulmans sunnites, chiites et druzes ont voté en faveur de la prorogation.

Le CPL s’était aussi opposé à la première prolongation de mai 2013. « Nous allons faire de nouveau appel au Conseil constitutionnel », explique le responsable des relations extérieures du Courant patriotique libre, Michel de Chadarevian. Joint par téléphone à Beyrouth, il critique la décision, justifiée par des « raisons sécuritaires ». « Beyrouth vient pourtant d’accueillir un marathon auquel ont participé quelque 50000 Libanais et étrangers sans aucun danger », dit-il. Mais il reconnaît un fait: « Nous sommes minoritaires au Parlement, ce qui rendra effective de facto la prolongation ».

Réuni dans le cadre de ses prérogatives présidentielles, le Conseil des ministres, dont le mandat avait effectivement expiré avec le Parlement, n’a pas entériné à l’unanimité la loi de prorogation du mandat de la Chambre.

Neuf ministres sur 28 se sont, en effet, abstenus. Le Conseil des ministres assume les prérogatives de la présidence exclusivement à l’unanimité de ses membres, et l’absence d’unanimité équivaut à un rejet.

L’enjeu dépasse les frontières

Selon un diplomate égyptien qui a servi dans la capitale libanaise, l’enjeu dépasse les frontières libanaises. Il énumère plusieurs facteurs: « Les affrontements entre Daech, le Hezbollah et l’armée libanaise à Tripoli, l’armée qui semble avoir pris la position du Hezbollah, les réfugiés syriens qui bouleversent la démographie libanaise … ».

Les deux grands blocs politiques du pays, l’alliance du 8 Mars, alliée du régime de Bachar Al-Assad, et la coalition anti-syrienne du 14 Mars sont ainsi exacerbées par la crise syrienne. Le diplomate égyptien, qui préfère garder l’anonymat, ajoute qu’« un autre facteur important est le retard de l’argent saoudien qui pourrait financer une entente. Et le problème est que tout le monde est occupé à autre chose que le Liban ». Il fait ici allusion à l’Arabie saoudite, l’Iran, la Syrie, les Etats-Unis et la France. Un fait qui s'explique selon une autre haute source diplomatique par le fait que le Liban « a toujours servi de soupape aux pays de la région. Aujourd'hui, il est remplacé par la Syrie ». Selon cette source, « la crise libanaise n'est pas un conflit interne, le Liban attend une issue qui viendra de l'extérieur, en fonction du statut de Bachar et des rapports américano-iraniens ».

Fin 2013, le roi Abdallah d’Arabie avait promis au Liban 3 milliards de dollars, dont 2,1 milliards en matériel militaire à acheter à la France. Mais Riyad a hésité, avant de finaliser un contrat avec la France la semaine dernière, après que l’Iran eut proposé à Beyrouth un don de 1 milliard de dollars pour s’équiper militairement.

Le diplomate égyptien, en visite à Beyrouth lors de la prorogation, évoque avant tout de profondes divisions sectaires et sociales qui ne datent pas d’hier. Il rappelle ainsi comment pendant une vingtaine d’années la nomination d’un nouveau président a été synonyme de crise, et que presque jamais le chef de l’Etat n’a été désigné à la date officielle.

En 2007-2008, le Liban avait fait face à un vide similaire, à la fin du mandat prolongé d’Emile Lahoud, avant qu’un accord parrainé par le Qatar, la France, la Syrie et l’Arabie saoudite, connu sous le nom de l’accord de Doha, ne mette fin au blocage. « Cette fois, les choses sont encore plus compliquées, parce qu’il y a une tendance à nommer un président qui ne vient pas de l’armée », explique le diplomate.

Candidat de consensus

Deux noms surtout sont avancés. L’un est Michel Aoun, comme candidat du 8 Mars, et l’autre Samir Geagea, candidat du 14 Mars. Mais le nom du chef de l’armée, Jean Kahwagi, se fait de plus en plus entendre, comme candidat de consensus.

Les députés du 8 Mars avaient sans cesse boycotté les séances du Parlement pour l’élection du président empêchant ainsi d’atteindre le quorum requis. La Constitution exige la présence physique dans l’hémicycle des deux tiers des représentants, pour que le processus électoral puisse se dérouler. Cela correspond à 86 parlementaires sur les 128 membres de l’Assemblée nationale. Or, le Hezbollah et son allié, le Courant patriotique libre, rassemblent, avec leurs autres alliés, plus de 40 députés, ce qui leur permet techniquement d’empêcher toute élection. Le CPL cherche par son boycott à imposer un amendement constitutionnel, en vertu duquel le chef d’Etat serait élu au suffrage universel en deux tours.

« Pas de nouveau sur ce sujet. Pas de consensus » s’accordent à dire Chadarevian et Rayess. « Notre camp possède un pouvoir de décision au plan national, ainsi qu’un mandat régional. C’est ce que l’autre camp doit réussir à faire. Nous sommes en faveur d’un candidat bien déterminé, et il assure à tous la meilleure représentation chrétienne et nationale. Son nom... le général Michel Aoun », a lancé le leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah, dans un discours la semaine dernière.

Mais à la surprise de tous, le chef du Hezbollah a tenu des propos conciliants envers le mouvement de 14 Mars, en leur tendant « la main », et a même rendu hommage au rôle joué par Saad Hariri lors des derniers incidents de Tripoli et son soutien à l’armée.

Le nouveau prolongement et le vide présidentiel actuel illustrent une fois de plus la panne du processus démocratique au Liban. Cela est tellement ironique que pour tenir des élections législatives, il faut une nouvelle loi électorale. Or, selon la Constitution, la Chambre ne peut pas légiférer en l’absence de président, et il faudrait pour organiser le scrutin un premier ministre, mais d’abord un président pour le désigner, et un président doit être nommé d’abord par des députés. L’extension, au lieu de marquer une sortie de crise, consacre l’état de paralysie.

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