Main dans la main, le Qatar et les Emirats arabes unis ont été les seuls pays arabes à participer à l’intervention militaire, coordonnée par l’Otan, pour soutenir les révolutionnaires libyens contre le régime de Kadhafi. Ils ont fourni un soutien militaire, financier et médiatique aussi. Ils étaient aussi parmi les premiers pays arabes à reconnaître le Conseil national de transition après la chute de Kadhafi. Trois ans plus tard, ces deux monarchies du Golfe se retrouvent dans deux camps complètement opposés.
Tandis que les Emirats soutiennent ouvertement le gouvernement actuel de Abdallah Al-Thenni et le Parlement élu le 25 juin dernier, dominé par les nationalistes et boycotté par les députés islamistes, le Qatar est accusé d’armer et de financer les milices islamistes qui agissent sous le nom de Fajr Libya, notamment ceux de Misrata et proches des Frères musulmans, et qui combattent le pouvoir actuel.
Selon Malek Aouny, rédacteur en chef de la revue Al-Siyassa Al-Dawliya, publiée par la Fondation Al-Ahram, les Emirats sont, désormais, un grand acteur sur la scène libyenne qui s’active sur tous les plans pour soutenir le nouveau régime libyen, afin de le « placer sur la carte politique du Proche-Orient et lui conférer une légitimité et une reconnaissance aux yeux du monde ».
Ainsi, Al-Thenni a salué, lors de sa visite effectuée en septembre dernier à Abou-Dhabi, « le soutien non limité qu’apportent les Emirats à la Libye ».
Un soutien que Ziad Aqel, expert des affaires libyennes au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, explique par le fait que les Emirats, qui ne font pas partie du « groupe des Six pays frontaliers de la Libye (la Tunisie, l’Algérie, le Niger, le Tchad, le Soudan et l’Egypte) », tiennent à être « toujours présents lors des réunions des ministres des Affaires étrangères de ces pays, pour accorder une assistance financière au gouvernement », dit-il. A ceci s’ajoute un grand soutien médiatique, comme l’affirme Kamel Abdallah, politologue égyptien, à travers la couverture par les chaînes de télévision Al-Arabiya, et Sky News basées à Abou-Dhabi, des avancées du général Khalifa Haftar, chef autoproclamé de l’Armée Nationale Libyenne (ANL), alliée aux milices de Zintan, à l’ouest, qui avait lancé une vaste offensive baptisée « Opération Dignité » afin de « purger le pays des islamistes ».
Les médias américains avaient même confirmé une intervention militaire des Emirats en Libye en bombardant, en août dernier, des fiefs islamistes. Selon Aouny, aucune preuve concrète ne montre jusqu’à présent que les Emirats ont vraiment joué ce rôle. Mais Aqel n’exclut pas que les Emirats aient financé, armé et entraîné des milices coopérant avec Haftar, notamment les miliciens nationalistes de Zintan.
L’activisme d’Abou-Dhabi, qui ne cache pas sa méfiance envers l’islam politique, vise, comme l'explique Aouny, à se débarrasser d’un foyer renfermant des extrémistes islamistes qui provoquent des troubles dans des pays frontaliers et dont les répercussions pourraient atteindre la région du Golfe. Un avis partagé par Aqel, qui croit que « l’existence d’un régime islamique en Libye est une grande menace politique pour les Emirats, car l’idéologie des Frères musulmans est hostile aux régimes monarchiques du Golfe, ainsi qu’une menace économique liée au contrôle des puits de pétrole au Moyen-Orient ». Le pétrole est l’une des forces stratégiques de la Libye: environ 86% des pays du sud de l’Europe dépendent du pétrole libyen.
Le Qatar, protecteur de la confrérie
De l'autre, le Qatar arme et finance les islamistes.
(Photos : Reuters)
Dans le camp opposé se dresse le Qatar, qui joue le rôle du protecteur de la confrérie libyenne, et les islamistes qui ont largement perdu le Parlement lors des dernières élections. « Doha a enflammé la situation en Libye », estime Aqel. Doha, qui a mis à la disposition de l’Otan la moitié de son aviation de chasse, des Mirage 2000 et 5000 hommes de ses forces spéciales, et qui a aussi formé et guidé les rebelles libyens, a réussi à gagner de grandes zones d’influences auprès des milices islamistes. Sur le terrain, les conseillers militaires qatari ont largement privilégié, financièrement et militairement, les groupes islamistes, comme ceux de Abdel-Hakim Belhaj, d’Ismael Salabi, la Katiba des Martyrs d’Abou-Salim.
La fin de l’époque de Kadhafi n’a pas marqué néanmoins la fin de l’intervention qatari dans le pays. « Son soutien, surtout militaire, aux groupes islamistes prend de l’ampleur », explique Aouny. Le premier ministre libyen, Abdallah Al-Thenni, a accusé le 17 septembre dernier l’émirat du Qatar d’avoir envoyé trois avions chargés d’armes et de munitions aux miliciens islamistes qui contrôlent l’aéroport de Tripoli, menaçant « de rompre toutes les relations avec le Qatar si cette ingérence grossière dans les affaires internes libyennes se poursuit ». Al-Thenni a également accusé le Soudan d’avoir tenté de livrer des armes aux islamistes originaires de la ville de Misrata. En outre, Aouny parle d’un axe « destructeur » formé par le Qatar et le Soudan, complété par l’ingérence de la Turquie. La ville de Misrata, comme l’indique Aouny, jouit d’un grand soutien turc, puisque la plupart de ses habitants ont des origines turques.
Selon Aqel, Doha craint de perdre son influence en Libye après la chute des islamistes en Egypte et leur régression en Tunisie.
« Doha ne cherche pas à trouver un règlement politique au conflit libyen, mais le plan du Qatar et de la Turquie, en soutenant les islamistes et les groupes takfiristes en Libye, vise en premier lieu à conserver l’état du chaos, afin de déstabiliser et d’épuiser les pays voisins de la Libye, notamment l’Egypte », pense Aouny. Et de conclure: « Si le rôle de cet axe n’est pas neutralisé, le conflit en Libye persistera ».
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