
Des réfugiés syriens entassés à la frontière turque. (Photo : Reuters)
L’un est écarté, l’autre hésite. Le premier est un allié d’Assad, le second est son ennemi. Les deux, Téhéran et Ankara, ne sont pas dans la coalition que forment les Etats-Unis contre le groupe de l’Etat Islamique (EI). Silencieuse au début, la Turquie se dit finalement prête à «
faire le nécessaire » pour aider la coalition contre l’EI, suite à la libération de 49 Turcs pris en otage par le mouvement terroriste dans la ville iraqienne de Mosoul.
Pourtant, la controverse est de mise sur les intentions de la Turquie. Personne ne sait si le président turc, Recep Tayyep Erdogan, souhaite pleinement s’engager dans la coalition. L’hésitation de la Turquie s’explique en premier lieu par le fait que les conséquences de la guerre contre l’EI en Syrie ne sont pas certaines. La coalition américaine est-elle dans l’intérêt du régime de Bachar ou contribuera-t-elle à sa chute ?
La Turquie partait comme beaucoup d’autres pays du principe que l’opposition syrienne armée, Daech et le Front Al-Nosra inclus, allait faire chuter le régime syrien, ennemi de la Turquie. Ainsi, des combattants de ces deux mouvements terroristes ont été soignés dans des hôpitaux turcs, selon le Washington Post du 12 septembre. La Turquie est aussi accusée d’avoir laissé l’EI exporter du pétrole syrien à travers ses frontières.
La question kurde est aussi importante pour la Turquie. Le régime turc et les kurdes se battent depuis environ 30 années, pendant lesquelles le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a constitué le principal ennemi du gouvernement turc.
Ankara craint que les Kurdes, qui combattent Daech, ne se renforcent grâce au soutien de la coalition. Les Kurdes reçoivent notamment du matériel militaire sophistiqué en provenance de France et d’autres pays de la coalition. « Il est important pour la Turquie que les Kurdes ne deviennent pas plus puissants », avertit Walid Kazziha, professeur de sciences politiques à l’Université américaine.
« Le conflit kurde avec l’EI affaiblit les deux camps », estime par ailleurs Walid Kazziha, qui croit que la Turquie ne veut pas s’engager contre l’EI, dont la présence lui semble bénéfique.
Mais le conflit entre les Kurdes et les Turcs est en train de changer, affirme Ahmad Abd-Rabbo, professeur en politiques comparées à l’Université du Caire. En 2009, une nouvelle stratégie a pris forme en Turquie avec la politique du « zéro conflit avec les voisins », explique Ahmad Abd-Rabbo. Cette politique « pacifique » n’est pas en accord avec un PKK en conflit avec l’EI, parce que cela signifie plus d’armes dans les mains des kurdes qui combattent l’EI.
D’après le Haut Commissariat des réfugiés (UNHCR), plus de 1,5 million de réfugiés syriens ont trouvé refuge en Turquie. Une poursuite encore plus du conflit dans le nord de la Syrie serait synonyme de davantage de réfugiés en Turquie, y provoquant plus de troubles politiques et économiques.
Ahmad Abd-Rabbo estime cependant que le fait d’anéantir l’EI aurait comme conséquence une diminution du nombre des réfugiés en Turquie. Il croit ainsi qu’Ankara finira par rallier la coalition. « La Turquie a des ambitions pour rejoindre l’Union européenne et voudrait faire cela à travers un rôle efficace en tant que membre de l’Otan », ajoute-t-il. Ahmad Abd-Rabbo estime que la Turquie veut montrer à l’Europe qu’elle peut employer son armée pour protéger l’Europe.
L’Iran pris entre deux ennemis
L’Iran est lui aussi hésitant. Le groupe radical sunnite affiche ses intentions ethniques en ciblant en premier lieu les chiites, que Téhéran protège. « L’EI est aussi une menace pour l’Iran, parce que le groupe terroriste est contre le régime de Bachar Al-Assad et menace les frontières iraniennes », précise Mohamad Abbas Nagui, spécialiste des affaires iraniennes au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram.
Toutefois, selon Walid Kazziha, « Si l’Iran s’engage du côté de la coalition, ceci signifierait abandonner un allié: Bachar Al-Assad ».
« Daech représente une opportunité pour améliorer les relations irano-américaines, c’est ce que veut Rohani, le président iranien », poursuit Mohamad Abbas Nagui. Pour lui, Téhéran souhaite une coopération avec les Etats-Unis, même s’il n’a pas été invité à rejoindre la coalition. Mais « Washington ne veut surtout pas subir de pressions de la part de l’Iran dans les discussions sur le nucléaire, en échange du soutien iranien à la coalition contre Daech en Iraq et en Syrie ». Malgré le fait que l’Iran n’est pas l’ami des pays de la coalition, Ahmad Abd-Rabbo pense qu’il y aura des accords secrets où Téhéran aidera les Etats-Unis sous forme d’informations et de logistique. « Les Iraniens cherchent des gains politiques », dit Ahmad Abd-Rabbo, en référence à la nécessité que ces accords restent secrets, vu que l’Iran se proclame l’ennemi d’Israël et de ceux qui le soutiennent, notamment les Etats-Unis.
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