Les tensions diplomatiques qui persistent depuis 6 mois entre le Qatar d’une part et l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et Bahreïn de l’autre, n’ont pas empêché ces quatre monarchies du Golfe de se trouver dans un seul camp contre le groupe de l’Etat islamique (Daech), sous la houlette des Etats-Unis.
En mars dernier, ces trois pays ont rappelé leurs ambassadeurs à Doha, accusant le Qatar de s’ingérer dans leurs affaires internes et de déstabiliser la région en soutenant les Frères musulmans. Depuis lors, les ambassadeurs ne sont jamais retournés à leurs postes, mais les pays rivaux sont parvenus à un difficile consensus fin août. Il s’agissait de mettre de côté les « agendas régionaux » pour faire face à leur « ennemi commun », comme l’explique Mohamad Ezz Al-Arab, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. « Les différends entre ces pays existent toujours, ils les ont été temporairement classés. Et si Doha a accepté d’extrader certaines figures des Frères musulmans, cela ne signifie pas qu’il a cessé de soutenir la confrérie », ajoute-t-il.
Selon Walid Kazziha, professeur de sciences politiques à l’Université américaine du Caire (AUC), les pressions américaines ont joué un grand rôle, pour pousser le Qatar à « prendre position aux côtés des autres pays du Golfe ». Obama avait déclaré que pour mener à bien cette coalition contre l’Etat islamique, il a besoin de « la coopération de tous les Etats du Golfe sans exception ». Outre le financement de la guerre qui sera sans doute assumé en grande partie par ces monarchies, celles-ci devront également garantir à Washington des facilités militaires majeures.
Ainsi, une base militaire américaine sera établie sur le sol saoudien pour l’entraînement des rebelles syriens. Doha, de son côté, mettra à la disposition des Américains la base aérienne d’Udeid, qui devra accueillir le Centcom (commandement militaire chargé du Moyen-Orient et de l’Asie central), alors que Bahreïn abrite déjà la Ve Flotte américaine.
Le Koweït, absent sur la scène militaire, a alloué 10 millions de dollars d’aide humanitaire au profit des communautés brutalisées par Daech. L’armée américaine possède aussi dans cet Emirat des aéronefs stationnés à la base Ali Al-Salem, qu’elle utilise dans cette guerre contre Daech.
Selon le Pentagone, 10 des 16 avions qui ont bombardé des raffineries contrôlées par le groupe de l’Etat islamique appartenaient à l’Arabie saoudite et aux Emirats, qui ont largué 80% du tonnage total d’explosifs. Toutefois, selon Kazziha, la participation militaire de ces « partenaires régionaux » n’est qu’un simple décor. Elle sert seulement à donner une certaine légitimité à l’intervention américaine dans la région, pour que celle-ci ne soit pas conçue comme une attaque occidentale contre le Moyen-Orient.
Mesures draconiennes
« En ralliant la coalition contre Daech, l’objectif des pays du Golfe est en premier lieu de mettre fin à ce groupe qui représente aujourd’hui une menace directe à leur sécurité », explique Mohamad Abbas, chercheur au CEPS. Les monarchies du Golfe voient d’un mauvais oeil la progression de Daech en Iraq et en Syrie. Le Koweït se trouve, en effet, parmi les pays les plus visés par le groupe islamiste. Le « califat » que celui-ci veut instaurer remet aussi en cause la légitimité de ces monarchies, notamment de l’Arabie saoudite. Déjà avant de s’engager dans cette lutte militaire, le royaume avait pris depuis mars dernier une série de mesures pour protéger son territoire contre l’avancée de ce groupe. A la frontière iraqienne, Riyad a édifié un mur qui s’étend sur près de 900 kilomètres, pour empêcher toute incursion de combattants islamistes. Les autorités saoudiennes ont inscrit Daech sur leur liste des organisations terroristes et ont menacé de lourdes peines de prison toute personne qui en fait partie. Sur le plan religieux, le grand mufti d’Arabie saoudite a déclaré Daech l’« ennemi numéro un de l’islam ». Parmi ses rangs, Daech compterait, selon des estimations, quelque 4000 Saoudiens sur 5000 combattants originaires des pays du Golfe.
« Après avoir contribué à l’émergence du groupe islamiste, les pays du Golfe se sont rendu compte très tardivement de son danger sur leur sécurité », explique Kazziha. « Obsédées par l’hégémonie de l’Iran sur la région, les monarchies du Golfe ont fermé les yeux sur l’acheminement des fonds que des associations caritatives versaient dans les caisses de ces djihadistes sunnites, dans l’espoir d’affaiblir le régime syrien, allié de Téhéran », explique Kazziha.
Aujourd’hui, cette guerre menée contre Daech est peu populaire pour une large tranche des populations du Golfe. « En s’alignant sur Washington pour combattre ce groupe qui dit vouloir mettre fin à la marginalisation des sunnites imposée par les régimes chiites dans la région, ces monarchies pourraient faire face à une importante contestation au sein de leurs propres sociétés », prévoit de son côté Ezz Al-Arab.
Bachar: Cible numéro 2
« En se lançant dans le combat, les pays du Golfe visent aussi à élargir la cible pour inclure le régime de Bachar Al-Assad », estime Abbas. En fait, depuis 2011, les pays du Golfe appellent incessamment à une intervention militaire pour punir le régime de Bachar, sans pour autant parvenir à faire bouger les puissances occidentales. Ce qui a mené à un coup de froid dans leurs relations avec Washington. Selon Mustafa Alani, analyste au Gulf Research Center basé à Genève, les monarchies du Golfe auraient lié leur participation à la condition anti-Daech menée par les Etats-Unis à un engagement américain en faveur d’une action militaire en Syrie. Une possibilité étayée par les déclarations en provenance du Golfe. Le prince Tamim du Qatar a déclaré dans une interview sur la chaîne d’informations américaine CNN qu’à court ou à moyen termes l’objectif du Qatar et de ses partenaires est de « se débarrasser des mouvements terroristes » en Syrie, « à plus long terme, il faudrait s’attaquer au régime de Bachar Al-Assad », ajoute Tamim. Toutefois, pour le politologue Abbas, les résultats de la guerre contre Daech pourraient aller contre toutes les prévisions des pays du Golfe et renforcer le régime de Bachar. « Parce qu’en fin de compte, combattre Daech c’est affaiblir un ennemi de Bachar ».
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