Taxer les riches, subventionner les démunis et étendre les services de santé et d’éducation. Tels sont les 3 éléments indispensables pour instaurer la justice sociale dans un pays qui compte des dizaines de millions de personnes installées dans des bidonvilles, côte à côte avec d’autres millions habitant des palais. Où en est sur ce point le gouvernement du président fraîchement élu ? Ses premiers 100 jours de pouvoir permettent de déterminer la direction de son agenda socioéconomique. Le président Abdel-Fattah Al-Sissi avait préféré lors de sa campagne ne pas faire connaître son programme politique, mais a promis par exemple, lors de sa 1re interview télévisée, de ne pas supprimer les subventions publiques avant d’« enrichir le peuple ».
Le début du mandat présidentiel a été marqué par la baisse du tiers des subventions à l’énergie destinée aux particuliers : essence, gasoil, électricité et gaz naturel. Objectif annoncé : réduire le déficit budgétaire et augmenter les dépenses publiques dans l'éducation et la santé.
Le Fonds Monétaire International (FMI) a quand même estimé que l’annulation des subventions à l’énergie allait accroître le nombre d’Egyptiens vivant avec moins de 2 dollars par jour de « 1,5 million de personnes », d’après une étude publiée en juillet. Ceux-ci sont déjà au nombre de 40 millions, dont la moitié vit avec un dollar par jour.
En ce qui concerne les prix de l'électricité, « Le gouvernement a choisi de compromettre l’intérêt des moins favorisés pour ne pas supprimer les avantages des plus riches », note Gouda Abdel-Khaleq, ancien ministre de la Justice sociale, dans un article publié dans le quotidien Al-Ahram. Ainsi, ceux qui ne disposent d’aucun appareil électroménager et donc consomment très peu d’électricité ont relativement bien encaissé la hausse de leur facture d’électricité, comparés à ceux qui possèdent plus d’un climatiseur.
Le choix même du ministre des Finances permet de détecter en partie la politique socioéconomique du président. Hani Qadri a été pendant de longues années assistant du néolibéraliste Youssef Boutros-Ghali, dernier ministre des Finances avant le renversement de Moubarak. Boutros-Ghali a formulé plusieurs législations et réformes qui n’ont fait qu’enrichir davantage une classe d’entrepreneurs pour promouvoir la croissance, et cela dans l’espoir de redistribuer plus tard les richesses. Or, la phase de redistribution n’a jamais eu lieu. Malgré les longues années de croissance, le problème du chômage s'est aggravé, et quelque 60 millions d’Egyptiens continuent à vivre avec moins de 5 dollars par jour. Le grand soir n’est pas non plus arrivé le lendemain des changements de régime du 25 janvier 2011 ou du 30 juin 2013.
Qadri avait présenté à Al-Sissi un budget au déficit de 13 % pour l’exercice fiscal courant. Celui-ci, en tant que détenteur provisoire du pouvoir législatif, a demandé à faire baisser le déficit à 10 %. Les détails de la baisse des dépenses publiques n’ont été rendus public que le samedi 14 septembre, soit presque un trimestre après la mise à exécution du plan d’action gouvernemental annuel. Premier choc : Qadri a choisi de rétrécir l’écart entre les revenus et les dépenses en coupant dans les dépenses publiques sur les subventions aux médicaments. Ainsi, l’année où « 12 millions de personnes sont malades d’une hépatite C, seules 60 000 auront accès au nouveau médicament promis par le gouvernement à prix réduit », note Alaa Ghannam, directeur de l’unité du droit à la santé à l’Initiative égyptienne des droits personnels (EIPR).
En outre, le ministre a dû désobéir à la Constitution. En juillet, il avait promis d’allouer à la santé 42 milliards de L.E. au budget 2014/2015, d’après le bilan financier publié sur le site du ministère. Ce qui est une violation de la Constitution de 2014, qui stipule que la santé reçoive 3 % du PIB. Le budget de la Santé aurait dû ainsi être de 21 milliards supplémentaires. L’éducation a également été en deçà de l’engagement constitutionnel (6 % du PIB).
Cependant, concernant le tout aussi important sujet de la réforme fiscale, le ministre des Finances a introduit deux nouvelles mesures visant la justice sociale. Tout d’abord, Sissi a approuvé une taxe provisoire de 3 ans frappant les revenus annuels supérieurs à 1 million de L.E. De plus, les propriétaires de logements luxueux devront s’acquitter pour la première fois d’un impôt foncier. Ces deux mesures rapporteront respectivement 3 milliards de L.E. et moins de 200 millions de L.E. lors de l’exercice fiscal actuel. Ahmad Al-Naggar, PDG d’Al-Ahram, estime dans son article hebdomadaire que ce sont deux étapes dans la bonne direction, mais trop légères pour renflouer les caisses de l’Etat. Pour lui, il reste beaucoup à faire pour tenir la promesse de la justice sociale .
Mettre au pas les « énergivores »
Un autre aspect lié à l’injustice sociale n’est pas encore traité. Il s’agit des deux tiers du montant alloué aux subventions à l’énergie, destinés aux industries « énergivores ». Soit une cinquantaine d’usines et d’établissements touristiques, propriétés des grands partisans de Moubarak. Tout comme ses prédécesseurs de l’après-25 janvier 2011, le gouvernement actuel leur a réservé une nouvelle hausse des prix de l’énergie. Pourtant, une source au ministère du Pétrole a confirmé à l’Hebdo — avant cette dernière hausse — que ce puissant lobby ne s’est, en réalité, jamais plié aux nouveaux tarifs. Ce même lobby a arraché au gouvernement son approbation pour l’importation du charbon, une mesure qui lui permet de se procurer une énergie moins chère, mais qui coûterait à l’Etat une dizaine de milliards en infrastructures pour être en mesure d’importer et de limiter les répercussions écologiques. Pour faire bref, ces industriels ont longuement privé les Egyptiens des ressources qui auraient été destinées à l’éducation et à la santé : en effet, selon le FMI, les sommes allouées aux subventions à l’énergie étaient le triple de celles octroyées à l’éducation et 7 fois supérieures à celles de la santé .
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