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Israël peut-il être jugé ?

Samar Al-Gamal, Mardi, 12 août 2014

Avec l'offensive à Gaza, Israël est plus que jamais accusé de crimes de guerre. Mais faire passer en jugement l'Etat hébreu est un processus compliqué.

Israël peut-il être jugé ?
(photo:AP)

Une petite lueur d’espoir. La situation aujourd’hui est différente de celle de janvier 2009, au lendemain de l’opération Plomb durci. Aujourd’hui, pensent les observateurs, il est possible de contourner le système international qui accorde une impunité à Israël et permet de ne pas le condamner pour viol du droit international et crimes de guerre. C’est d’ailleurs les termes utilisés par Human Rights Watch qui accuse l’armée israélienne « d’avoir tué des civils délibérément, alors qu’ils fuyaient les bombardements dans la bande de Gaza ». Le secrétaire général de l’Onu, Ban Ki-moon, avait même devancé le rapport de l’ONG, basée à New York, en affirmant que « tous ceux qui attaquent des bâtiments des Nations-Unies doivent être traduits en justice ». Il se révoltait ainsi contre le bombardement des bâtiments de l’organisation qu’il dirige. Les images qui passent en direct à la télé depuis plusieurs jours dévoilent des enfants tués et des maisons détruites sous les raids israéliens.

Le Conseil des droits de l’homme de l’Onu à Genève a déjà voté, fin juillet, en faveur de l’envoi d’une commission pour enquêter sur de « possibles crimes de guerre » de l’armée israélienne. La résolution adoptée par 29 voix pour, une contre (les Etats-Unis) et 17 abstentions, parle de « violations généralisées, systématiques et flagrantes des droits de l’homme et des libertés fondamentales », découlant des opérations militaires israéliennes, « en particulier, la dernière offensive militaire d’Israël dans la bande de Gaza [...], qui a impliqué des attaques sans distinction et disproportionnées (...), qui peuvent constituer des crimes internationaux ». On parle de 1 400 morts du côté palestinien, en grande majorité des civils, et 50 morts (des soldats) du côté israélien.

Israël peut-il être jugé ?
(photo:AP)

Déjà en 2009, une mission des Nations-Unies enquêtant sur l’opération militaire à Gaza, qui avait fait 1 400 morts palestiniens, en grande majorité des civils, avait publié son rapport sous le titre : « Human Rights Situation in Palestine and Other Occupied Arab Territories. Report of the United Nations Fact Finding Mission on the Gaza Conflict ». La commission, présidée par le Sud-Africain Richard Goldstone, avait alors conclu que Tsahal avait commis des actes pouvant constituer des « crimes de guerre », voire « des crimes contre l’humanité ». Le texte recommandait le lancement d’une enquête pénale et des poursuites contre les responsables des violations, et recommandait également de faire part de la situation à la Cour Pénale Internationale (CPI).

« Il faut jeter ce rapport dans les poubelles de l’Histoire », avait déclaré le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu. Le texte est resté lettre morte. Le Conseil des droits de l’homme de l’Onu qui a exhorté l’Assemblée générale à soumettre le rapport au Conseil de sécurité, afin de saisir la CPI, a opposé une fin de non-recevoir.

Goldstone qui a fait l’objet d’une sévère attaque de la communauté juive a encore publié une tribune dans le Washington Post en 2011 pour atténuer le rapport, affirmant que « de nouveaux éléments avaient montré depuis qu’il n’y avait pas eu de politique visant à cibler les civils de manière intentionnelle ». Sa conclusion s’appuyait, comme il le disait lui-même, sur le travail d’enquêteurs israéliens.

Le statut de Rome n'a pas été ratifié

Au lendemain de Plomb durci, le procureur de la CPI devait décider si l’Autorité palestinienne était un Etat, afin de reconnaître la compétence ad hoc de la Cour, mais il finit par affirmer ne pas être compétent en la matière.

Aujourd’hui et depuis fin 2012, la Palestine est reconnue comme un Etat non membre, ce qui lui permet ainsi de saisir la CPI.

Mais à ce jour, la Palestine n’a toujours pas, tout comme Israël, ratifié le Statut de Rome (ndlr : ensemble des règles régissant le fonctionnement du CPI). Et selon un communiqué du procureur de la Cour, l’Etat hébreu « n’a reçu de la Palestine aucun document officiel faisant état de son acceptation de sa compétence, ou demandant au procureur d’ouvrir une enquête au sujet des crimes allégués ». Par conséquent, ajoute le texte publié au terme d’une rencontre à La Haye entre le procureur de la Cour Fatou Bensouda et le ministre des Affaires étrangères palestinien Riyad Al-Malki, la CPI « n’est pas compétente pour des crimes qui auraient été commis sur le territoire palestinien ».

Malki demandait des éclaircissements sur « les différents mécanismes permettant à un Etat d’accepter la compétence de la CPI et, de manière plus générale, sur le cadre juridique du Statut de Rome ». Selon une source palestinienne, l’OLP « hésite à ratifier le traité, de crainte que la résistance palestinienne ne soit condamnée en parallèle avec Israël ». Selon la même source, le président Mahmoud Abbas aurait envoyé un document aux mouvements Hamas et Djihad précisant les risques juridiques d’un recours devant la Cour, ainsi que les compétences de celle-ci pour réclamer leur aval. Mais en réalité Abou-Mazen, tout comme Washington, Paris et Londres, croit qu’une telle mesure pourrait nuire à un processus de paix déjà dans l’impasse. Netanyahu, lui, a demandé à des législateurs américains de l’aider à mettre à nu ces accusations et saboter la démarche auprès de la CPI.

La Cour pourrait être effectivement saisie de plusieurs manières. La première par un Etat membre au sujet d’un crime commis sur son sol ou par son peuple. La deuxième manière consiste à passer par le Conseil de sécurité de l’Onu qui peut saisir la Cour. Cette perspective semble être bloquée par le veto des Etats-Unis et autres membres européens permanents.

Le Conseil est compétent pour créer des tribunaux pénaux internationaux ad hoc, à l’instar de celui sur l’ex-Yougoslavie, le Rwanda, Saddam Hussein ou sur Rafic Hariri. Mais les enjeux politiques internationaux ne permettent pas de créer un tribunal et le débat sur les crimes de guerre israéliens reste purement formel.

Une autre chance pour que les accusations soient suivies passe par Bruxelles. Un tribunal informel, Russell, en référence à Bertrand Russell, qui, dans les années 1970, avait donné son nom à un tribunal d’opinion publique sur le Viêtnam.

Créé au lendemain de la guerre de 2009, pour juger les Etats-Unis et l’Union européenne pour leur complicité dans la violation du droit international par Israël, le tribunal avait fini ses travaux en décembre 2013. Mais suite à la nouvelle opération militaire israélienne dans la bande de Gaza, « nous avons décidé d’organiser une session extraordinaire le 24 septembre à Bruxelles », explique Frank Barat, coordinateur du tribunal. Joint par téléphone, il explique que le tribunal va poser la question des crimes de guerre. « Ce serait le premier tribunal à juger Israël pour crimes de guerre », renchérit Barat, selon qui plusieurs personnalités ont été invitées à venir témoigner. « Des habitants de Gaza, des journalistes qui travaillaient durant l’attaque, un responsable de l’Unicef, et on attend la confirmation d’Amnesty, de HRW et des médecins de l’hôpital Al-Chefa ».

Le tribunal Russell a le mérite d’apporter une certaine légitimité aux ONG en créant un lobby, un mouvement de solidarité autour de la question. Dans sa conclusion de l’année dernière, il exhortait la société civile mondiale à « reproduire l’esprit de solidarité qui a contribué à mettre fin à l’apartheid en Afrique du Sud », en soutenant surtout le mouvement Boycott qui prend déjà de l’ampleur. L’avocat de droit international Ali Al-Ghatit estime que le fait de se concentrer sur la CPI ne sert en rien les Palestiniens. « Il faudrait chercher en dehors des sentiers battus, et des fois le mieux est de réfléchir out of the box ». Selon lui, les Palestiniens ne manquent pas d’éléments juridiques, ils ont une série de résolutions de l’Onu, un verdit contre le mur de séparation, « mais ils ont tendance à oublier et laissent tomber chaque dossier en faveur d’un nouveau ».

Il appelle ainsi à la création d’un groupe de travail d’experts pour poursuivre toutes les questions d’ordre juridique. Mais, dit-il « la volonté politique fait défaut ».

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