« le président Abdel-Fattah Al-Sissi a exigé la formation rapide du Conseil suprême des médias (...). Il a dit s’être soumis à la volonté des journalistes d’abolir le ministère de l’Information, mais les personnes en charge des médias n’ont pas, à ce jour, pris de mesures pour la formation du Conseil national des médias », rapporte l’agence de presse officielle au terme d’une rencontre du chef de l’Etat avec les rédacteurs en chef de la presse nationale. « Allez-vous encore attendre 6 mois, soit après les élections parlementaires, pour entamer l’examen de la formation de ce conseil ? », s’est-il encore demandé. Mais Diaa Rachwane, président du syndicat des Journalistes qui a assisté à la réunion, nie cette discussion. « C’est du pur mensonge. Il a dit que c’était une question propre aux journalistes ». Officiellement et selon la Constitution, ce futur conseil qui sera en charge des médias — presse écrite et audiovisuel — est une entité qui jouit de « l’indépendance technique, financière et administrative », du pouvoir exécutif et législatif.
L’intervention du chef de l’exécutif, puis de son premier ministre Ibrahim Mahlab, qui a chargé le ministre de la Culture Gaber Asfour, d'engager un dialogue avec les intellectuels pour présenter des propositions sur sa formation, inquiète. L’inquiétude est que le conseil devienne une réplique du ministère de l’Information englobant sous sa tutelle, cette fois, la presse écrite. Ce conseil suprême veillera à l’application de la loi par les médias, explique Rachwane, également ancien membre du comité des cinquante qui a rédigé le texte constitutionnel. « Il sera composé de 5 membres, vérifiera l’application de la charte déontologique, sanctionnera des journalistes. C’est une mission de supervision et non de gestion ». Une sorte d’équivalent du Conseil supérieur de l’audiovisuel en France. La Constitution prévoit la création de deux autres organes (Lire page 5). Un organisme national pour la presse et un autre pour l’audiovisuel. Ce qui équivaut au conseil d’administration des médias publics, un représentant du propriétaire, et ils n’auront donc aucune prérogative sur la télé ou la presse privée.
L’Etat est en effet propriétaire de 8 groupes de presse comptant plusieurs dizaines de publications avec, en tout, 43 000 fonctionnaires à Maspero, la Maison de la radio et de la télévision publiques, dont la gestion constitue le principal défi (lire article page 5). « Ce genre d’organismes nationaux qui dirigent les médias publics n’existent que dans 3 autres pays : la Corée du Nord, la Chine et Cuba », se lamente Rachwane.
Une première réunion s’est tenue mercredi dernier. Invités par le célèbre présentateur Hamdi Qandil, des rédacteurs en chef et journalistes ont exigé « l’accélération » de la formation de ces nouvelles instances. Le président du Conseil suprême de la presse, Galal Aref, et Rachwane ont signé absent. « Nous voulons la formation de ce conseil avant l’élection du Parlement qui sera probablement dominé par des députés de l’ancien régime et allié de la sécurité », explique Gamal Al-Chennawi, rédacteur en chef de la chaîne d’infos ONTV, présent à la rencontre. D’après lui, ils ont discuté de la formation de plusieurs comités : l’un sera chargé de préparer une loi du Conseil suprême des médias, un autre élaborera une loi sur la création d’un syndicat pour les journalistes de l’audiovisuel, un autre pour la presse, et enfin deux entités pour discuter de la formation des deux organismes nationaux.
Le lendemain, c’est le bureau du Conseil du syndicat qui est en réunion, travaillant sur un communiqué solide pour rejeter « l’intervention du pouvoir exécutif » et l’élaboration de nouvelles lois sur la presse ou sur les nouveaux organes de médias en l’absence actuelle d’Assemblée du peuple (Chambre basse du Parlement). La loi de 1996 régissant la presse, modifiée par le dernier président intérimaire Adly Mansour, indique effectivement que le mandat du Conseil suprême de la presse s’achève avec la restructuration des institutions de l’Etat et l’élection de l’Assemblée du peuple. « Ce qui confirme l’absence de nouvelles lois avant l’élection de l’Assemblée du peuple », précise le communiqué.
Le débat est aussi de nature juridique. En l’absence de Chambre basse, le chef de l’Etat peut promulguer des lois, lesquelles doivent être soumises aux députés au maximum 15 jours après. L’Assemblée du peuple aura alors le droit de les approuver ou de les rejeter. « Mais tant qu’il n’y a pas d’urgence, il vaut mieux attendre l’élection de l’Assemblée du peuple », croit Nour Farahat, professeur de philosophie du droit constitutionnel. « Le président est chargé des législations d’importance et son intervention maintenant dans la législation, liée à ces nouveaux organes de médias, conduira à leur subordination au pouvoir exécutif », explique Farahat. Selon un journaliste célèbre présent à la réunion avec Al-Sissi, le journaliste et membre du Conseil suprême de la presse Salah Issa a dû interrompre le chef de l’Etat pour expliquer l’exigence constitutionnelle d’attendre le Parlement.
Mais Al-Sissi qui fait des médias aux côtés des hommes d’affaires et de l’armée le triangle de sa gouvernance ne ratera probablement pas une telle occasion. A plusieurs occasions, et depuis qu’il était candidat à la présidentielle, il a dévoilé une conception de médias orientés en appelant à « unifier les voix », à « l’alignement dans la guerre pour construire l’Egypte ». Reporters sans frontières, organisation internationale de défense de la presse basée à Paris (France), parle ainsi dans son dernier rapport sur l’Egypte d’une « Sissi-isation » des médias égyptiens. « Ce sont malheureusement certains journalistes qui incitent le gouvernement à intervenir parce qu’ils sont à la recherche de nouveaux postes », dit un journaliste préférant garder l’anonymat.
« La promulgation par le président de lois spéciales au détriment de la liberté des médias endommagera sérieusement le système politique en Egypte », s’insurge Rachwane. Le syndicat des Journalistes se réunira de nouveau cette semaine pour discuter de la possibilité de former un comité similaire à celui de la Constitution, et élaborer les lois et règlements liés aux nouveaux organismes des médias indépendamment de l’exécutif .
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