La question hante encore les habitants de Gaza, en proie au désarroi face à l’absurdité du paysage politique dans la bande: qui dirige ce territoire ? Officiellement, le gouvernement du
Hamas a cédé, le 2 juin dernier, le pouvoir à Gaza qu’il détenait depuis 2007, en confiant ses prérogatives au gouvernement de consensus national. Celui-ci, fruit de l’accord de réconciliation, signé le 23 avril et mettant un terme à 8 ans de divisions entre le
Fatah et le
Hamas, est composé de 17 ministres, dont 5 installés à Gaza. Ces derniers, soumis au blocus imposé par Israël à leur déplacement vers Ramallah, ont été obligés de prêter serment par vidéoconférence. Deux mois après la réconciliation, l’arrivée des ministres de Cisjordanie à leurs ministères à Gaza, n’a toujours pas eu lieu. Ce gouvernement censé fonctionner en Cisjordanie, comme à Gaza, est désormais inapte à unifier les institutions, provoquant ainsi un vide profond dans le fonctionnement des ministères administratifs de Gaza.
Une situation qui a placé ce gouvernement sous le feu des critiques du Hamas qui durcit le ton et l’accuse d’abandonner le secteur à son sort et de laisser les problèmes quotidiens des habitants sans règlement. Ainsi, l’appareil de l’ancien gouvernement du Hamas est encore actif et gère les ministères sans directives du nouveau cabinet à Ramallah.
« C’est le statu quo », explique Ayman Shabana, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire. Mais cette fois-ci, c’est au gouvernement de consensus qu’incombe la responsabilité aux yeux des Gazaouis. « Ce n’est pas seulement le blocus israélien qui entrave le déplacement de ces ministres. Il y a aussi la persistance des rivalités et le conflit d’intérêts entre le Fatah et le Hamas. En effet, l’accord de réconciliation était une tactique temporaire plutôt qu’une vraie entente. Beaucoup de points n’ont pas été réglés par cet accord », dit Shabana.
La crise des salaires des 50000 fonctionnaires et employés du gouvernement du Hamas a mis en évidence ce vide administratif dont souffre la bande de Gaza. Ces fonctionnaires, qui n’ont pas été payés, réclament d’être traités par le nouveau cabinet, à égalité avec leurs collègues de l’Autorité palestinienne.
Les responsables palestiniens s’échangent les accusations au sujet de cette crise. « C’est la faute à Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, et au premier ministre, Hamdallah », accuse Fawzi Barhoum, porte-parole du Hamas à Gaza. Et d’ajouter: « Il faut qu’ils tiennent leurs promesses, que le nouveau gouvernement paie tous ses fonctionnaires ».
Ibrahim Abou-Nadja, l’un des responsables du Fatah à Gaza, réclame du temps pour que le nouveau gouvernement étudie les dossiers des fonctionnaires. Le budget des salaires du mois de mai avait été préparé avant l’accord de réconciliation. Et il accuse le Hamas de « faire monter la pression, car il a toujours le contrôle sur la bande de Gaza et il ne veut pas lâcher le pouvoir ».
Bien que le Hamas ne fasse pas partie de ce nouveau gouvernement formé de technocrates, le mouvement garde toujours son hégémonie sur le secteur en tenant les ficelles de l’appareil sécuritaire.
En fait, selon l’accord de réconciliation, la restructuration des appareils de sécurité en Cisjordanie et dans la bande de Gaza ne sera faite qu’après les élections législatives et présidentielle prévues dans 6 mois.
L’intervention des forces de sécurité du Hamas lors de la crise des salaires, en fermant les distributeurs de banque empêchant les fonctionnaires de l’Autorité palestinienne de toucher leurs salaires, a démontré une fois de plus que le mouvement garde toujours sa capacité de manoeuvre sur le terrain.
Selon Ossama Mégahed, politologue, ce retrait partiel du Hamas lui a donné un nouveau positionnement. Il est libéré du fardeau de gouvernance tout en gardant une force militaire qui lui permet d’imposer son hégémonie, si nécessaire.
Retour au pouvoir
Les dirigeants du Hamas ont multiplié ces derniers jours les déclarations menaçant d’une reprise du pouvoir à Gaza, face à « la négligence » du gouvernement de consensus, ce qui a suscité la crainte d’une possible remise en cause de l’accord de réconciliation avec l’Autorité de Mahmoud Abbas. Moussa Abou-Marzouq, l’un des dirigeants du Hamas et responsable du dossier de la réconciliation, a écrit sur sa page Facebook : « Aujourd’hui, je crains que le Hamas ne soit invité à revenir pour protéger la sécurité de son peuple. La bande de Gaza ne vivra pas dans le vide. Elle n’est ni sous la responsabilité du gouvernement précédent, ni sous celle du gouvernement d’entente nationale. Qui est responsable des postes frontaliers? Qui est chargé de mettre fin au siège ? Qui est responsable de son électricité ? ».
Mais beaucoup d’observateurs excluent cette éventualité d’un retour du Hamas « dans les circonstances actuelles ». Les déclarations faites par les dirigeants du Hamas, comme l’explique Shabana, visent seulement à exercer des pressions sur l’Autorité palestinienne. « Si le Hamas forme aujourd’hui un gouvernement, il sera incapable de faire face aux problèmes dont souffrent les Palestiniens dans la bande de Gaza », affirme Ayman Shabana. Et d’ajouter: « Le Hamas a optépour la réconciliation afin d’assurer sa survie après avoir été isolé de la scène régionale. Il a besoin de temps pour restaurer sa popularité et se préparer aux élections législatives prévues d’ici six mois », conclut Shabana.
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