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Une armée faible et désunifiée

May Al-Maghrabi, Mardi, 24 juin 2014

La débâcle de l'armée iraqienne face aux forces de Daech ne serait que la conséquence d'une série d’erreurs militaires et politiques. Décryptage.

Daech
(Photo : Al-Ahram)

Pourquoi l’armée iraqienne s’est-elle effondrée face à l’avancée des combattants de Daech, laissant plu­sieurs villes en Iraq tomber entre leurs mains? Rencontrant très peu de résis­tance, les djihadistes de l’Etat Islamique en Iraq et au Levant (EIIL) ont réussi, en l’espace de quelques jours, à soumettre plusieurs villes ira­qiennes à leur emprise. Plusieurs lea­ders de l’armée iraqienne ont aban­donné leur poste, ont ôté leur uni­forme et ont pris la fuite. Une scène choquante pour les Iraqiens, qui ne s’attendaient pas à voir l’armée fuir si vite, sans même combattre.

Sous le feu des critiques, le pre­mier ministre iraqien de confession chiite, Nouri Al-Maliki, a décidé de sanctionner plusieurs militaires de haut rang, qui seront jugés pour désertion. Une mesure qui ne suffit pas à essuyer une lourde défaite, surtout que c’est Al-Maliki qui est montré du doigt comme responsable de l'instrumentalisation de l’armée comme un outil au service de son propre pouvoir.

C’est alors comme si l’Histoire se répétait. Il y a 11 ans et demi, le monde avait assisté avec stupéfac­tion à l’effondrement de l’armée de Saddam Hussein devant les forces d’invasion américaines. Néanmoins, la débandade de la nouvelle armée iraqienne ne peut s’expliquer par les mêmes raisons que lors de Saddam, qui affrontait la plus puissante armée du monde. Selon les observateurs, la corruption, le favoritisme sectaire, la politisation de l’armée, le faible mental des troupes, ou encore les insuffisances dans les renseigne­ments militaires, le soutien aérien, et dans la maintenance du matériel, ont débouché sur cette défaite.

Après l’invasion de l’Iraq en 2003, les Etats-Unis avaient démantelé l’ar­mée de Saddam et avaient consacré depuis lors 20 milliards de dollars à la mise sur pied d’une nouvelle armée de 250000 hommes. De son côté, l’Iraq a dépensé des milliards pour acquérir des avions, chars, hélicop­tères, missiles et autres armes améri­caines. Des faits rendant sans doute énigmatique la défaite d’une armée forgée sous l’égide des Etats-Unis face à des troupes dont le nombre est estimé être entre 5 000 et 12000 com­battants dotés d’armes légères.

Divisions interconfessionnelles

Mais il semble que l’effectif et l’équipement ne sont pas, à eux seuls, capables de consolider une armée politisée et minée par les divisions interconfessionnelles. Les unités, majoritairement chiites, sta­tionnées près de Bagdad, sont considérées comme plus fiables et fidèles au gouvernement du premier ministre. C’est à partir de 2010 qu’Al-Maliki s’est employé à pur­ger l’armée, en favorisant la pro­gression très rapide de chefs mili­taires chiites lui étant favorables. « La loyauté et le patriotisme des soldats d’une armée sont plus importantsque son armement. C’est ce qui explique pourquoi les soldats n’étaient pas prêts à se sacrifier pour un régime corrompu qui ne défend que ses intérêts et qui a encouragé l’émergence de l’extré­misme », estime le général Abdel-Moneim Al-Saïd, expert militaire.

Saïd fait endosser à Maliki la res­ponsabilité des fractures au sein de l’armée. Il explique que quand Maliki était revenu d’Iran sous protection américaine en 2003, il ne considérait pas avoir remporté une victoire contre le régime de Saddam, mais contre les sunnites iraqiens. « Dans cet esprit de vendetta, Il était impossible de recons­truire une forte armée nationale. Au lieu de chercher à ancrerune unité nationale regroupant les Iraqiens, Maliki n’a cessé de marginaliser les sunnites, voire tout opposant poli­tique, ou encore de les chasser du pays, pour s’accaparer du pouvoir avec ses alliés les plus proches », ajoute-t-il. Parallèlement, il a encou­ragé l’émergence de l’extrémisme, afin de justifier son recours à la force. « Le malaise de l’armée iraqienne est en premier lieu politique », déplore Saïd.

La corruption est un autre facteur qui a frappé de plein fouet la perfor­mance de l’armée, et a surtout démo­ralisé ses membres. Selon les déclara­tions des officiers de l’armée ira­qienne, les fonds destinés aux rations des soldats ont été détournés par les hauts commandants chiites. Et ceci alors que les soldats vont acheter sur les marchés locaux des pièces déta­chées pour leur matériel, car les dépôts du gouvernement sont vides. Ces mauvaises conditions que réser­vaient les officiers aux hommes de troupe expliquent aussi les désertions en masse des derniers jours.

Emad Gad, politologue, ne décharge pas les Etats-Unis de la responsabilité de cette défaite. Il estime que la disso­lution des milices dites « la Sahwa », milices tribales sunnites qui combat­taient Al-Qaëda, est aussi une faute tactique qui a contribué à unifier les sunnites, modérés et extrémistes confondus, dans une même hostilité contre Maliki. Quant aux Etats-Unis, ils avaient, selon Gad, prémédité la dissolution de l’armée de Saddam. Et d’ajouter: « Les Américains qui avaient formé cette armée n’ont jamais réussi à venir à bout des pro­blèmes endémiques de fraude ou de racket aux postes de contrôle, et fer­maient par moments les yeux sur ces pratiques. Aujourd’hui, on se demande s’il ne s’agissait pas d’une politique préméditée visant à raviver les dissensions, pour parvenir au scé­nario de la division de l’Iraq ? ».

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