Pourquoi l’armée iraqienne s’est-elle effondrée face à l’avancée des combattants de Daech, laissant plusieurs villes en Iraq tomber entre leurs mains? Rencontrant très peu de résistance, les djihadistes de l’Etat Islamique en Iraq et au Levant (EIIL) ont réussi, en l’espace de quelques jours, à soumettre plusieurs villes iraqiennes à leur emprise. Plusieurs leaders de l’armée iraqienne ont abandonné leur poste, ont ôté leur uniforme et ont pris la fuite. Une scène choquante pour les Iraqiens, qui ne s’attendaient pas à voir l’armée fuir si vite, sans même combattre.
Sous le feu des critiques, le premier ministre iraqien de confession chiite, Nouri Al-Maliki, a décidé de sanctionner plusieurs militaires de haut rang, qui seront jugés pour désertion. Une mesure qui ne suffit pas à essuyer une lourde défaite, surtout que c’est Al-Maliki qui est montré du doigt comme responsable de l'instrumentalisation de l’armée comme un outil au service de son propre pouvoir.
C’est alors comme si l’Histoire se répétait. Il y a 11 ans et demi, le monde avait assisté avec stupéfaction à l’effondrement de l’armée de Saddam Hussein devant les forces d’invasion américaines. Néanmoins, la débandade de la nouvelle armée iraqienne ne peut s’expliquer par les mêmes raisons que lors de Saddam, qui affrontait la plus puissante armée du monde. Selon les observateurs, la corruption, le favoritisme sectaire, la politisation de l’armée, le faible mental des troupes, ou encore les insuffisances dans les renseignements militaires, le soutien aérien, et dans la maintenance du matériel, ont débouché sur cette défaite.
Après l’invasion de l’Iraq en 2003, les Etats-Unis avaient démantelé l’armée de Saddam et avaient consacré depuis lors 20 milliards de dollars à la mise sur pied d’une nouvelle armée de 250000 hommes. De son côté, l’Iraq a dépensé des milliards pour acquérir des avions, chars, hélicoptères, missiles et autres armes américaines. Des faits rendant sans doute énigmatique la défaite d’une armée forgée sous l’égide des Etats-Unis face à des troupes dont le nombre est estimé être entre 5 000 et 12000 combattants dotés d’armes légères.
Divisions interconfessionnelles
Mais il semble que l’effectif et l’équipement ne sont pas, à eux seuls, capables de consolider une armée politisée et minée par les divisions interconfessionnelles. Les unités, majoritairement chiites, stationnées près de Bagdad, sont considérées comme plus fiables et fidèles au gouvernement du premier ministre. C’est à partir de 2010 qu’Al-Maliki s’est employé à purger l’armée, en favorisant la progression très rapide de chefs militaires chiites lui étant favorables. « La loyauté et le patriotisme des soldats d’une armée sont plus importantsque son armement. C’est ce qui explique pourquoi les soldats n’étaient pas prêts à se sacrifier pour un régime corrompu qui ne défend que ses intérêts et qui a encouragé l’émergence de l’extrémisme », estime le général Abdel-Moneim Al-Saïd, expert militaire.
Saïd fait endosser à Maliki la responsabilité des fractures au sein de l’armée. Il explique que quand Maliki était revenu d’Iran sous protection américaine en 2003, il ne considérait pas avoir remporté une victoire contre le régime de Saddam, mais contre les sunnites iraqiens. « Dans cet esprit de vendetta, Il était impossible de reconstruire une forte armée nationale. Au lieu de chercher à ancrerune unité nationale regroupant les Iraqiens, Maliki n’a cessé de marginaliser les sunnites, voire tout opposant politique, ou encore de les chasser du pays, pour s’accaparer du pouvoir avec ses alliés les plus proches », ajoute-t-il. Parallèlement, il a encouragé l’émergence de l’extrémisme, afin de justifier son recours à la force. « Le malaise de l’armée iraqienne est en premier lieu politique », déplore Saïd.
La corruption est un autre facteur qui a frappé de plein fouet la performance de l’armée, et a surtout démoralisé ses membres. Selon les déclarations des officiers de l’armée iraqienne, les fonds destinés aux rations des soldats ont été détournés par les hauts commandants chiites. Et ceci alors que les soldats vont acheter sur les marchés locaux des pièces détachées pour leur matériel, car les dépôts du gouvernement sont vides. Ces mauvaises conditions que réservaient les officiers aux hommes de troupe expliquent aussi les désertions en masse des derniers jours.
Emad Gad, politologue, ne décharge pas les Etats-Unis de la responsabilité de cette défaite. Il estime que la dissolution des milices dites « la Sahwa », milices tribales sunnites qui combattaient Al-Qaëda, est aussi une faute tactique qui a contribué à unifier les sunnites, modérés et extrémistes confondus, dans une même hostilité contre Maliki. Quant aux Etats-Unis, ils avaient, selon Gad, prémédité la dissolution de l’armée de Saddam. Et d’ajouter: « Les Américains qui avaient formé cette armée n’ont jamais réussi à venir à bout des problèmes endémiques de fraude ou de racket aux postes de contrôle, et fermaient par moments les yeux sur ces pratiques. Aujourd’hui, on se demande s’il ne s’agissait pas d’une politique préméditée visant à raviver les dissensions, pour parvenir au scénario de la division de l’Iraq ? ».
Lien court: