Alors que l’offensive de Daech se poursuit et met la main sur des villes à la frontière avec la Syrie et la Jordanie, le chef de la diplomatie américaine, John Kerry, est arrivé à Bagdad pour rencontrer le premier ministre iraqien, le chiite Nouri Al-Maliki, aujourd’hui dans le collimateur des sunnites en Iraq et dans la région. Ceux-ci l’accusent d’adopter une politique confessionnelle en faveur des chiites.
En deux semaines, les djihadistes ultra-radicaux de l’Etat Islamique en Iraq et au Levant (EIIL, Daech en arabe) ont réussi à s’emparer de Mossoul, la deuxième ville du pays, Tikrit et Kirkouk, ainsi que d’autres secteurs des provinces de Salaheddine dans le nord. Le groupe terroriste a également mis la main sur l’aéroport stratégique de Tel-Afar, Diyala à l’est, et avance désormais vers l’ouest en s’emparant déjà de trois villes d’Al-Anbar sur la route pour Bagdad. Et selon la chaîne américaine CNN, le groupe a conquis la ville d’Al-Ratba, à seulement 112 km de la frontière avec le Royaume saoudien. Des déclarations et contre-déclarations sur la prise de Tribil, à la frontière avec la Jordanie, opposent Daech à l’armée iraqienne, qui affirme qu’elle contrôle cette région.
La débâcle de l’armée et des forces de sécurité iraqiennes reste pourtant difficile à assimiler. Des experts militaires, à l’instar de Abdel-Moneim Saïd, l’explique par la corruption, le favoritisme et le caractère confessionnel de cette armée formée par les Américains (lire page 4). Les soldats sur place n’étaient donc pas prêts à sacrifier leur vie pour une telle armée. Daech dispose, d’après des déclarations d’un de ses porte-parole, de 12 000 combattants. Il existe peu d’informations en provenance des zones conquises, et les nouvelles conditions de vie des habitants sont inconnues d’autant plus qu’il n’existe presque aucun journaliste sur place. Un seul rapport avait été diffusé par le correspondant d’Al-Jazeera à Mossoul immédiatement après l’arrivée de Daech, dans lequel il racontait que certains voyaient d’un bon oeil l’arrivée des insurgés. Ils bénéficieraient d’un appui de dissidents baassistes, anciens officiers de Saddam, de groupuscules sunnites armés et de chefs de tribus qui, sans eux, Daech ne pourra pas garder les territoires conquis.
Le groupe radical qui a mis en place une importante stratégie de communication de pointe sur les réseaux sociaux a aussitôt diffusé un document précisant en 16 points les nouvelles règles de son règne. Entre autres, les femmes doivent se couvrir et rester chez elles, le port d’arme et les rassemblements sont bannis ainsi que la vente et la consommation d’alcool ou de drogue, mais aussi le tabac. Et des vidéos montrant le comportement ultra-violent des combattants de Daech n’ont pas tardé à être largement diffusées. Selon des estimations de l’Onu, un quart de la population a déjà fui la ville.
Le secrétaire général des Nations-Unies, Ban Ki-moon, s’est déclaré inquiet quant aux risques de violences de grande ampleur en Iraq. « Il y a un véritable risque d’escalade de la violence intercommunautaire sur le territoire iraqien et au-delà de ses frontières », a-t-il déclaré. Des monarchies et des régimes sont désormais menacés. Le président américain Barack Obama a exprimé la même idée dans une interview diffusée dimanche sur la chaîne CBS.
« D’une manière générale, nous devons rester vigilants. Le problème actuel est que les combattants de Daech déstabilisent le pays, mais ils peuvent aussi bien déborder sur des pays alliés comme la Jordanie », a-t-il dit.
Mais les responsables américains, aussi bien qu’arabes, ne cachent pas que la grande partie du financement de ce groupe inspiré d’Al-Qaëda vient des pays de la région qui l’appuyaient dans sa guerre contre le régime de Bachar en Syrie, bien qu’ils soient eux-mêmes vulnérables à des organisations sur le modèle d’Al-Qaëda. « Soutenir les sunnites radicaux à l’étranger tout en croyant contenir leur activité à l’intérieur du pays n’est pas une bonne recette », écrit Simon Hendreson, dans une étude publiée par le Washington Institute for Near East Policy.
L’accusation a été formulée même par Maliki, alors que la chaîne saoudienne Al-Arabiya qualifie par exemple les insurgés de « révolutionnaires », et affirme que les combattants de Daech ne forment qu’une minorité parmi les insurgés (lire page 5).
Obama pour l’envoi de conseillers militaires
Ainsi, Kerry a été dépêché en mission diplomatique délicate qui l’a conduit en Egypte, en Jordanie et en Iraq, avant Bruxelles et Paris, pour tenter de convaincre le premier ministre iraqien de former un gouvernement d’union nationale d’autant plus que les Américains sont plus que jamais réticents à envoyer des troupes de nouveau en Iraq.
« Mais les réalités sur le terrain qui pourraient perdurer des années pourraient amener Obama ou la prochaine administration à changer d’avis », estime l’écrivain iraqien Salah Nasri. Les Etats-Unis ont promis d’envoyer quelque 300 conseillers militaires pour aider l’armée iraqienne, mais ont exclu de mener des frappes aériennes comme le réclame le gouvernement iraqien. Pourtant, ils ont déployé le porte-avions USS George H.W. Bush dans le Golfe, une présence qui ne peut être uniquement dissuasive, surtout que le navire USS Mesa Verde, avec 550 Marines et des avions-hélicoptères Osprey à son bord sont également arrivés dans le Golfe. Plus tard, lundi, un membre de la commission de la défense au Parlement iraqien, Abbas Al-Bayati, a déclaré à la télévision iraqienne que « Washington envisage des frappes de drones contre Daech ». « Je n’exclurai rien qui puisse être constructif », avait précisé John Kerry, même si les Américains, tout comme l’Arabie saoudite, semblent tourner leurs critiques contre le premier ministre iraqien. Riyad le considère comme un laquais de Téhéran.
Le jeu se fait aujourd’hui autour d’un gouvernement « plus rassembleur », et Washington serait prêt à sacrifier Al-Maliki qu’ilv avait pourtant soutenu lors de sa première élection en 2006. Des noms de successeurs sont déjà avancés : Adel Abdel-Mahdi, Iyad Allawi ou Baqer Al-Zabaydi. Une mission qui pourrait perdurer quelques semaines, voire des mois.
Mais est-ce que le changement du chef du gouvernement ou de la composition du cabinet pourrait freiner les ambitions de Daech qui ne reconnaît pas les frontières, et ses combattants ont déjà déchiré leurs passeports dans une autre vidéo, alors que leur porte-parole parle déjà du Liban et de la Jordanie comme futures cibles ?
Selon le ministre français de la Défense, Daech « est en train d’arriver à ses fins », et l’on risque d’avoir un groupe terroriste « important et riche ».
La fracture sunnite-chiite l’alimente. Une sorte de guerre par procuration entre Riyad et Téhéran. Selon l’article du Washington Institute, « on imagine mal un dénouement rapide des événements chaotiques qui se jouent en Iraq. Mais à ce stade aussi, une confrontation directe entre les forces saoudiennes et iraniennes semble très improbable ». La résolution de la crise ne passera pas sans une coopération minime entre l’Iran et l’Arabie saoudite.
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