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Frères musulmans  : l’équation à résoudre

May Al-Maghrabi, Lundi, 26 mai 2014

Quels rapports domineront les relations entre le futur président et les Frères musulmans ? La volonté affichée par les candidats à la présidentielle de les éradiquer ranime un débat sur l’enjeu et l'impact d'une telle politique.

Présidentielle
(Photo : Mohamad Maher)

Le sort des Frères musulmans est un dossier épineux qui attend le prochain président. Déjà, rien ne laisse présager une issue imminente au bras de fer opposant les islamistes au régime depuis la destitution de l’islamiste Mohamad Morsi le 3 juillet dernier, avec les Frères musulmans qui menacent d’une guerre d’usure.

Courtisant une masse électorale hostile aux Frères musulmans, les deux candidats à la présidentielle ont confirmé leur volonté de congédier définitivement les Frères musulmans de l’échiquier politique, sans donner plus de détails sur les moyens et répercussions d’une telle décision. « Si je suis élu président, il n’y aura plus de Frères musulmans. Ce n’est pas moi qui refuse la réconciliation, mais le peuple égyptien », a dit Abdel-Fattah Al-Sissi, optant pour une ligne dure. Quant à Hamdine Sabahi, il a confirmé le droit des Frères musulmans à manifester et a souligné l’importance d’un processus politique inclusif. Mais une fois élu, il ne tolérera pas l’existence de partis fondés sur une base religieuse. « Il n’y aura plus de confrérie, ni parti de la confrérie. Cette organisation est accusée de s’être opposée à la volonté du peuple égyptien après le 30 juin 2013 en exerçant la violence et le terrorisme au cours des derniers mois », dit-il. L’interdiction de leur parti, affirme-t-il, est conforme à la nouvelle Constitution, qui interdit la création de partis politiques sur une base religieuse.

Entre violence et répression, comment le prochain président peut-il parvenir à la stabilité promise ? Réussira-t-il à mettre un terme à la confrérie ? Et quel sera la facture à payer? Les avis divergent sur les scénarios à appliquer face à ce groupe resté dans la clandestinité pendant plus de 80 ans et qui, après une seule année au pouvoir, se trouve lâché par le peuple, visé par le pouvoir et discrédité par les forces politiques. Sa réintégration sur l’échiquier politique demeure une pomme de discorde. Certains y trouvent une nécessité pour désamorcer la crise politique en cours et arrêter l’effusion du sang. D’autres rejettent catégoriquement sa réintégration après avoir levé les armes face à l’Etat, défiant la volonté du peuple.

Emad Chahine, professeur de sciences politiques à l’Université américaine du Caire, qualifie de « décevantes » les déclarations de Sissi, présenté comme le favori du scrutin. « Dans ce contexte de polarisation, le nouveau président devrait chercher à rassembler les Egyptiens pour propager la sérénité et la sécurité. Mais en éliminant toute possibilité de réconciliation avec eux, les candidats à la présidentielle ont tué dans l’oeuf toute probable issue politique », dit-il. Perçu par les Frères comme un ennemi, Sissi, croit Chahine, s’il remporte la présidence, « ne pourra pas endiguer leur violence par les dispositifs sécuritaires et juridiques. Et on devra par conséquent s’attendre à plus de chaos et de violence, surtout à un échec du processus politique ». Il se réfère à l’expérience de l’Etat dans sa lutte contre le terrorisme dans les années 1990. « A cette époque, l’Etat, après avoir épuisé toute la force de son appareil sécuritaire, a dû enfin entrer en discussion avec la Gamaa islamiya qui a procédé plus tard à des révisions idéologiques profondes avant de renoncer à la violence. Aujourd’hui, l’Egypte, sous de telles conditions sécuritaires et économiques détériorées, est-elle prête à payer la facture d’un nouveau combat avec le courant islamiste ? », se demande-t-il.

Position partagée par le politologue Hassan Nafea, fort convaincu que le processus politique ne pourra pas avancer sans consensus politique. « Ce discours pourra trouver un écho favorable chez ceux qui aspirent au retour de la stabilité après trois ans d’agitation post-révolutionnaire. Mais ne faut-il pas d’abord se demander si la répression d’aujourd’hui ne porte pas en elle les germes de l’instabilité de demain ? », s’interroge Nafea. En valorisant la solution sécuritaire et sans parvenir à une solution politique, « il est impossible que le pays se stabilise. Le nouveau président, quel que soit son nom, se trompe en imaginant qu’il pourrait éradiquer un courant politique », précise-t-il.

Pas une volonté sincère

Mais pour le chercheur spécialiste des mouvements islamistes, Ahmad Ban, ce discours sur l’éradication des Frères musulmans ne dépasse pas la surenchère électorale qui ne reflète pas de volonté sincère. « Les deux candidats amadouent l’opinion publique hostile aux Frères, mais ils sont conscients de l’impossibilité d’anéantir un courant fort, implanté depuis des décennies. Sissi, le plus à même de remporter la présidentielle, en menaçant les Frères de disparition, ne fait que jouer une carte de pression pour obtenir le maximum de concessions de la part des Frères une fois de retour à la négociation, même si cela n’est pas prévu à court ou moyen terme », affirme-t-il.

Le futur président devrait ainsi parvenir à une formule permettant de freiner la violence et les ambitions politiques des Frères sans les exclure totalement. Depuis l’évincement de Morsi, les Frères refusent de se rallier au processus politique et optent pour la radicalisation, laissant dégénérer la situation. « Dominés par un esprit de vendetta, et refusant les compromis, les Frères ont bloqué tous les canaux politiques en optant pour la radicalisation. Ce qui rend leur réintégration à la vie politique inadmissible dans cette ambiance d’hostilité populaire », précise Ban.

Pourtant, selon lui, le dossier de « l’avenir » des Frères musulmans n’est pas une priorité pour la majorité des Egyptiens. « La population, dans son écrasante majorité, est beaucoup plus préoccupée par les difficultés de la vie quotidienne que par les faux problèmes d’identité, de foi ou de la réislamisation de la société prônés par les Frères. Une bonne évolution de l’économie après l’élection et la mise en place des politiques en faveur de la justice sociale seraient fatales pour les Frères musulmans, dont le terrain de prédilection a toujours été celui où règnent la misère et l’injustice », estime Ban. Quant aux Frères musulmans, ils se trouveront dépassés par la société et tomberont dans l’oubli. Leur seul salut réside dans un changement stratégique et idéologique. « Ils doivent changer la nature de leur parti et de leur programme mêlant prédication à la politique, avec une flexibilité politique leur permettant d’assimiler les mutations des conjonctures politiques et d’admettre le concept de partage du pouvoir, non de son monopole comme ils l’ont voulu », conclut-il. Pour le moment, aucune révision n’est à l’ordre du jour.

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