Protestation silencieuse au terme d'un symposium accueilli à la BBC sur la situation des journalistes, notamment
en Egypte.
Pendant les trois dernières années, plusieurs journalistes étrangers travaillant en Egypte ont été arrêtés, détenus, interpellés ou agressés. Un photographe-journaliste américain de 21 ans, Andrew Pochter, a même trouvé la mort à Sidi-Gaber, à Alexandrie, le 28 juin 2013, alors qu’il couvrait les violents affrontements entre partisans et opposants du président Mohamad Morsi, quelques jours avant sa chute. Plus récemment, trois journalistes de la chaîne publique allemande de télévision
ARD ont été attaqués par la foule, le 24 janvier dernier, au Caire, alors qu’ils tournaient des images sur un attentat contre le siège de la police. Selon l’
ARD, deux des journalistes ont souffert de blessures et de contusions sévères. Ce genre d’attaques est encouragé par des rumeurs de coopération avec les islamistes et de «
complot de l’Occident » et relayées avec insistance par la presse officielle ou la télévision. Le journal francophone
Le Progrès Egyptien écrit: «
La presse occidentale nous dégoûte ». Mais ce genre d’attaques contre les journalistes occidentauxs’est multiplié après le 30 juin comme le témoignent plusieurs journalistes étrangers qui racontent comment ils sont violemment pris à partie dans les rues du Caire.
Daniel Grandclément est un journaliste français qui a été agressé lors de son reportage dans les rues du Caire. « Désormais, fini les Welcome ! des débuts. Une partie de Cairotes regarde les journalistes occidentaux sans bienveillance. Les télés font des revues de presse pour montrer à quel point nous sommes vendus aux Frères musulmans. En qualifiant la prise de pouvoir de l’armée de coup d’Etat militaire nous devenons les agents des services israéliens et donc manipulés par l’Etat juif. Parce que nous avions d’obscurs projets avec les Frères, comme celui de céder une partie du Sinaï aux Palestiniens, ce qui soulagerait la frontière avec Gaza. Ces complots, les foules du Caire y croient comme à d’autres rumeurs, toutes aussi incohérentes, comme celle qui veut qu’Obama ait fait verser des millions de dollars aux Frères », raconte Daniel Grandclément sur Grands Reporters.
« La main de l’étranger »
Dans un communiqué à la presse, l’Organisme général de l’information déplore le manque de neutralité dans la couverture asymétrique des médias étrangers des événements en Egypte. « L’Egypte fait part de son amertume vis-à-vis des médias internationaux qui couvrent de manière biaisée l’information, en faveur des Frères musulmans, alors qu’ils ferment les yeux sur les actes de violence et de terreur perpétrés par ce groupe afin d’intimider et de terroriser les citoyens », déclare-t-il. C’est ainsi que les arrestations, détentions, poursuites judiciaires, sous des prétextes fallacieux, des journalistes étrangers se multiplient.Quelle est donc l’origine de ces réactions? « Il est très compliqué de travailler, aujourd’hui, en Egypte. Le gouvernement actuel rend les conditions de travail des reporters étrangers extrêmement difficiles. Il perçoit les journalistes étrangers comme des espions, des représentants de leurs gouvernements occidentaux. Ce climat est la cause principale des agressions dont souffrent ces journalistes de la part des forces de l’ordre et d’une partie de la population », témoigne Khaled Al-Balchi, membre du conseil du syndicat des Journalistes. Et d’ajouter: « C’est ainsi que la majorité des journalistes étrangers, arrêtés ou non, sont accusés officiellement d’avoir diffusé de fausses informations et des rumeurs perturbant l’ordre et la sécurité publics. Le pouvoir et la presse officielle alimentent la thèse du complot de l’étranger... C’est surtout le cas des journalistes de la chaîne qatari Al-Jazeera». En fait, la justice égyptienne a accusé 20 journalistes et correspondants de la chaîne qatari, dont 4 étrangers (2 Britanniques, un Australien et un Néerlandais), d’avoir diffusé de fausses informations, d’appartenir à une « organisation terroriste » et d’avoir porté atteinte à l’unité nationale et la paix sociale.
En plus, l’Australien Peter Greste, ancien reporter à la BBC, est accusé de « collaborer avec des Egyptiens en leur fournissant de l’argent, des équipements, des informations et d’avoir diffusé de fausses nouvelles visant à informer le monde extérieur que le pays était en guerre civile ». « J’ai travaillé avec des journaux locaux indépendants sous Moubarak, et nous avions évidemment des craintes par rapport à la censure, à la réaction négative de l’Etat mais au final nous étions loin d’être aussi inquiétés qu’aujourd’hui », témoigne à l’AFP, Ursula Lindsey, journaliste américaine qui collabore avec New York Times, et qui travaille en Egypte depuis 12 ans. Et d’ajouter: « Il y a clairement moins de liberté d’expression et plus de suspicion et d’hostilité envers les journalistes étrangers qu’à n’importe quelle période depuis que je suis ici ». Pierre Grange, envoyé spécial de TF1 au Caire, rapporte sur le site de la chaîne qu’après le 30 juin, plusieurs équipes étrangères de journalistes ont passé jusqu’à 10 heures en détention, subissant des interrogatoires et des méthodes qui rappellent la dictature de Moubarak, comme des simulacres d’exécution. Parmi eux, une équipe de France 2 a été interpellée par l’armée, le 17 août 2013 devant la mosquée Al-Fath, à Ramsès. Les membres de l’équipe ont été libérés après avoir été détenus pendant une dizaine d’heures « dans des locaux du renseignement ». D’après lui, « c’est un retour absolu à cette époque-là, aux méthodes dictatoriales, l’état d’urgence, sauf qu’aujourd’hui, on se fait agresser dans la rue. Dès que les gens apprennent qu’on est un Français, on se fait insulter de façon agressive ».
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