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L’Algérie face à un jeu verrouillé

Samar Al-Gamal, Mardi, 15 avril 2014

Le président sortant, Abdelaziz Bouteflika, qui brigue un 4e mandat grand absent durant sa campagne, et néanmoins grand favori du scrutin de ce jeudi, pourra-t-il garantir la stabilité du pays ?

Algérie
(Photo : Reuters)

« L’Algérie vivra dans plus d’instabilité durant les prochaines années, mais il n’y a pas de réelle alternative à Bouteflika, qui a modifié la Constitution pour pouvoir régner plus longtemps », révèle un câble diplomatique, diffusé par Wikileaks. Ce constat fait par l’ambassadeur de France à Alger à son homologue américain en 2008, dressant le portrait d’une Algérie stagnante et qui ne parvient pas à se stabiliser politiquement, semble encore d’actualité aujourd’hui. Les Algériens sont appelés à se rendre aux urnes le 17 avril, pour élire un président a priori dans un scrutin sans surprise. Six candidats sont en lice, mais le candidat à sa propre succession Abdelaziz Bouteflika apparaît comme le grand favori en dépit de son état de santé précaire. Invisible durant la campagne, il est réduit à une photo-candidat. Après un AVC en avril 2013, il a été hospitalisé pendant 80 jours à Paris.

« Les difficultés liées à ma santé ne semblent pas me disqualifier à vos yeux ou plaider en faveur de ma décharge des lourdes responsabilités qui ont eu raison d’une bonne partie de mes capacités », s’est-il défendu dans un message rendu public par l’agence officielle APS. 77 ans, élu depuis 1999 et candidat à un 4e mandat, il a commencé sa carrière politique à 25 ans, en tant que ministre du Sport et de la Jeunesse, puis tient brillamment le portefeuille de la diplomatie jusqu’en 1979. Il est élu président de la République en 1999 et est initiateur des lois de réconciliation nationale, qui mettent fin à 10 ans de terrorisme appelés la décennie noire. Il est réélu en 2004, puis en 2009, avec plus de 90% grâce à une modification constitutionnelle qui lui permet de briguer un nouveau mandat.

Blanc bonnet et bonnet blanc

Aujourd’hui, il fait notamment face à son ancien bras droit, Ali Benflis, ancien premier ministre et secrétaire général du Front de libération national (lire portrait page 4).

Lundi, pourtant, le président sortant n’a pas hésité à qualifier son principal rival de mener « du terrorisme à travers la télévision ». « Qu’un candidat vienne menacer les walis et les autorités », en disant « de faire attention à leurs familles et à leurs enfants en cas de fraude, cela veut dire quoi ? », a déclaré M. Bouteflika, en recevant le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Garcia-Margallo. Benflis avait dénoncé, de son côté, « des menaces et des campagnes de dénigrement qui ne trompent plus personne ». « La fraude est haram (illicite). Le faux et l’usage du faux sont haram. Je m’adresse aux walis, aux chefs de daïras (sous-préfets) : vous avez de la famille, pensez à la préserver », a-t-il dit. Mais pour les Algériens, c’est Al-Hadj Moussa, ou Moussa Al-Hadj, autrement dit blanc bonnet et bonnet blanc.

Le jeu est presque verrouillé en tout cas. Le président du Conseil constitutionnel, le ministre de l’Intérieur, celui de la Justice sont des proches du chef de l’Etat. Tout comme le premier ministre par intérim qui est également président de la commission des élections. Et à moins que l’état de santé du président sortant ne se détériore ou que l’entente entre la présidence et les militaires ne vole en éclats (lire page 5), Bouteflika est le futur président d’Algérie.

Le pays connaît d’importants rassemblements jamais vus depuis plus de 10 ans. Ainsi, vers la fin mars, plus de 5000 personnes sont sorties dans la rue pour protester contre le 4e mandat ou en solidarité avec Ghardaïa, et le Front du boycott a également réussi à réunir quelque 7000 Algériens. Ghardaïa, aux portes du Sahara, a accueilli des manifestants hostiles en marge de plusieurs meetings tenus par le directeur de campagne de Bouteflika, Abdelmalek Sellal, ex-premier ministre. La région située à 600 kilomètres au sud d’Alger est déjà le théâtre d’affrontements depuis des mois entre les communautés mozabites (Berbères musulmans de rite ibadite) et arabes.

Stabilité contre changement

C’est un changement en Algérie, où jusqu’ici, les dernières élections se déroulaient quasiment dans l’indifférence de la population, mais des manifestations de masse qui peuvent renverser le pouvoir semblent très peu probables, selon les observateurs. La contestation s’inscrit ainsi dans le rejet, un rejet du système tout entier. Le mouvement « Barakat ! » (ça suffit !) entend manifester ce mercredi, dans l’après-midi, à la veille du scrutin, au niveau de la Fac centrale d’Alger, afin d’exprimer son rejet d’un processus électoral « fictif ». Tout comme les islamistes, grands absents du scrutin, les démocrates font campagne pour inciter les Algériens à ne pas aller voter.

Face à eux, des hommes du président adoptant le discours de la « stabilité » face à des Algériens traumatisés par une décennie noire opposant des islamistes à l’armée et faisant 200000 morts. « Si nous perdons la stabilité, nous perdons la souveraineté. La stabilité est un acte de souveraineté », a déclaré le directeur de campagne de Bouteflika. Pourtant, la situation est très instable, la corruption a atteint un niveau très élevé touchant Saïd, le frère de Bouteflika et son clan, et le développement économique est dans l’impasse. Le prix du baril de pétrole ne suffit plus à maintenir l’équilibre budgétaire de l’économie algérienne, qui repose à 97% sur les revenus des hydrocarbures. Bouteflika sera élu, mais le spectre du chaos hante l’Algérie. Que fera le pays avec un chef d’Etat qui risque de disparaître à n’importe quel moment? Que fera-t-il avec cette génération issue de la guerre d’indépendance: un ministre de la Défense de plus de 80 ans, et un chef des renseignements qui en a 74 ? Le clan Bouteflika trouve la réponse dans l’article 88 de la Constitution qui, en cas d’empêchement du chef d’Etat d’assurer le pouvoir exécutif, permet au président du Sénat (proche de la campagne du président-candidat), d’assurer l’intérim. Bouteflika profitera d’un nouveau mandat pour choisir son successeur.

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