Elle a toujours pesé sur le choix du chef de l’Etat et avait son mot à dire sur la vie politique. «
Depuis l’indépendance, l’Armée Nationale Populaire (ANP), rouage essentiel dans le système qui gouverne l’Algérie, pesait de tout son poids sur la désignation du chef de l’Etat. En 1962, c’est elle qui avait choisi Ahmad Ben Bella et c’est elle qui l’a renversé trois ans plus tard au profit du colonel Houari Boumédiène », indique Karam Saïd, expert au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’
Al-Ahram. En 1979, s’opposant à l’intronisation de Abdel-Aziz Bouteflika, c’est aussi l’armée qui a placé à la tête de l’Etat son officier le plus ancien au grade le plus élevé, le colonel Chadli Bendjedid.
Pourtant, les militaires s’étaient engagés publiquement à se retirer du champ politique. Ils ont poussé Bendjedid à la démission, en janvier 1992, au moment où la victoire du Front Islamique du Salut (FIS) aux législatives semblait assurée. Le processus électoral est interrompu et les militaires, encore eux, ont confié les rênes du pays à Mohamad Boudiaf. Deux ans plus tard, l’armée a imposé le général Liamine Zeroual comme chef de l’Etat. Et, en 1999, vingt ans après l’avoir écarté, l’armée a choisi Bouteflika. Ce dernier avait accédé à la présidence grâce au soutien des militaires qui n’ont pas imaginé que son arrivée aux affaires va considérablement réduire leur influence sur la vie politique. A tel point qu’en 2004, de hauts dirigeants de l’institution militaire se sont ouvertement opposés à la réélection de Bouteflika. Mais suite à sa réélection, l’armée a perdu, pour la première fois de son histoire, une grande partie de son rôle politique.
Ainsi, après son accident vasculaire cérébral du 27 avril 2013, Bouteflika est persuadé qu’une partie du commandement de l’armée pourrait le déposer en appliquant l’article 88 de la Constitution, qui décrit les cas où le président de la République est empêché d’exercer ses fonctions, parmi lesquels la maladie. « Bouteflika redoute un coup d’Etat militaire sous couvert médical avant même la présidentielle de 2014, car il existe un courant dans l’armée qui refuse catégoriquement un quatrième mandat de Bouteflika », pense Saïd. Des anciens militaires ont franchement appelé à l’arrêt du processus électoral, comme le général à la retraite, Mohamad Tahar Yaala, alors que d’autres personnalités politiques sollicitent son arbitrage pour une phase de transition. Pour le général Mustapha Antar, ancien directeur de l’Hôpital central de l’armée de Aïn Naadja à Alger, « c’est aux principaux responsables de l’armée de prendre leur responsabilité car nous savons tous que le président Bouteflika est malade (…) Une année après sa maladie, le président n’a pas encore retrouvé ses forces », a notamment déclaré le général à la retraite. Et d’ajouter :« Les dernières images de Bouteflika prouvent qu’il est gravement malade. La situation en Algérie est extrêmement dangereuse et l’armée ne doit pas aider un clan mû par des intérêts personnels, car l’Algérie doit être au-dessus de tout. Et en l’absence d’une vraie opposition, il n’y a que l’armée qui peut s’apposer à ce clan », a-t-il encore indiqué.
Qu’a donc fait Bouteflika pour réduire l’influence de l’armée et écarter le danger avant la présidentielle? Il a tout fait. Chef suprême des forces armées et ministre de la Défense, il marginalise son ministre délégué à la Défense, Abdelmalek Guenaïzia, coupable d’avoir manifesté peu d’enthousiasme à l’idée d’un quatrième mandat. En septembre 2013, il a effectué un remaniement ministériel en remplaçant Guenaïzia par Gaïd Salah, qui cumule désormais ses nouvelles fonctions avec celles de chef d’état-major. Et dans la foulée de ce remaniement gouvernemental, il a décidé de réorganiser en profondeur l’armée. Il procède à une restructuration du Département de Renseignement et de la Sécurité (DRS) et accélère la mise à la retraite d’une partie des officiers supérieurs, dont des généraux opposés au quatrième mandat.
Une campagne de presse contre le DRS est lancée par des personnalités et des médias réputés proches de l’entourage présidentiel. Les appels à la mise en oeuvre de l’article 88 de la Constitution ne sont plus un sujet d’actualité. Mais, d’anciens hauts responsables militaires et d’ex-ministres se sont relayés dans les journaux pour défendre les services de renseignement. Parmi eux, le général à la retraite Hocine Benhadid qui a appelé Bouteflika à partir dignement et s’en prenant particulièrement au chef d’Etat-major de l’armée. « L’armée n’est plus ce qu’elle était », confie le général à la retraite.
Néanmoins, l’habileté politique de Bouteflika n’a pas réussi à dépouiller complètement l’armée de son statut de rouage essentiel du système qui gouverne l’Algérie depuis plus d’un demi-siècle. Parce que, sur le plan intérieur, l’armée a plutôt une bonne image auprès d’une partie importante de l’opinion, qui la considère comme la plus solide des institutions de la République. En plus, l’institution militaire n’est pas uniquement un acteur politique déterminant de l’Algérie, mais également un opérateur économique de premier plan doté d’une branche industrielle performante. En 2004, elle a fait pencher la balance vers Bouteflika, elle le fera encore 10 ans après.
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