Le charbon vient de trouver une place dans le bouquet énergétique de l’Egypte, qui dépend à 90% du gaz et de produits pétroliers. Après plusieurs mois de polémiques au sein du gouvernement, le feu vert est finalement donné aux cimenteries pour importer le charbon comme une énergie alternative au gaz naturel. Un processus qui devrait répondre, selon le communiqué publié par le gouvernement, «
aux critères et aux normes environnementaux au cours de toutes les étapes d’importation, de commercialisation, de stockage et d’utilisation du charbon ». Cette décision a suscité un débat houleux autour de l’efficacité de la transition énergétique vers ce combustible peu cher.
Pour Omar Mehanna, PDG de l’entreprise Suez pour le ciment, recourir au charbon est une solution urgente pour résoudre le problème de l’énergie, notamment dans les cimenteries qui ont vu leur production chuter au cours de l’année en cours de 68 millions de tonnes. « L’énergie utilisée dans l’industrie du ciment, qui consomme 8% du gaz et 10% du mazout du pays, va être alors exploitée dans d’autres secteurs industriels », dit Mehanna. Autre atout, comme avance Mehanna, cette transition ne va pas coûter grand-chose au gouvernement, puisque ce sont les propriétaires des usines qui vont assumer seuls les charges. « Le processus de transformation de ce mécanisme dans une seule usine coûte entre 8 et 10 millions de dollars », explique-t-il.
Si le charbon est attrayant du point de vue économique, il a par contre un lourd impact environnemental. Une centrale à charbon d’une puissance de 600 mégawatts rejette environ 3,8 millions de tonnes de CO2 par an, soit l’équivalent des émissions de 1 million de voitures. Un kilowatt/heure électrique produit à partir du charbon émet entre 800 et 1000 grammes de CO2. En comparaison, un kilowatt/heure électrique produit à partir de l’énergie hydraulique émet 4 grammes de CO2 et environ 400 grammes à partir du gaz.
Pour Mona Kamal, présidente du secteur de la qualité de l’air au ministère de l’Environnement, la combustion du charbon va provoquer des effets écologiques défavorables à l’atmosphère qui souffre déjà d’un taux de pollution évalué à 3 fois plus que la norme mondiale. L’écologiste déplore le fait que la porte soit ouverte à l’importation du charbon en l’absence d’infrastructures pour le transfert de ce combustible fossile sans affecter l’environnement, et de législations qui régissent son utilisation. « C’est un grand mythe de dire que seul le charbon propre sera brûlé. On n’a pas les moyens d’utiliser cette technologie chère qui vise à dépolluer le charbon avant sa combustion », précise-t-elle. Déjà, les cimenteries enregistrent annuellement une centaine d’infractions avant même d’adopter ce combustible. En 2012, l’Organisme des affaires de l’environnement a enregistré 850 infractions. Si ce choix est adopté, le charbon sera attrayant pour beaucoup d’autres industries. Ce qui va toucher, comme l’explique Mona, à « la souveraineté du pays sur ses sources d’énergie ».
L’importation du charbon va aussi se répercuter sur la compétitivité du tourisme égyptien sur la scène mondiale. « Charbon et tourisme ne vont pas de pair », a déclaré à la presse Hicham Zaazoue, ministre du Tourisme. L’Association des investisseurs d’Al-Aïn Al-Sokhna vient d’envoyer au ministre du Tourisme une lettre lui assignant leur rejet de l’utilisation du charbon dans la zone industrielle de Sokhna. Elle affirme que les émissions des usines pourraient provoquer la pollution des villages touristiques de la région.
Alors que Safaga, l’un des plus importants sites touristiques et thérapeutiques du pays sur la mer Rouge, pourrait perdre son éclat, puisqu’il sera un port de déchargement des navires transportant le charbon importé.
Le potentiel inexploité des énergies renouvelables
Afin de remédier à la pénurie d’électricité, le gouvernement envisage de recourir aux énergies solaire et éolienne. Bien que ce projet ne soit pas nouveau.
« L’Egypte produira 20% de l’énergie nécessaire au pays à partir de sources renouvelables d’ici 2020 ». Tel était l’objectif du ministère de l’Electricité en 2009. Cinq ans sont passés et ces sources ne produisent aujourd’hui que moins de 1% d’énergie pour l’Egypte.
Avec la pénurie d’électricité dont souffre l’Egypte, des voix s’élèvent pour accorder aux énergies renouvelables une place prépondérante dans la diversité énergétique, vu que le pays bénéficie de conditions géoclimatiques exceptionnelles pour la production d’énergies renouvelables. En effet, l’Egypte dispose d’un important potentiel solaire, avec un taux exceptionnel d’ensoleillement et un rayonnement moyen de 6,5 kwh/m2/j. Toutefois, cette énergie reste peu utilisée dans la production de l’électricité. La centrale solaire de Kuraymat, à 150 km du sud du Caire, mise en service en 2011, demeure l’unique importante infrastructure solaire du pays, d’une capacité solaire installée de 20 MW, pour une puissance totale de 140 MW.
Le pays dispose aussi de ressources abondantes en énergie éolienne, notamment dans le golfe de Suez, considéré comme l’un des meilleurs sites au monde, en raison de la vitesse élevée et stable du vent. En 2011, la part de l’éolien représentait pourtant moins de 1% de la production électrique totale, avec 1,3 TW/h (térawatt/heure) et une capacité totale installée de 550 MW. La majeure partie de cette énergie est produite grâce au parc éolien de Zaafarana, dans le gouvernorat de Suez, la seule infrastructure en Egypte.
Pour Mona Kamal, présidente du secteur de la qualité de l’air au ministère de l’Environnement, c’est la politique de subvention de l’Etat qui est pointée du doigt à cause de la négligence de l’éco-énergie. Les deux tiers des subventions sont destinés aux combustibles fossiles, pour pouvoir répondre à la demande énergétique croissante au détriment des énergies renouvelables. Selon Kamal, ce secteur, qui nécessite des sommes faramineuses pour son développement, souffre à la fois d’un manque de financement public et d’une négligence du secteur privé, qui dépend essentiellement des autres types d’énergie largement subventionnés par l’Etat. « Au lieu de dépenser des milliards dans des énergies fossiles nuisibles à la santé et à l’environnement, l’Etat aurait dû s’intéresser à cette mine d’or qui pourrait fournir plus de 80% d’énergie pour l’Egypte », déplore Kamal.
Nouveau nom, nouvelle stratégie
Le terme « renouvelables », qui vient d’être ajouté au nom du ministère de l’Electricité et de l’Energie dans le plus récent cabinet, laisse entendre qu’une nouvelle politique pour le développement des éco-énergies sera adoptée. Encourager la contribution du secteur privé et ouvrir un marché de haut potentiel à partir d’initiatives gouvernementales sont la politique actuelle du gouvernement, comme l’explique Anhar Hégazi, présidente du secteur de la rationalisation de l’énergie au Centre des informations et de prise de décision dépendant du Conseil des ministres. Le centre vient de lancer une initiative intitulée « Chamsek ya Masr » (ton soleil, ô Egypte), qui vise à sensibiliser les concernés quant à l’importance de l’électricité solaire, et ouvrir un marché local pour la fabrication des équipements de cette énergie. « Le centre a signé un protocole de coopération avec tous les gouvernorats, afin d’équiper 100 à 150 établissements gouvernementaux à travers l’Egypte de systèmes d’éclairage économique et d’électricité solaire, pendant les 3 années à venir, de 2014 à 2016 », dit Hégazi. Mais vu les coûts élevés, doter les foyers de ce système pourrait attendre longtemps.
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