L'eau, une question de sécurité nationale pour l'Egypte. (Photo : Reuters)
Pour beaucoup de juristes, le temps ne joue pas en faveur de l’Egypte, et poursuivre l’Ethiopie devant les tribunaux internationaux devrait être l’option ultime après l’échec des négociations. Recourir à un arbitrage international, le mécanisme de règlement le plus pacifique, semble pourtant exclu, notamment après la déclaration du ministre éthiopien des Affaires étrangères, qui a lancé que « si l’Egypte fait appel à l’arbitrage de la Cour Internationale de Justice (CIJ), cette démarche ne va aboutir à rien, et Addis-Abeba poursuivra sans relâche la construction de son barrage ». Ahmad Réfaat, professeur de droit international à l’Université du Caire, estime que l’activité juridictionnelle de la CIJ, seul organe judiciaire de l’Onu, reste tributaire du consentement des deux parties qui devraient s’accorder à soumettre leur différend à la Cour. Alors, une fois rendue, la décision de la Cour est obligatoire pour les deux parties. En cas de non-exécution par l’une des parties, le Conseil de sécurité peut être saisi par l’autre partie. « L’Ethiopie craint une telle démarche, parce qu’elle sait qu’elle serait perdante et que l’Egypte possède des arguments juridiques qui sont conformes aux principes du droit international », dit Réfaat.
Les traités signés directement avec l’Ethiopie, garantissant à l’Egypte ses « droits historiques » sur le Nil, et lui accordant un droit de veto sur tout projet en amont qu’elle jugerait contraire à ses intérêts, vont certainement renforcer le statut juridique du Caire. Le plus important est celui signé en 1902, comme l’explique Ayman Chabana, spécialiste des affaires africaines à l’Université du Caire, par l’empereur d’Abyssinie Ménélik II avec le colonisateur britannique de l’Egypte. « A l’époque, l’Ethiopie était un pays indépendant. Elle a signé le traité par sa propre volonté et s’est engagée à ne pas porter atteinte aux droits hydrauliques de l’Egypte et du Soudan. Il ne s’agit pas ici d’un traité colonial comme le prétend Addis-Abeba », dit Chabana. L’article 11 de la Convention de Vienne sur la succession des traités de 1978 stipule que « la succession d’Etats ne porte atteinte en tant que telle, ni à une frontière établie par un traité, ni aux obligations et droits établis par un traité et se rapportant au régime d’une frontière ».
S’appuyant sur cette base juridique, la CIJ a prononcé récemment des verdicts pour des appels opposant la Hongrie et la Slovaquie sur le Danube, et l’Uruguay et l’Argentine sur le fleuve Uruguay en 2010.
L’Ethiopie endosse aussi une responsabilité internationale pour avoir violé, en construisant son barrage, deux principes du droit international sur les relations de bon voisinage concernant les fleuves partagés, à savoir « la notification préalable » et « le non-préjudice ».
Réfaat déplore pourtant que les accords signés avec l’Ethiopie ne comportent pas de clauses compromissoires énonçant que les litiges sur l’interprétation ou l’application de traités devront être soumis à la CIJ. Ce qui aurait dû obliger l’Ethiopie à s’y soumettre. L’Egypte a réussi une fois, à travers ce genre de clauses, stipulé dans son accord de paix avec Israël, à récupérer le territoire de Taba en 1987 en obligeant Israël à accepter un arbitrage international.
Toutefois, le chemin vers La Haye n’est pas totalement bloqué pour Le Caire. L’Egypte peut s’y rendre, comme l’explique Réfaat, en déposant une plainte contre Addis-Abeba auprès de l’Assemblée générale des Nations-Unies, demandant l’avis consultatif de la CIJ. Dans ce cas, le consentement de l’Ethiopie ne serait pas requis. Les avis de la CIJ ne possèdent pas de portée obligatoire, mais auront « un effet disciplinaire important », comme le croit Chabana. « Un avis consultatif tire son statut et son pouvoir du fait qu’il s’agit de la déclaration officielle de l’organe judiciaire principal des Nations-Unies. Un tel verdict pourrait servir d’outil politique pour faire pression sur Addis-Abeba dans les sphères internationales », dit-il.
S’adresser directement au Conseil de Sécurité est une autre alternative plus effective si une telle démarche est interprétée comme une escalade de la part de l’Egypte et qui pourra être suivie d’une rupture des relations bilatérales avec l’Ethiopie, comme le prévoit Amani Al-Tawil, directrice de l’unité des études africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Dans son appel, l’Egypte devrait ainsi accuser Addis-Abeba de menacer la sécurité et la paix internationales. Ce différend pourrait glisser vers un conflit armé entre les deux pays. Une fois émise, la résolution du Conseil de sécurité sera obligatoire pour Addis-Abeba et obligera, selon Chabana, « les pays donateurs et la Banque mondiale à cesser le financement de la construction du barrage ».
Des eaux partagées
— La longueur du Nil est estimée à 6 670 km.
— Le bassin hydrographique du fleuve couvre environ 3 254 555 km2 (soit 10 % du continent africain)
— Les deux grands affluents du Nil sont le Nil Blanc, dont la source se trouve au Rwanda, et le Nil Bleu, avec une source en Ethiopie. Chacune de ces branches est située sur le flanc ouest du Rift Est Africain. L’Atbara est aussi un affluent moins important du Nil, coulant seulement quand il pleut en Ethiopie et qui s’assèche vite.
— Le Nil Blanc constitue environ 16 % du total de l’eau du Nil contre 84 % provenant du Nil bleu. Cela dit, la majeure partie de l’eau du Nil vient d’Ethiopie.
— Onze pays se partagent ce bassin : le Burundi, le Congo, l’Egypte, l’Erythrée, l’Ethiopie, le Kenya, le Rwanda, le Soudan, le Soudan du Sud, l’Ouganda et la Tanzanie.
— Au terme de l’accord de 1959 signé avec le Soudan sur le partage des eaux, l’Egypte reçoit 55,5 milliards de m3 d’eau par an, contre 18,5 milliards pour le Soudan, et les 10 milliards restant vont aux autres pays du bassin.
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