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Kamal Habib : Les nouveaux djihadistes dépassent de loin leurs aînés

Aliaa Al-Korachi, Lundi, 17 février 2014

Kamal Habib, spécialiste des mouvements islamistes, ancien membre de la Gamaa islamiya, estime que la situation chaotique dans la région a largement contribué à l’émergence de cette nouvelle vague de terrorisme en Egypte.

Al-Ahram Hebdo : Les attentats qui frappent le pays depuis des mois ne laissent pas de place au doute : l’Egypte fait face à une nouvelle vague de terrorisme. En quoi diffère-t-elle de celle des années 1990 ?

Kamal Habib : Il est certain que cette vague de terrorisme est beaucoup plus forte que celle des années 1990 du point de vue du nombre des attentats et des cibles visant cette fois-ci des lieux stratégiques comme les commissariats de police et les bâtiments militaires. On fait face aujourd’hui à ce que j’appelle une nouvelle génération de djihadistes. Une continuité idéologique entre les deux générations existe puisqu’elles mènent leur combat contre « l’Etat mécréant ». Mais la différence réside dans le fait que les nouveaux djihadistes ont réalisé un saut opérationnel ; ils dépassent de loin leurs aînés. Ceux-ci disposent de techniques plus sophistiquées et leurs frappes sont extrêmement bien ciblées. Les attentats à la voiture piégée et les kamikazes sont de nouveaux modes opératoires de terrorisme auxquels les djihadistes des années 1990 n’avaient pas eu recours.

— A votre avis, à quoi est due cette mutation du terrorisme en Egypte ?

— C’est le contexte de chaos régional qui a largement contribué à l’émergence de cette nouvelle vague de terrorisme en Egypte. La chute des régimes dictatoriaux suite aux révolutions arabes a laissé un grand vide sécuritaire dans la région, permettant ainsi l’apparition de ces groupes terroristes. L’Egypte est au centre de cette région. Après la chute de Kadhafi, la Libye devient une nouvelle source d’armement pour les groupes terroristes de la région. En contrebande vers Gaza, une grande quantité d’armes très sophistiquées tombe entre les mains des groupes djihadistes du Sinaï. Par ailleurs, la guerre en Syrie a créé un nouveau phénomène qu’on appelle la « mondialisation du djihad ». Damas est devenu un terrain attirant des djihadistes de nationalités différentes : Tunisiens, Libyens, Palestiniens, arabes afghans. Pas très loin de l’Egypte, ce pays a inspiré les groupes locaux des idées takfiristes. Les tunnels du Sinaï ont été un point de passage des terroristes étrangers vers la Syrie. Certains d’entre eux se sont installés dans la péninsule du Sinaï pour rejoindre les rangs des groupes locaux, engendrant un nouveau genre de combattants dotés d’expériences et de tactiques différentes.

— A quoi ressemble donc la nouvelle carte des groupes terroristes en Egypte ?

— La Gamaa islamiya a tourné la page de la violence après des révisions idéologiques dans les années 1990. Quant au djihad, une grande partie de ce groupe a été divisée. Le reste forme le noyau dur composé de la plupart des groupes terroristes actuels implantés dans le Sinaï. On peut citer par exemple le groupe de Tawhid wal Djihad, auteur des attentats perpétrés de 2004 à 2006 à Taba, Charm Al-Cheikh et Dahab. Mais le plus dangereux et le plus actif aujourd’hui sur la scène, c’est Ansar Beit Al-Maqdes. Au sein de ce groupe, on trouve une fusion de la pensée des djihadistes salafistes et de celle d’Al-Qaëda. Il tisse également des liens étroits avec d’autres organisations, notamment à Gaza et à Damas.

— Existe-t-il un lien entre ce groupe et les Frères musulmans ?

— Le fait de dire que ce groupe est le bras armé des Frères est totalement infondé. Il s’agit seulement d’une propagande. Les deux diffèrent complètement dans l’objectif et l’idéologie. Ce groupe est affilié à la tendance des salafistes djihadistes qui se considèrent comme les vrais représentants de l’islam.

— Comment expliquez-vous alors que les actes terroristes aient éclaté immédiatement après la chute du régime des Frères musulmans ?

— Parce que, pour eux, les Frères musulmans ont prouvé que l’islam politique n’était pas le bon choix, parce qu’ils ne sont pas parvenus à garder le pouvoir. La violence est alors la doctrine et le choix de cette tendance pour régler les questions politiques. Mais il ne faut pas nier que les Frères musulmans ont aidé à alimenter la violence, même indirectement. Les manifestations quotidiennes des partisans de Morsi ont été exploitées par ce groupe comme un prétexte politique pour justifier ses attaques. Ce qui a été clair dans les communiqués d’Ansar Beit Al-Maqdes diffusés après chaque attentat.

— Vous étiez contre la qualification de la confrérie en tant que groupe terroriste. A quel point cette décision peut-elle aggraver la situation ?

— Je pense que cette décision est politisée. Il est vrai qu’une partie de la confrérie a eu recours à la violence. Mais il existe parmi eux des gens pacifistes. Les Frères font partie, qu’on le veuille ou non, de la scène politique. Ils ne vont pas disparaître en les qualifiant de terroristes par simple décision administrative. La loi doit dire son dernier mot. D’ailleurs, cette décision pourra avoir un effet inverse en encourageant le courant conservateur rigoriste de la confrérie qui pousse aujourd’hui les jeunes des Frères à affronter l’Etat et à adopter la pensée djihadiste.

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