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Egypte-Afrique : regagner la confiance

Samar Al-Gamal, Mardi, 04 février 2014

Lors du 22e sommet de l’Union africaine, les chefs d’Etat et de gouvernement réunis à Addis-Abeba ont entériné la suspension de l’Egypte, en raison du « changement anticonstitutionnel » lié à l’éviction de Morsi. Une note négative que Le Caire tente de minimiser, notamment en multipliant les relations bilatérales.

Egypte-Afrique

Alors que Madagascar faisait un retour parmi ses confrères africains après cinq ans de sanctions faisant suite à un coup d’Etat militaire, le siège de l’Egypte est resté vide. La capitale éthiopienne a récemment reçu les dirigeants de l’Union africaine pour un sommet de deux jours. Depuis juillet dernier, au lendemain de la destitution de Mohamad Morsi par l’armée, sous la pression de protestations populaires, l’Union africaine a décidé d’activer son processus de suspension lié à une prise de pouvoir « illégale ».

De juillet jusqu’à fin janvier, un groupe de haut niveau de l’UA a enquêté sur la base de visites en Egypte et de collectes d’informations liées à la situation post-Morsi. La délégation, dirigée par l’ex-président malien, Alpha Oumar Konaré, s’est rendue 2 fois en Egypte et a été l’une des premières à rencontrer le chef de l’Etat destitué. Mais elle a été plus tard empêchée par les autorités égyptiennes, et à deux reprises, de rencontrer d’autres interlocuteurs.

Selon un rapport remis vendredi 31 janvier à la commission africaine, « le groupe avait demandé que, dans le cadre du suivi de ses précédentes visites en Egypte, l’ancien premier ministre, Mohamed Dileita, puisse se rendre au Caire, pour rencontrer le grand imam d’Al-Azhar et le patriarche de l’Eglise orthodoxe copte, ainsi que le président du Conseil national des droits de l’homme ». Le 2 octobre dernier, les autorités égyptiennes avaient, en effet, informé la commission : « Il ne sera pas possible pour le gouvernement de l’Egypte d’organiser les visites sollicitées ». A la mi-octobre, c’est un 2e refus des autorités égyptiennes, alors que le groupe souhaitait se rendre au Caire pour les informer de ses consultations aux Emirats arabes unis, au Tchad, au Qatar et en Turquie.

Premier pas

Pourtant, cette semaine, une délégation égyptienne a été invitée, pour s’exprimer devant le Conseil de la paix et de sécurité de l’UA, l’équivalent africain du Conseil de sécurité de l’Onu. Une première pour un pays suspendu de toute activité.

« L’Egypte est un grand pays africain, membre fondateur de l’UA. La loi constitutionnelle a été adoptée. Et vous savez le poids de l’Egypte, tant au Moyen-Orient qu’en Afrique. Mais ceci ne veut pas dire qu’elle revient dans l’Union africaine », a justifié le président du Conseil, le président guinéen Alpha Condé.

Depuis la destitution du président élu en 2012, Le Caire tient un discours inchangé : « L’armée n’a fait que répondre à l’appel du peuple égyptien et le renversement de Morsi est intervenu suite à une révolution populaire similaire à celle qui a chassé Hosni Moubarak du pouvoir en 2011 ».

Selon un haut responsable égyptien au ministère des Affaires étrangères, les Africains ont reconnu que leur mécanisme de sanctions est « incomplet », et qu’en principe, il ne doit pas s’appliquer à l’Egypte, puisque la déclaration de Lomé, qui donne un délai maximum de 6 mois aux auteurs du changement anticonstitutionnel pour restaurer l’ordre constitutionnel, ne parle pas de « révolution populaire ». Le Conseil de l’UA invite officiellement les autorités intérimaires égyptiennes « à s’assurer de la plus large participation possible aux prochaines élections, et que ce scrutin soit libre, juste et transparent ».

« Le Caire pense que la suspension de l’Egypte est une décision punitive, alors que nous ne faisons que mettre en oeuvre une décision approuvée par l’Egypte elle-même en 2000 », dévoile un ambassadeur africain au Caire.

Pressions

La capitale égyptienne, qui a tenté de minimiser la portée de la démarche africaine, tout comme des décisions plus ou moins similaires à base de gel d’aide de la part de l’Union européenne ou des Etats-Unis, parle, sans les citer, de la pression de certains pays africains. L’Afrique du Sud serait en tête. Ainsi, pour la mort de Mandela, un ancien ministre, envoyé spécial du président égyptien par intérim, a été dépêché aux funérailles. Mais le vaste ballet diplomatique lancé par Le Caire n’incluait pas Johannesburg.

Le chef de la diplomatie, Nabil Fahmi, a ainsi fait précéder le sommet africain par 4 tournées dans le continent noir. Des déplacements historiques qui l’ont conduit au Soudan et au Sud-Soudan, en Ouganda et au Burundi, au Sénégal, puis en Algérie et au Maroc, alors que ce dernier n’est pas membre de l’Union africaine.

Une autre visite qui le mènerait dans le sud du continent serait en cours de préparation. Au Caire, Nabil Fahmi a reçu le président du Conseil africain et ses homologues de Sierra Leone et Djibouti. Une offensive diplomatique qui s’appuie sur le bilatéral, comme le révèle à l’Hebdo un haut responsable du ministère des Affaires étrangères.

D’après le porte-parole du ministère, Badr Abdel-Aati, dès ses premiers jours au ministère, Nabil Fahmi avait fait de la politique égyptienne en Afrique une priorité. Il fait référence à une conférence de presse tenue par le ministre au 2e jour de sa nomination au 33e étage du bâtiment du ministère.

Dépasser le problème de l’eau

D’après Badr Abdel-Aati, le message que Le Caire s’efforce de transmettre est que « l’intérêt que nous accordons à l’Afrique n’est pas uniquement lié à la question de l’eau du Nil. Oui, c’est une question de sécurité nationale, mais elle ne doit pas être l’unique leitmotiv de notre action ».

Les différentes sources auxquelles a parlé l’Hebdo reconnaissent que l’Egypte, dans ses relations avec le continent noir, ne peut plus se reposer sur l’héritage de Nasser, et que les nouvelles générations d’Afrique affichent d’autres besoins de « développement » auxquels Le Caire devrait répondre en dépit d’une situation interne très compliquée et d’une économie fragilisée.

« L’un des problèmes majeurs aujourd’hui est que ces pays ne nous croient plus », estime le porte-parole du ministère. Pour montrer sa bonne volonté, Le Caire n’a pas envoyé au Burundi son ministre des Ressources hydriques au grand étonnement du président burundais, révèle un membre de la délégation égyptienne.

En Ouganda, le président Yoweri Museveni, qui a reçu Fahmi dans son ranch en égorgeant un boeuf en son honneur, n’a pas caché sa stupeur : le responsable égyptien a quitté la réunion du comité arabe de suivi sur la Syrie pour venir le voir.

Le Sénégal n’a pas fait exception, même si la tournée du responsable égyptien n’a pas été du goût de tous et que la pression a été souvent telle que Fahmi a dû souvent usé du langage diplomatique. Le Caire affirme vouloir passer de la simple assistance technique au développement. Les autorités évoquent un partenariat public-privé, à l’instar d’un immense projet d’abattoir financé par une compagnie privée, alors que le gouvernement faciliterait l’importation de la viande en Egypte.

Pour l’instant, le groupe spécial sur l’Egypte est chargé de rédiger un rapport définitif. « C’est dans notre intérêt, puisque d’ici quelques mois, nous aurons un président élu », croit un responsable attaché à la présidence égyptienne. « Tout se passe de façon normale, l’Egypte participera aux réunions du Comesa en février, à la réunion subsaharienne en mars et au sommet afro-européen en avril », dit-il. Le ministre adjoint des Affaires étrangères, Hamdi Loza, est également attendu ces jours-ci à Bruxelles, pour une réunion sur le Mali, affirment les responsables égyptiens. Pourtant, les Etats-Unis, qui accueillent un sommet africain en août, n’ont pas adressé d’invitation au Caire. « D’ici août, les choses ne seront plus les mêmes », relativise le porte-parole du ministère des Affaires étrangères.

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