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Les activistes sur la sellette

Amira Samir, Lundi, 20 janvier 2014

Plusieurs figures emblématiques de la révolution du 25 janvier sont aujourd'hui accusées de recevoir un financement étranger et d'agir contre l'intérêt de l'Egypte, parfois sans véritables preuves.

Révolution du 25 janvier

Ainsi les appellent certains commentateurs et présenta­teurs de télévision, et avec eux une partie de la popula­tion. Les figures de la révolu­tion du 25 janvier 2011, qui avaient poussé Moubarak à la sortie, sont aujourd’hui accusées d’être des « agents de l’étranger » et d’être « finan­cés de l’étranger ». Des accusa­tions qui ont un parfum de déjà-vu. Il y a trois ans, presque jour pour jour, les médias gouvernementaux avaient tenté de convaincre les Egyptiens que ces mani­festants qui occupaient la place Tahrir étaient « payés par des pays étrangers » et « nourris gratuitement de KFC ». Omar Soliman, ancien chef des services de rensei­gnements et éphémère vice-président de Moubarak, parlait alors de « complot étranger ».

La campagne contre ces acti­vistes avait commencé pendant la révolution du 25 janvier. Mais aujourd’hui, on retrouve le même discours, et toujours sans la moindre accusation officielle. En vertu de ce discours, les activistes seraient des pions aux mains des puissances étrangères (Etats-Unis, Israël, Qatar, Iran) qui visent à déstabiliser l’Egypte. Sous le Conseil suprême des forces armées qui a géré la transition après la chute de Moubarak, le mouvement du 6 Avril, au coeur de la mobilisation le 25 janvier, est mis en cause « verbalement », pour relations suspectes avec des orga­nisations étrangères. 17 ONG égyptiennes et étrangères font alors l’objet de perquisitions, et certains de leurs membres sont arrêtés et déférés devant les tri­bunaux. « Ces ONG ont été accu­sées de recevoir des fonds illicites et non déclarés de l’étranger, et ont ainsi été présentées comme représen­tant un milieu propice aux influences étrangères désireuses de déstabiliser l’Egypte », explique Abdallah Al-Moghazi, juge et membre du parti libéral du néo-Wafd.

Mais aucun des activistes de janvier ne faisait partie de ces ONG. Peu auparavant, le mouve­ment du 6 Avril réclamait une enquête et déposait une plainte contre un membre du Conseil militaire, le général Hassan Roueni, qui accusait le mouve­ment de recevoir un financement étranger. L’enquête est conclue en faveur du mouvement. Mais le dossier n’est pas clos.

La situation n’a pas beaucoup changé sous Mohamad Morsi. Ahmad Maher, fondateur du 6 Avril, est accusé à son tour d’être entré en Egypte en provenance d’un pays européen avec une valise contenant 19 millions de L.E. Il est arrêté puis libéré, l’ac­cusation s’avère sans fondement. Mais la campagne contre les acti­vistes s’accentue après le 30 juin 2013 et le renversement de Morsi. La campagne s’étend à tous les activistes qui ont joué un rôle-clé dans les événements ayant conduit à la chute de Moubarak, même s’ils soutiennent la feuille de route du 3 juillet et même s’ils se sont opposés aux Frères musulmans. Après l’évacuation par la force des sit-in de Rabea et d’Al-Nahda, et la démission de Mohamed ElBaradei de son poste de vice-président, ce dernier a été accusé par des médias et par cer­tains écrivains de « manquer à ses responsabilités ». Plus tard, un tri­bunal a rejeté un recours qui l’ac­cusait de « trahison ».

Fin novembre, une loi contro­versée sur le droit de manifester est promulguée. Des opposants sont arrêtés pour avoir appelé à une manifestation contre la loi. Quatre figures de la révolution : Ahmad Maher, Ahmad Douma, Mohamad Adel et Alaa Abdel-Fattah sont dans l’oeil du cyclone. Les trois premiers sont condam­nés à 3 ans de prison et 50 000 L.E. d’amende. Ils ont été jugés coupables d’avoir organisé et participé à une manifestation non autorisée en vertu de la nouvelle loi, et d’avoir attaqué les forces de l’ordre. Abdel-Fattah est tou­jours en détention sans jugement.

Parallèlement, sur une chaîne privée, le programme La Boîte noire diffuse, entre autres, des enregistrements de conversations téléphoniques dont la véracité n’est pas prouvée, pour montrer que les figures de la révolution de janvier sont des agents financés de l’étranger et des « profiteurs ». Alors que les enregistrements ne sont pas autorisés par la loi sauf à la demande du Parquet, la télévi­sion poursuit sa campagne face à une rue qui accepte tout ce qu’on lui dit. Moustapha Al-Naggar, Ahmad Maher, Asmaa Mahfouz, Mohamad Adel et Abdel-Rahmane Youssef sont attaqués. Et les autorités n’interviennent pas. « L’idée du complot étranger est large­ment partagée dans la société, mêmes si ces enregistrements ne disent rien. C’est une nouvelle tentative de remettre en cause la légitimité de la révolution du 25 janvier en défigurant ses sym­boles », lance Abdel-Ghaffar Chokr, président du parti de la Coalition populaire. Et d’ajouter : « Il ne faut pas gar­der le silence face à ces diffama­tions et tentatives de porter atteinte à la réputation et l’inté­grité des activistes ».

Toujours est-il que le Parquet n’a ouvert aucune enquête. « Quelques-unes de ces accusations sont vraies. Certains activistes sont impliqués dans des crimes portant atteinte à la sécurité nationale et sont financés par l’étran­ger. Ces actes sont authentifiés avec des documents et leurs auteurs doi­vent être jugés », affirme Abdallah Al-Moghazi, sans fournir de preuve à part que, selon lui, « les conditions de vie de certains acti­vistes se sont beaucoup améliorées après la révolution ».

Les activistes, eux, affirment que les feloul du régime de Moubarak, qui sont de retour sur la scène politique depuis le 30 juin, sont derrière cette cam­pagne. « C’est la loi du plus fort qui règne aujourd’hui. Qui n’est pas avec nous est contre nous ! Telle est la règle suivie par le régime actuel. Si quelqu’un possède des documents et des preuves contre nous, il n’a qu’à les présenter au Parquet et non pas sur les écrans de télévision », conclut Mohamad Kamal, vice-directeur du bureau médiatique du mouve­ment du 6 Avril. Et d’ajouter : « C’est un assassinat moral des mili­tants, un règlement de compte pour se venger de la révolution du 25 jan­vier et de tous ses symboles ».

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