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Les Saoudiens au secours de l’armée libanaise

Aliaa Al-Korachi, Lundi, 06 janvier 2014

L'astronomique don saoudien à l'armée libanaise suscite des interrogations sur le fond et la forme qu’il prendra. La rivalité régionale entre Riyad et son ennemi juré, Téhéran, mène grand jeu au pays du Cèdre.

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L’Arabie saoudite présente un soutien traditionnel à Saad Al-Hariri, chef du courant du Futur.

« Il s’agit de l’aide la plus importante dans l’histoire du Liban et de l’armée libanaise », lance le président libanais Michel Sleimane, dans un discours télévisé en félicitant le don de 3 milliards de dollars octroyés par l’Arabie saoudite, pour équiper l’armée libanaise. Selon l’offre, l’Arabie saoudite versera directement cette somme à la France, qui livrera en retour le matériel commandé. Cette offre qui survient 2 jours après l’assassinat du dirigeant sunnite Mohamed Chatah suscite des interrogations autour de la contrepartie attendue. Cet attentat qui a ébranlé le pays a été imputé au parti chiite du Hezbollah.

Un « frère gâté » de l’Arabie saoudite. C’est ainsi que le Liban est désigné depuis longtemps par beaucoup d’analystes, vu la longue histoire du soutien de Riyad au pays du Cèdre. Le Royaume a toujours été le fournisseur financier principal pour la reconstruction du Liban après chaque guerre contre Israël. Riyad n’a pas tardé à présenter une assistance importante aux Libanais à la suite de l’agression israélienne en 2006 en octroyant près de 750 millions de dollars.

Un soutien qui n’est sûrement pas « purement innocent ». Selon les analystes, le conflit d’influence régionale entre l’Arabie saoudite et l’Iran se joue au Liban, à travers leurs proxys libanais. D’un côté, l’Arabie saoudite, qui présente un soutien traditionnel à Saad Al-Hariri, chef du courant du Futur et membre du mouvement du 14 Mars. Et de l’autre côté, le parti chiite du Hezbollah est massivement armé par Téhéran, et dont l’armement échappe à tout contrôle de l’Etat libanais.

Pour le politologue Gamal Abdel-Gawad, l’Arabie saoudite reste un acteur principal au Liban tant que l’implication iranienne augmente au Liban, et tant que le rôle saoudien devient plus actif dans le pays du Cèdre. Les dons deviennent donc plus généreux. « Soutenir les institutions officielles de l’Etat libanais face aux milices qui agissent hors du contrôle de l’Etat est à chaque fois le choix saoudien pour contrer l’influence iranienne au Liban. L’autre choix sera coûteux et difficile pour Riyad : faire face au Hezbollah par d’autres milices alternatives. C’est une tentative intelligente de la part de Riyad qui lui permettra également de regagner une certaine influence régionale ».

Défis sur le plan sécuritaire

Du point de vue de la forme, ce don visant à « renforcer les capacités de l’armée » est certes une bonne nouvelle pour l’armée libanaise qui souffre effectivement d’un manque de matériel. L’institution militaire fait face à plusieurs défis sur le plan sécuritaire. Outre la mission de défense, notamment de faire face à la menace provenant de son voisin syrien, en pleine guerre civile, l’armée au Liban est également en charge du maintien de l’ordre aux côtés de la police. Elle est cependant considérée comme étant beaucoup moins puissante que le Hezbollah, qui dispose d’un important arsenal militaire. Ce parti chiite est le seul parti politique à ne pas avoir déposé les armes après la fin de la guerre civile (1975-1990), considéré comme un Etat dans un quasi-Etat, et un concurrent fort à l’armée libanaise.

Selon Yousri Al-Ezabawy, expert au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, l’aide saoudienne peut être interprétée comme un moyen permettant à l’armée libanaise de contrebalancer le rapport de forces avec le Hezbollah. « Ce don pourrait avoir alors un effet négatif sur la scène libanaise et pourra alimenter en plus les dissensions sectaires, s’il est perçu comme une volonté de renforcer l’armée pour orienter ses armes contre le Hezbollah ».

Face au conflit syrien, Riyad a réalisé que la solution ne viendra pas de l’intérieur de Damas, mais plutôt en coupant ses bras régionaux qui y agissent et appliquent l’agenda iranien dans la région, notamment de ceux du Hezbollah qui combat aux côtés des forces de Bachar Al-Assad. Le calcul saoudien derrière ce soutien militaire sans précédent pour le Liban semble être, selon Al-Ezabawy, un renforcement de l’armée libanaise qui pourrait faciliter le désarmement du Hezbollah. « Pour les Saoudiens, le renforcement de l’armée libanaise aidera à réfuter les arguments du Hezbollah, qui justifie sa possession d’armes par l’absence d’une armée officielle capable de défendre le pays si ce parti de Dieu est désarmé », ajoute-t-il.

Le désarmement du Hezbollah suscite une polémique au Liban depuis 2005. De longues négociations n’ont toujours pas permis de régler cette question. L’aide saoudienne survient à un moment idéal où les forces libanaises s’opposant à l’armement du Hezbollah sont mobilisées pour la « libération du pays des armes illégales », notamment après l’assassinant de Chatah. Lors du discours du président libanais félicitant l’Arabie saoudite pour son don, on l’a entendu pour la première fois parler d’un sujet tabou au Liban, appelant à ce que l’arsenal du Hezbollah soit mis au service de l’Etat libanais. « Il est temps que l’Etat soit le seul à pouvoir gérer et décider de l’utilisation » des armes du Hezbollah, a déclaré Michel Sleimane, en relevant que ces armes étaient pour l’instant utilisées « pour un objectif autre que celui fixé ».

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