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Egypte: les zones d’ombre de la Constitution

SamarAl-Gamal, Lundi, 09 décembre 2013

L'Egypte a procédé à la réécriture presque intégrale de la Constitution adoptée en 2012 sous le président Morsi. Le texte suscite la controverse, en raison notamment des modalités d'application à venir.

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(Photos: Reuters)

Réunis au siège du Conseil consultatif (Chambre haute du Parlement), les 50 membres de la commission constituante ont approuvé rapidement et dans la facilité le projet de Constitution qui doit être soumis dans quelques semaines à un référendum populaire. La scène n’a pas beaucoup changé depuis un an, jour pour jour. La constituante, dominée par les islamistes et loin de faire l’unanimité, rédigeait alors une nouvelle Constitution qui devait marquer une rupture avec l’ère Moubarak. Mais elle n’apporte qu’un bouleversement pour le pays.

La nouvelle loi fondamentale devant mettre terme à la tentative d’« islamiser » l’Etat n’a cependant pas accompli entièrement sa mission, selon certains observateurs. Le texte supprime certaines références islamiques tout en élargissant les prérogatives des institutions qui ont chassé Mohamad Morsi du pouvoir, notamment l’armée, la police et la justice. « Or, en dépit de ces changements, le projet ressemble beaucoup à la Constitution de 2012 qui elle-même était basée sur la Constitution précédente adoptée en 1971 », conclut le think tank Carnegie Endowment, dans une étude comparative entre les 3 textes.

Ainsi, le fameux article 2, remontant à 1971, consolidé en 2012, fait toujours de l’islam « la religion d’Etat » et de « la charia islamique la principale source de législation ». C’est le cas aussi de l’institution d’Al-Azhar, définie dans l’article 7 : « Le responsable du prêche de l’islam ». Pourtant, l’article très controversé qui interprétait la charia en 2012 disparaît du nouveau texte, mais se retrouve à mots couverts dans le préambule. De la liberté de croyance qui « est un droit », elle devient « absolue ».

Le plus important changement est lié à la fondation des partis « religieux » désormais bannis par l’article 74, même si concrètement, aucun des partis islamiques ne l’est pas officiellement. Le texte ne signifierait pas grand-chose en pratique (lire page 4). Et selon l’avocat Négad Al-Borai, cet article se contredit avec l’article 2. Les rédacteurs du texte ont, à la dernière minute, et à la surprise de tous, remplacé « Etat civil » — pour ne pas dire laïque — par « gouvernement civil ».

Le porte-parole de la Constitution, Mohamed Salmawy, parle d’abord d’une faute de frappe avant d’affirmer plus tard que le mot « gouvernement » a été lu et approuvé en public alors que le texte remis aux 50 renfermait le mot « Etat ». Ceci signifierait-il que les ministres seront tous des civils, y compris celui des Waqfs ou de la Défense ? Il semble que non.

Quant au pouvoir de l’armée, il n’est que renforcé par 6 articles, dont le nouveau est l’article 234, qui accorde au Conseil suprême des forces armées, et non au président ou au premier ministre, la haute main dans le choix du ministre de la Défense, pendant « deux mandats présidentiels ». Au grand dam des défenseurs des droits de l’homme, l’article 204 maintient de plus la comparution des civils devant des tribunaux militaires avec une série de crimes qui « représentent une attaque directe contre les installations militaires, les casernes militaires, ou relevant de leur autorité, les zones militaires ou frontalières, leurs équipements, véhicules, armes, munitions, documents, secrets militaires, fonds publics ou usines militaires, les crimes liés à la conscription, ou des crimes qui représentent une attaque directe contre ses dirigeants ou de leurs effectifs pendant l’exercice de leurs fonctions. La loi définit ces crimes et détermine les autres compétences de la justice militaire ».

Pour simplifier, le procureur de la justice militaire n’a pas hésité à affirmer que les stations-services dirigées par l’armée relèvent des installations militaires auxquelles s’applique le texte. Une simple dispute sur un tel lieu pourrait donc voir déférer un civil devant une Cour militaire (lire page 5). Déjà, plus de 1 000 personnes ont été condamnées par un tribunal militaire depuis la chute de Moubarak.

Cette nouvelle Constitution est censée être la première étape de la feuille de route établie par l’armée pour une « transition démocratique » après la destitution de Morsi. Le projet remis au président par intérim Adly Mansour complique d’ailleurs cette transition.

Le soin au président de trancher

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Le président par intérim, Adly Mansour, reçoit la Constitution du président du comité des 50, Amr Moussa.

Le comité des 50 a rejeté un article du projet fixant un calendrier pour les élections parlementaires puis présidentielle conformément à la feuille de route, laissant le soin au président par intérim de trancher. C’est à lui que revient la décision de commencer par la présidentielle ou les législatives, ou d’organiser les deux scrutins en même temps. L’article stipule, en effet, que les procédures pour la « première élection doivent commencer au moins 30 jours après l’adoption de la Constitution, et au plus tard 90 jours après ». « Les procédures pour l’autre élection doivent commencer dans les six mois suivant le référendum », ajoute le texte, sans préciser lequel des 2 scrutins aura la priorité.

Les discussions tendent surtout vers la présidentielle en premier. La destitution de Morsi a été effectivement décidée sur la base de la volonté populaire du 30 juin 2013 pour la tenue d’une élection présidentielle anticipée. Le ministre de la Défense, qui a exposé les lignes de cette transition, avait pourtant omis cette demande. Aujourd’hui, ce changement de date se heurte à un texte constitutionnel. L’article 230 donne, en effet, au candidat présidentiel la possibilité d’obtenir l’appui de députés ou de citoyens. Le priver de l’une des deux options serait anticonstitutionnel, selon le professeur de philosophie du droit, Nour Farahat (lire article page 4). Les dirigeants actuels semblent vouloir garantir un Parlement non hostile au pouvoir. Un président issu de la mouvance du 30 juin, Abdel-Fattah Al-Sissi, actuel ministre de la Défense, ou quelqu’un d’autre de son camp, bloquerait la route au retour en force des islamistes, actuellement dans les rangs de l’opposition.

Sissi n’a pas encore déclaré ouvertement son intention de se présenter, mais le chef-d’état major de l’armée égyptienne ne semble pas exclure le fait de devenir le prochain président d’Egypte.

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