Al-Ahram Hebdo : Le pouvoir actuel dit être en lutte contre le terrorisme. Comment évaluez-vous cette lutte?
Adel Soliman : De quel terrorisme parle-t-on ? Nous avons affaire à des troubles politiques et sécuritaires accompagnés de différentes formes de violences et d’actes hors la loi de la part de certains groupes, et non à du terrorisme
Même les attaques qui ont ciblé certaines églises, ou encore l’attentat manqué contre le ministre de l’Intérieur ne peuvent être définis comme actes terroristes. Sur le fond, tous ces agissements ont pour seule raison la situation d’instabilité sécuritaire que vit l’Egypte depuis quelques mois. Si certains profitent de ce désordre pour commettre des violences dans la rue, le gouvernement en profite aussi pour imposer toutes sortes de restrictions et donner à nouveau aux services de sécurité la possibilité d’agir comme ils l’entendent, poussant certains à penser que le gouvernement lui-même est derrière ces actes ... Pourquoi ne pas y croire si l’ancien ministre de l’Intérieur, Habib Al-Adely, l’a déjà fait ?
— Et les attaques contre le bâtiment des renseignements militaires à Ismaïliya et les postes de police dans le Delta ?
— Toutes les attaques, même violentes, ne doivent pas être considérées comme du terrorisme. Elles rentrent dans le cadre d’une violence de haut degré. « Le terrorisme » n’est pas un mot à prendre à la légère. Pour parler de terrorisme, il faut avoir des preuves comme des arrestations de terroristes faisant partie d’un groupe précis, ou une revendication de la part d’un mouvement et qui soit confirmée par des investigations sérieuses. L’attentat contre le ministre de l’Intérieur a été revendiqué par Ansar Beit Al-Maqdis, mais les investigations n’ont toujours pas prouvé qu’ils sont les vrais auteurs de cette opération.
— Mais le Sinaï est le théâtre de véritables attaques revendiquées par des groupes djihadistes. N’est-ce pas du terrorisme ? — Le Sinaï est un cas très spécial et il ne serait pas logique de comparer la situation dans la péninsule avec ce qui se passe dans les autres gouvernorats. Les terroristes ont toujours trouvé dans cette région désertique et délaissée par l’Etat un terrain fertile pour leurs opérations. Au Sinaï, nous avons trois groupes actifs en ce moment. Le premier groupe est l’un des plus dangereux et fait partie de ce qu’on appelle « les gangs du crime organisé » et qui travaille dans le trafic d’êtres humains. Ils transportent des personnes venant d’Afrique en direction d’Israël ou d’autres pays. Ce trafic international trouve dans le Sinaï un espace fertile pour ses activités.
— Ce trafic s’inscrit-il dans le cadre du terrorisme ?
— Bien sûr, puisque ces trafiquants ont recours à des opérations armées pour mener leur mission. Ce type de trafic est très répandu dans le Sinaï et engendre un nombre d’opérations armées et très peu, en fait, y prêtent attention.
— Qui sont les deux autres groupes actifs dans le Sinaï ?
— Il y a les salafistes djihadistes. Un groupe aux idées radicales et qui trouve dans cette région un asile favorable. A chaque fois que l’occasion se présente, et quand la situation sécuritaire semble fragile, ils mènent quelques opérations, généralement contre la police, considérée comme leur principal ennemi. Puis il existe de petits groupes extrémistes comme Aknaf Beit Al-Maqdis, pour lesquels le Sinaï est aussi un lieu typique pour s’entraîner et se cacher. Ces groupes profitent de ces moments d’insécurité et de troubles pour élargir leurs opérations. Les trois groupes n’ont vraiment rien à voir avec ce qui se passe sur la scène politique en Egypte et ne soutiennent pas les Frères musulmans comme certains le pensent.
— Quel est leur objectif en s’attaquant à la police et l’armée ?
— Leur ultime but est de fonder un Etat islamique, mais actuellement ils ne luttent que pour construire une base forte pour leur mouvement dans cette région. Ces groupes sont moins organisés que ceux qu’avait connus l’Egypte dans les années 1990 et veulent faire de leurs groupes une puissance aussi forte. Leur seul refuge est le Sinaï. Ils s’attaquent à la police et à l’armée car elles entravent leur développement.
— En quoi sont-ils différents de ceux des années 1990 ?
— Les attentats des années 1990 prouvent justement que ce que nous vivons aujourd’hui n’a rien à voir avec le terrorisme. Dans les années 1990, nous avions principalement deux grands groupes terroristes : le Djihad et la Gamaa islamiya. Les deux adoptaient des idées radicales qui consistaient à se débarrasser des régimes en place et de toutes leurs figures.
Ils considéraient le régime de Moubarak comme l’un des plus hérétiques et des plus corrompus du monde islamique, à cause de ses liens étroits avec les Etats-Unis et Israël. Ils déployaient tous leurs efforts pour provoquer des troubles sécuritaires et politiques afin d’atteindre leur but et de faire chuter le régime. Ils visaient les institutions de l’Etat, les ministres et hauts responsables ainsi que les policiers ou menaient des attentats contre les touristes. La majorité des membres de ces groupes ont été arrêtés et ont mené des « révisions idéologiques » qui ont engendré plus tard l’abandon de la lutte armée.
— Mais par la suite la partie sud du Sinaï a été le théâtre de nouveaux attentats ...
— C’est un cas également différent. Les attentats de Charm Al-Cheikh, de Taba et de Dahab rentrent, certes, dans la classification des attentats terroristes mais avec un but bien différent des groupes des années 1990. Ils visaient surtout des groupes touristiques israéliens et voulaient les empêcher de se rendre en Egypte. Ces opérations préparées ont été commises par un groupe bien organisé qui, jusqu’à aujourd’hui, n’est toujours pas connu.
— Vous écartez la véracité d’une guerre contre le terrorisme, alors que le gouvernement prépare un projet de loi pour lutter contre le terrorisme …
— Nous n’avons pas besoin d’une nouvelle loi contre le terrorisme. Le code pénal actuel suffit, s’il est appliqué, à lutter contre le terrorisme. Mais le gouvernement en place essaie de profiter des troubles politiques en promulguant une loi qui mettrait dans un même panier tous ceux qui s’opposent au régime, notamment les Frères musulmans, les activistes, les Ultras ou autres. Le tout sous le slogan de la lutte contre le terrorisme.
— Pensez-vous donc que cette nouvelle loi vise en premier lieu à parvenir à des fins politiques ?
— Sans aucun doute. Il y a une tendance à employer le prétexte de la lutte contre le terrorisme dans des buts politiques. Ce phénomène a en effet toujours existé en Egypte. Les différents gouvernements ont brandi le prétexte du terrorisme pour maintenir l’état d’urgence pendant des dizaines d’années. En 2007, sous Moubarak, un comité a été formé pour préparer une loi contre le terrorisme, avec à sa tête Fathi Sourour, ancien président de l’Assemblée du peuple. La création du comité a coïncidé exactement avec des appels locaux et internationaux à l’état d’urgence. Mais ni l’état d’urgence, ni cette loi promulguée n’ont été levés, et c’est exactement ce qui se passe aujourd’hui.
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