Oui, l’Egypte est ravagée par l’instabilité politique. Des troubles sécuritaires et une crise économique accrue depuis plus de 2 ans plombent le pays. Pourtant, la passion pour le foot est restée intacte.
Dans ce contexte tendu et fragmenté où l’on pensait que le football n’était que secondaire, les Egyptiens se sont rassemblés en masse dans les cafés pour suivre le match entre le Ghana et les Pharaons. Le rêve était une qualification à la Coupe du monde 2014, une première depuis 1990. Mais le rêve s’est transformé en cauchemar après l’humiliante défaite contre les Black Stars (6-1), plaçant le sélectionneur Bob Bradley et ses poulains sous le feu des critiques.
(Photos : Reuters)
« Nous avons beaucoup travaillé pour réaliser le rêve des Egyptiens. Mais quand les joueurs sont entrés sur la pelouse à Kumasi, ils avaient trop de pressions sur leurs épaules. Je suis vraiment triste que nous soyons dans une telle position et je m’excuse auprès du public », a regretté Bradley, en poste depuis 2 ans.
Sûrement, l’Américain mérite sa part du blâme pour certaines erreurs techniques, mais il n’a pas à endosser les dérives d’un chapitre amer de l’histoire du pays. Car cette déconfiture est avant tout le reflet d’une situation sportive calamiteuse depuis de nombreux mois.
Après la révolution du 25 janvier 2011, le championnat a repris ses droits malgré les troubles sécuritaires et la saison s’est achevée un peu plus tard que prévu. Mais les 2 saisons suivantes n’ont pas connu le même sort. La saison 2011/2012 a été annulée suite à la catastrophe du stade de Port-Saïd le 1er février 2012, où plus de 74 personnes ont été tuées suite à des affrontements entre les supporters.
Un drame qui a laissé le pays en deuil, menant à la suspension de toute activité sportive locale susceptible d’attirer les foules. Suite aux lourdes pressions financières, les clubs ont dû vendre leurs vedettes dans un exode général de joueurs vers les pays de la région et d’Europe. « C’est une crise. Les clubs et les joueurs sont ravagés par la crise financière. Il y a des milliers de personnes qui n’ont que le foot comme travail, directement ou indirectement, et maintenant, ils n’ont plus rien pour vivre. Je connais des joueurs qui conduisent des taxis ou ont monté un petit commerce pour assurer leurs revenus », avait déclaré Tareq Yéhia, ancien entraîneur de Tanta et Maqassa et qui s’est lui-même offert un contrat en Arabie saoudite.
Un an après ce 1er février noir, les compétitions nationales ont repris avec la saison 2013. Mais les autorités ont imposé le huis clos lors des rencontres, afin d’éviter les confrontations entre les supporters ou entre les forces de sécurité et les Ultras (voir page 5).
« Le Parquet a imposé des conditions strictes pour assurer la protection des joueurs, des arbitres et du public. Il faut des caméras de surveillance, des barrières de sécurité, un espace entre la pelouse et les gradins ainsi que d’autres conditions encore. Mais ces conditions ne sont présentes que dans quelques terrains appartenant aux forces armées », explique Hani Abdel-Latif, porte-parole du ministère de l’Intérieur.
Les joueurs, ces héros érigés en statut de gladiateurs des temps modernes ayant presque tout perdu, ont dû supporter le calvaire des gradins vides jusqu’à ce que le championnat ait été annulé suite au 30 juin. « J’ai décidé de quitter l’Egypte, surtout que l’avenir des compétitions n’est pas clair. On ne sait pas si on jouera bientôt ou non : ces suspensions affectent gravement le foot égyptien », avait déclaré Hossam Ghali, ancien capitaine d’Ahli, parti au club belge de Lièrse l’été dernier.
Toute une industrie en faillite
Face au Ghana, les Pharaons ont endossé toutes les pressions d'un pays en malaise pour ainsi concéder la plus lourde défaite de leur histoire africaine.
(Photos : Reuters)
Sans compétition, sans public et sans revenus, les clubs sont au bord de la faillite. Le sponsoring a fortement chuté, les droits télévisés sont gelés et les guichets sont vides. Les dirigeants des clubs n’ont plus de ressources pour financer leurs investissements.
La grande majorité des clubs, dont le riche Ahli, ont dû réduire le montant des contrats de leurs joueurs et le versement des salaires reste irrégulier. Plusieurs joueurs ont fui Zamalek, qui a été éliminé de la phase de poule de la Ligue d’Afrique cette année, en raison du non-paiement de leurs arriérés qui comptent maintenant plusieurs mois.
« Nous avons 270 millions de L.E. de dettes. Nous avons rapidement besoin de revenus et d’aides financières, sinon, cette crise se transformera en catastrophe », prévient le nouveau président de Zamalek, Kamal Darwich, nommé temporairement à la place de Mamdouh Abbass.
Et le sport entraîne dans sa chute d’autres industries. Plusieurs chaînes satellites ont arrêté leur diffusion, notamment la célèbre Modern Sport, sans compter les nombreux programmes sportifs qui ont été annulés. « Le football n’est pas seulement un sport, c’est une industrie qui regroupe clubs, joueurs, entraîneurs, arbitres et chaînes satellites », souligne Seif Zaher, membre du conseil d’administration de la Fédération égyptienne et présentateur d’un programme sportif (voir interview).
S’il n’existe pas de chiffres précis, les analyses estiment qu’environ 3 millions de personnes bénéficient de ce secteur pour un chiffre d’affaires global de plusieurs milliards de L.E. entre vente, sponsoring, droits télé, publicités et autres.
Un certain nombre de grandes entreprises égyptiennes investissent aussi dans le foot égyptien, que ce soit au travers de publicités, services ou sponsoring (voir chiffres page 5). Face à ce constat, la suspension des compétitions n’est plus une option rationnelle malgré les enjeux sécuritaires et politiques.
Relancer le championnat coûte que coûte
« Notre principal objectif c’est de relancer le championnat national. La Coupe a commencé et se passe assez bien jusqu’à maintenant. Mais relancer le championnat n’est pas une décision que l’on peut prendre seul, il nous faut l’accord des autorités », a déclaré le président de la Fédération égyptienne, Gamal Allam.
Les autorités sont, en effet, résistantes à l’idée d’une reprise des compétitions en raison de l’instabilité dans le pays, et afin de limiter les risques de confrontations wdans les stades. Vu le large nombre d’opérations menées par la police depuis la destitution de Mohamad Morsi le 3 juillet dernier, l’organisation et la sécurisation des matchs leur semblent un fardeau inutile.
« Nous voulons que le championnat reprenne, car c’est le gagne-pain de beaucoup de personnes. C’est vrai que l’atmosphère a un impact négatif sur le sport, mais je pense que l’opinion publique est pour la reprise, avance cependant le porte-parole du ministère de l’Intérieur. Le problème c’est que les gens ne pensent qu’aux questions de sécurité : ce n’est pas la solution. C’est toute une culture qui doit changer. Tout le monde doit assumer sa part de responsabilité. Il n’est pas normal que le ministère de l’Intérieur endosse à lui seul tous les défauts des autres ministères ».
Le porte-parole demande aussi à ce que les clubs embauchent des compagnies de sécurité en y incluant certains éléments des Ultras, car ceux-ci sont familiers aux problèmes des stades. Il a même avancé l’idée que le ministère de l’Intérieur puisse les former, afin de leur donner l’expérience nécessaire et de consolider les relations entre les supporters des différentes équipes. Mais sa demande sera sûrement mal reçue par les clubs dont les caisses sont vides. Pour le moment, il incombe donc aux autorités de redonner vie à ce sport, que ce soit pour d’évidentes raisons économiques ou simplement pour apporter un peu de détente dans un contexte général morose.
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