Quand les passionnés de football égyptien ont créé des groupes de supporters pour transmettre leur passion à un plus large éventail de la population, ils ne pensaient se retrouver un jour entraînés dans des activités n’ayant plus rien à voir avec le sport qu’ils vénèrent.
Les « Ultras ahlawis » et « Ultras White Knights », fans des 2 plus grands clubs de foot du pays — Ahli et Zamalek — ont été créés pour animer la ferveur des stades, à une époque où ils sont plutôt désertés et manquants d’enthousiasme face au spectacle offert.
Mais 6 ans après leur émergence en 2007, ils se retrouvent mêlés à des batailles sur plusieurs fronts, faisant les grands titres de la presse, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, mais sans rapport avec leur objectif premier.
Leurs confrontations et leur hostilité persistantes à l’égard des forces de sécurité ont éclaté après la révolution du 25 janvier 2011, et la tension a atteint son apogée avec le décès de plus de 70 membres des Ultras ahlawis lors du match le plus désastreux que le pays ait jamais connu, entre Masri et Ahli à Port-Saïd, début 2012. Depuis, ils n’ont pas cessé d’accuser les autorités sécuritaires d’être derrière ce massacre qui a fait au total plus de 80 morts dans les gradins, et menacent d’affrontements acharnés les forces de sécurité, devenues leur bête noire.
Aujourd’hui, les Ultras sont, par la force des choses, plus considérés comme un phénomène politique qu’un élément moteur du sport populaire.
Dès le début, le phénomène des Ultras a attiré tous les regards. L’image des énormes bannières déferlant sur les tribunes avant les coups d’envoi des matchs et les chants venus de la même direction créaient une atmosphère de carnaval novatrice comparée aux acclamations et encouragements traditionnels.
L’influence et la popularité grandissante des Ultras les ont même amenés à interférer dans la gestion de leurs clubs. Ultras ahlawis et White Knights ont ainsi exercé d’intenses pressions sur les administrations sportives. Mais c’était encore limité au football.
Puis le vent a tourné. En 2010, des échauffourées ont commencé quand les forces de l’ordre les ont empêchés d’utiliser des feux d’artifice lors d’un match amical d’Ahli. La confrontation a donné lieu à de nombreux blessés des deux côtés. Les épisodes violents sont ensuite allés crescendo jusqu’au désastre de Port-Saïd. Et la spirale semble encore longue.
Un rôle déterminant
Les Ultras, poussés par une haine des forces de sécurité, se sont retrouvés au devant des manifestations, appelant à la destitution du président Hosni Moubarak en janvier 2011. Ils ont joué un rôle déterminant dans la défense de la place Tahrir lors des 18 jours de résistance avant le départ du raïs.
« Dans la nuit du 28 janvier 2011, après le vendredi de la colère, tout le monde savait bien que ces jeunes constitueraient un élément essentiel dans la réussite de la révolution de 2011 », écrivait Mohamad Gamal, surnommé « Gemyhood », un Ultras des White Knights, dans son livre intitulé « Ultras ».
« Tout le monde a réalisé qu’il existait un groupe de jeunes avançant en harmonie et motivé par une seule et même doctrine. La majorité ignorait que c’étaient les Ultras qui ont sacrifié leur vie pour leurs principes », ajoute-t-il.
Ils ont été levés aux rangs des héros par une grande partie de la population et ont été applaudis par les présentateurs de télévision. Mais cela n’a pas duré, et leur image a été ternie par leurs affrontements répétitifs avec la police lors des matchs.
On se rappelle un incident particulier, où 140 personnes ont été blessées suite à des heurts entre les Ultras et la police lors d’un match de Coupe d’Egypte en septembre 2011. Et bien sûr l’incident catalyseur de Port-Saïd qui a fait exploser l’affrontement. Certains analystes ont avancé la théorie de l’implication des forces de la sécurité dans ce désastre. « Ce qui s’est passé à Port-Saïd était une vengeance contre les Ultras à cause du rôle qu’ils ont joué dans la révolution. Les tentacules du régime de Moubarak y ont été pour beaucoup dans ce drame », estimait l’ancien candidat à la présidentielle, Hamdine Sabbahi, dans une tentative de se ranger à leur côté.
Les Ultras ahlawis ont exercé d’énormes pressions pour que justice soit faite, menaçant de semer le chaos dans le pays si la mort de leurs camarades n’était pas vengée. Cela a payé avec un verdict historique condamnant 21 supporters du club Masri à la peine capitale.
Les forces de police ont continué à se livrer au jeu du chat et de la souris avec les Ultras avec des affrontements intempestifs, que ce soit sous le mandat de Mohamad Morsi ou après son renversement. « Nous les avons contactés à plusieurs reprises, mais le problème c’est qu’ils forment de nombreux groupes et chacun a son leader, et donc, il est très difficile d’aboutir à une position concrète. Ces jeunes sont victimes de la mauvaise organisation du système sportif. Les déclarations irresponsables de certains responsables et joueurs soulèvent leur enthousiasme, ce qui les pousse souvent à la violence et les laisse seuls dans la confrontation », explique Hani Abdel-Latif, porte-parole du ministère de l’Intérieur.
Récemment, des dizaines de membres d’Ultras ahlawis ont été arrêtés pour avoir incité à de prétendues émeutes alors qu’ils accueillaient l’équipe de handball à l’aéroport du Caire. Un membre des Ultras White Knights a été tué par balle lors d’une manifestation devant le club de Zamalek.
« Elles (les forces de sécurité) mènent une guerre non seulement contre les Ultras, mais aussi contre toute une génération de jeunes. Si nous n’en prenons pas acte maintenant, on sera réduit au silence pour de bon », a annoncé le groupe des Ultras White Knights dans un communiqué sur sa page Facebook. Ils ont aussi publié la photo d’un membre d’Ultras ahlawis, avec de nombreuses contusions sur le dos, prétendant avoir été torturé par la police.
Mais le silence n’est pas la devise de ces groupes persistants à la peau dure. Ils restent déterminés et résolus à poursuivre leurs objectifs et à se livrer aux batailles nécessaires pour protéger leurs membres:
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