La police de Moubarak, est-elle de retour ?
(Photo : AP)
«
Nous allons frapper d’une main de fer quiconque menace la sécurité nationale … Nous avons décidé la réhabilitation de la sécurité de l’Etat ... La police est désormais autorisée à tirer à balles réelles sur les manifestants attaquant des biens publics ou les forces de l’ordre … ». Ces déclarations du ministre de l’Intérieur, Mohamad Ibrahim, rappellent de mauvais souvenirs.
Le 25 janvier, l’anniversaire de la fête de la police, est le jour qu’avaient choisi les Egyptiens pour débuter leur révolution tournée notamment contre la répression policière. Mais ces violences policières ne semblent pas vouloir disparaître de la rue égyptienne. Elles sont réapparues avec force le 30 juin, divisant les avis des spécialistes entre ceux qui y voient un retour en force de la police de Moubarak et d’autres qui considèrent ce recours à la force comme une nécessité dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Aujourd’hui, le sang coule de nouveau suite à chaque confrontation avec la police. Cette semaine, lors d’une manifestation au Caire à l’occasion du centième jour de la destitution de Mohamad Morsi, un jeune a trouvé la mort, tué par balle par la police. Quelques jours auparavant, à l’occasion de la journée marquant le 40e anniversaire de la guerre du 6 Octobre, les heurts entre police et partisans des Frères musulmans avaient fait au moins 57 morts. Ce fut l’une des journées les plus sanglantes dans le pays depuis la chute de Morsi.
Pour l’expert en sécurité Adel Soliman, les scènes que l’on voit actuellement sont en tout semblables à celles qui ont toujours existé sous Moubarak. « Nous avons un problème fondamental : ni les comportements, ni les idéologies, ni les outils, ni la structure de la police n’ont changé. Les policiers ont tout simplement arrêté de travailler pendant quelques mois après la révolution et les voilà de retour avec les mêmes principes … Il suffit de voir le nombre de morts et d’arrestations depuis le 30 juin, une tragédie qui ne touche pas seulement les partisans des Frères musulmans, mais aussi un grand nombre d’activistes et de journalistes qui s’opposent à l’armée ou tout simplement au comportement policier ».
Un bilan flagrant
Selon un rapport publié par le Réseau arabe d’informations sur les droits de l’homme, entre le 26 juin et le 26 août, 27 journalistes ont été arrêtés par les forces de sécurité lors de la couverture de différents événements. 15 seulement ont été relâchés. Le rapport cite aussi 51 agressions policières contre des journalistes et 8 décès, dont au moins 7 seraient dus aux balles des forces de polices.
Le directeur du Réseau arabe d’informations sur les droits de l’homme, Gamal Eid, se dit choqué par le nombre d’arrestation ces derniers trois mois. « Nous dénombrons depuis le 30 juin environ 3 000 détenus, dont la grande majorité sont des partisans des Frères musulmans, ainsi que des journalistes et des activistes. Le nombre de décès est aussi flagrant. Depuis le départ de Morsi, on compte entre 800 et 1 000 morts, alors que lors des 18 jours de la révolution de janvier, on en comptait 841, sous le Conseil militaire 215, et 154 sous le régime de Morsi. Ces chiffres prouvent que les comportements abusifs de la police n’ont jamais changé ».
Un récent rapport d’Amnesty International condamnant les agissements de l’appareil sécuritaire contre les manifestants souligne que parmi les 3 000 individus arrêtés depuis le 3 juillet par les forces de sécurité figurent des personnes « qui ne faisaient rien d’autre qu’exercer leur droit à la liberté d’expression et de réunion en manifestant en faveur du président déchu Mohamad Morsi ».
« C’est toujours dans le cadre de l’état d’urgence et de la lutte contre le terrorisme que la police se donne le droit de commettre des violences et des arrestations contre les civils. C’est ainsi que cela a toujours été sous l’ancien régime », poursuit le directeur du Réseau.
L’imposition de l’état d’urgence et du couvre-feu donne, en effet, les mains libres aux forces de l’ordre pour réprimer et emprisonner. « De toute façon, l’état d’urgence n’a jamais quitté l’Egypte. La police travaille, avec ou sans état d’urgence, de la même manière que sous Moubarak », explique Gamal Eid. Selon lui, le plus dangereux reste les modifications qui ont touché l’article 143 du code pénal stipulant que la détention provisoire n’est plus limitée dans le temps.
Une nécessité ?
Mais pour l’avocat et expert juridique dans le domaine des droits de l’homme, Abdallah Khalil, bien que la police n’ait pas radicalement changé, il y a une amélioration de ses comportements. « La police a agi selon les normes internationales lors de la dispersion des manifestations d’Al-Nahda, de Kerdassa et de Delga. Même s’il existe dans certains cas un abus dans l’utilisation de la force dans la rue ou même parfois dans les commissariats, il faut reconnaître que, jusque-là, ce ne sont que des cas isolés ». L’avocat estime que « dans certains cas particuliers, on est autorisé au recours à la force pour garantir la sécurité du pays. Même en ce qui concerne l’imposition de l’état d’urgence, puisqu’il est restreint à une période déterminée et à des conditions particulières ».
Le débat sur une telle nécessité reste ouvert. Mais une seule réalité s’impose : la police peine à changer et continue à commettre la même erreur que sous Moubarak en s’intéressant à la « sécurité politique » au détriment de la « sécurité sociale ». Sa mission n’est alors plus que faire la chasse à toute personne hostile au régime, négligeant ainsi son rôle sécuritaire.
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