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Ethiopie : L’heure de vérité

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 09 novembre 2021

Le conflit au Tigré entre dans sa deuxième année, mais aussi dans une nouvelle phase.En s’élargissant à d’autres régions, il compromet désormais l’intégrité de l’Etat éthiopien et suscite les craintes d’une instabilité régionale.

Ethiopie  : L’heure de vérité

Une guerre de tous contre tous. La tension va crescendo en Ethiopie. « La prise de la capitale est une question de mois, si ce n’est de semaines ». « Nous ne sommes pas particulièrement intéressés par Addis-Abeba, nous voulons nous assurer qu’Abiy Ahmed ne représente plus une menace pour notre peuple ». Telles sont les déclarations de Getachew Reda, porte-parole du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF). Selon beaucoup d’observateurs, le conflit, qui oppose depuis un an le gouvernement fédéral éthiopien d’un côté au TPLF et au Front de libération de l’Oromo (OLF) de l’autre, est entré dans « une nouvelle phase décisive ». Après avoir repris le contrôle total de toutes les zones de la région du Tigré en juin dernier, le TPLF ne cesse de réaliser des victoires stratégiques sur le terrain. Le 31 octobre, les forces tigréennes ont annoncé la prise des deux villes stratégiques de Dessie et Komblocha à 400km au nord de la capitale.

Le front de l’opposition s’est ensuite élargi après que 9 groupes rebelles eurent annoncé, le 5 novembre, la création d’une alliance contre le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, le « Front uni des forces fédéralistes et confédéralistes éthiopiennes ». L’avenir de l’Etat éthiopien est donc en jeu, vu l’inflexibilité des deux camps: d’une part, les groupes rebelles ne semblent pas vouloir arrêter leur progression; de l’autre, face à cette avancée, Abiy Ahmed a déclaré l’état d’urgence dans tout le pays et a appelé les habitants à prendre les armes pour combattre. « L’avancée du TPLF a changé l’équilibre militaire sur le terrain en ouvrant trois fronts stratégiques pour lutter contre les forces gouvernementales dans le but de les affaiblir: dans les régions d’Amhara et d’Afar, la frontière triangle entre l’Ethiopie, l’Erythrée et le Soudan et dans la région nord-ouest du pays », explique Ahmed Amal, expert des affaires africaines.

Isolement international

Par ailleurs, l’isolement de l’Ethiopie sur le plan international se renforce. « Abiy Ahmed, qui a refusé toutes sortes de médiation, n’a pas réussi à convaincre la communauté internationale que le conflit au Tigré s’agit seulement d’une affaire interne éthiopienne », ajoute Ahmed Amal. Plusieurs pays ont ordonné leurs ressortissants de quitter le pays. Washington a aussi décidé de suspendre les avantages commerciaux préférentiels accordés à l’Ethiopie en raison des violations des droits de l’homme dans le nord du pays. Un défi majeur pour l’économie éthiopienne qui fait face à de nombreux défis: le conflit au Tigré, la pandémie et la fuite des investissements étrangers. Par ailleurs, La population civile est la grande victime. La crise humanitaire ne cesse de s’aggraver. Plus de 400000 personnes sont au bord de la famine au Tigré. « Toute marche vers Addis-Abeba provoquerait une augmentation des déplacements de la population, une augmentation des besoins et des souffrances pour le peuple éthiopien », a prévenu l’Onu (voir page 4).

« Il s’agit plutôt d’un conflit idéologique et non pas ethnique. Autrement dit, un conflit entre deux projets politiques autour de la nature et la façon de gouverner l’Ethiopie. D’un côté, les Tigréens, chassés du pouvoir en 2018 par Abiy Ahmed, défendent la Constitution, qui a approuvé le principe du fédéralisme ethnique. Et de l’autre côté, le mouvement unioniste, adopté par Abiy Ahmed, qui veut augmenter l’autorité du pouvoir central au détriment des régions », explique Amal. Or, l’instabilité risque de dépasser les frontières. La poursuite du conflit menace à la fois l’avenir de l’Ethiopie et la stabilité de la Corne de l’Afrique (voir entretien page 5).

Le début de la fin ?

Mais que va faire le premier ministre éthiopien? Selon Mohamad Abdel-Kérim, spécialiste des affaires africaines, « les options sont limitées, la plus probable est la chute de son régime vu aujourd’hui par la communauté internationale comme une entrave face au retour au calme en Ethiopie. Des rapports éthiopiens publiés le 3 novembre indiquent qu’Abiy Ahmed a déjà discuté des plans de quitter le pays pour un exil volontaire ». D’après ces informations, il est probable que cet exil se fasse à Nairobi, ajoute-t-il. Autre scénario envisagé par l’analyste : la poursuite du conflit. « Les hostilités risquent de se prolonger, sans réelle perspective de s’en sortir, ni aucune garantie de lancer un véritable dialogue politique, ce qui signifie épuiser les capacités de l’Etat éthiopien, exacerber l’état de polarisation interne entre les partis politiques du pays et augmenter les possibilités de désintégration de l’Etat éthiopien en petits Etats », explique Mohamad Abdel-Kérim.

Outre ces deux scénarios, Abiy Ahmed pourrait encore « déclarer la paix » avec toutes les forces politiques et relancer une phase de transition globale. Selon Abdel-Kérim, une telle option pourrait toutefois se heurter au refus de l’opposition, notamment dans les régions du Tigré et des Oromos, de tout rôle politique pour Abiy Ahmed dans l’avenir.

Par ailleurs, la poursuite du conflit en Ethiopie constitue un défi évident pour la sécurité régionale. L’Ethiopie est devenue une source d’instabilité et suscite l’inquiétude d’une contagion à toute la Corne de l’Afrique. La plupart des dizaines de milliers de personnes qui ont fui les combats dans le Tigré ont trouvé refuge au Soudan, alors que l’extension du conflit plus au sud vers Addis-Abeba pourrait entraîner un afflux de réfugiés vers Nairobi, capitale du Kenya.

Pour Ahmed Amal, « ce conflit pourrait redessiner la carte de la Corne de l’Afrique, ouvrant la porte à l’ingérence d’acteurs régionaux. Ce qui signifie une militarisation accrue de cette région » .

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