Mohamed Shadi, expert économique au ECSS
Bagdad vient de lancer un programme de réforme économique nommé « Livre blanc », visant à surmonter les défis économiques internes et externes auxquels l’Iraq est confronté. Ceux-ci émanent notamment d’un environnement économique local souffrant de la corruption, dont la facture, depuis 2003, a atteint environ 150 milliards de dollars, ce qui a entraîné un effondrement complet de l’infrastructure, déjà endommagée par les combats qui ont eu lieu durant les vingt dernières années et qui persistent encore. N’oublions pas aussi les problèmes du secteur de l’énergie. Bien que l’Iraq soit l’un des plus gros exportateurs de pétrole au monde, environ 4 millions de barils par jour, le deuxième producteur de l’Opep et le quatrième du monde, il souffre encore de coupures de courant fréquentes et prolongées dans plusieurs régions du pays. Parfois, celles-ci durent plus que 8 heures en été dans certaines régions. Tous ces éléments ont entraîné une détérioration des services, qu’il s’agisse de la finance, des assurances, du transport maritime et terrestre, ce qui a réduit l’engagement de l’économie iraqienne dans l’économie mondiale et a conduit à la fuite constante des investissements étrangers directs à l’étranger. En 2019, les fonds fuyant à l’étranger ont atteint environ 3 milliards de dollars.
Ces situations internes difficiles ont été accompagnées par d’autres externes instables, telle la baisse du prix du pétrole au cours des dix dernières années, atteignant son niveau le plus bas en vingt ans pendant la pandémie de Covid-19, alors qu’il est le principal contributeur au PIB et la principale source de revenus du gouvernement. Tous ces facteurs ont conduit à une contraction du PIB en 2020, atteignant environ le dixième de sa valeur, et à l’augmentation de la dette publique à l’un de ses plus hauts niveaux historiques, environ 70 % du PIB, tandis que le taux général de chômage a atteint environ 14 %.
La Conférence régionale de l’Iraq représente une bouée de sauvetage pour l’économie du pays. S’il parvient à réduire les tensions dans la région et à endiguer le conflit d’influences internationales sur son territoire, cela assurera la stabilité et réduira la détérioration continue des infrastructures, d’autant plus que nous sommes dans le « supercycle » de l’économie mondiale, qui témoigne d’une hausse des prix des produits de base, dont le plus important est le pétrole.
Mona Soliman, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire
La tenue des élections législatives anticipées iraqiennes, prévues le 10 octobre 2021, est remise en cause. Et ce, après qu’elles eurent été reportées en raison du soulèvement d’octobre 2019 et des manifestations populaires massives qui ont prévalu dans tous l’Iraq réclamant le changement politique et la réforme économique. Pour sa part, Moustafa Al-Kazimi a refusé de reporter les élections et a insisté sur le fait qu’elles se tiennent à la date prévue sous supervision internationale et a annoncé qu’il n’y participerait pas. La carte électorale actuelle n’est pas très différente de celle des élections de 2018. Mais des militants politiques indépendants représentant les manifestants d’octobre 2019 pourraient aussi participer aux élections. Il y a des prémices d’une alliance kurdo-chiite après la visite de l’ancien premier ministre proche de l’Iran, Nouri Al-Maliki, à Erbil, capitale du Kurdistan, et sa rencontre avec le leader kurde, Massoud Barzani, pour mettre fin aux divergences poursuivies pendant la présidence de Maliki du gouvernement (2006-2014).
Trois scénarios sont donc prévus. Le premier est que les élections se tiennent selon le calendrier prévu et que le gouvernement d’Al-Kazimi parvienne à les sécuriser et à assurer leur intégrité. Et, par la suite, assumer la présidence du nouveau gouvernement iraqien après un consensus politique à ce sujet, compte tenu du succès qu’il a réalisé pendant un an et demi à la tête du gouvernement. Le deuxième est le report des élections de 6 mois, au cas où la situation sécuritaire se détériorerait, comme conséquence de la propagation des cellules dormantes de Daech en Afghanistan et de leurs menaces sur les pays du Moyen-Orient. Le troisième scénario est la tenue des élections dans un état d’insécurité et de chaos politique, ce qui débouchera sur un parlement fragile et l’échec de la formation du futur gouvernement iraqien.
Ahmad Adli, expert sécuritaire au Centre des études du Moyen-Orient
Le dossier de la sécurité constitue l’un des défis les plus importants auxquels le gouvernement est confronté, notamment à la lumière du taux élevé de criminalité et de la nouvelle vague d’assassinats qui a touché déjà de nombreux militants. A cela s’ajoutent l’accès des milices aux armes, ce qui affecte la souveraineté de l’Etat, et la croissance de la dépendance iranienne sur les milices fantômes. L’Iran cherche à atteindre deux objectifs principaux. Le premier est de faire pression sur Washington pour le chasser de l’Iraq. Le second est le recrutement des milices dans le cadre de la campagne de pression iranienne toujours sur Washington concernant le programme nucléaire. L’incapacité de Bagdad à sécuriser des installations étrangères a constitué un grand embarras pour les autorités iraqiennes devant la communauté internationale.
On ne s’attend pas à ce que Washington se retire réellement de l’Iraq pour deux raisons principales. La première est que l’Administration Biden craindrait des développements sécuritaires pour lesquels elle pourrait être blâmée en Iraq, comme ce qui s’est passé après le retrait de Washington d’Afghanistan. Et la seconde est que l’accord entre les parties américaine et iraqienne concernant le retrait des forces de combat d’ici la fin de l’année actuelle comprend une « astuce », celle de maintenir une présence américaine, même à des fins d’entraînement.
Au milieu des crises politique, économique et sanitaire actuelles en Iraq et des autres circonstances régionales et internationales, Daech a continué à exploiter ces contextes qui lui sont utiles pour tenter de faire revivre une partie de son ancien rôle dans le pays, qu’il avait auparavant perdu après sa défaite en 2017. La Turquie aussi poursuit son agression contre le nord de l’Iraq sous prétexte de combattre le Parti des travailleurs du Kurdistan et ses organisations affiliées.
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