Comment l’Egypte protège-t-elle les droits de l’enfant ? Réussirons-nous à éliminer le travail des enfants d’ici 2025, comme l’ambitionne le plan national ? Quels sont les enjeux de ce phénomène et les solutions possibles ? Toutes ces questions étaient au coeur des discussions de la table ronde organisée la semaine dernière par la Fondation
Maat pour la paix, le développement et les droits de l’homme sous le titre «
Les efforts égyptiens pour lutter contre le travail des enfants entre réalité locale et aspirations internationales », en présence de la ministre de la Solidarité sociale, Névine Al-Qabbag, des représentants du ministère de la Main-d’oeuvre, de la société civile et du secteur privé, mais aussi des Nations-Unies, de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et d’un certain nombre d’ambassadeurs.
Le président de la Fondation Maat, Ayman Aqil, a ouvert la discussion en soulignant que la lutte contre le travail des enfants suscite une grande attention en Egypte et au niveau international. « Cette table ronde a pour but de passer en revue les efforts accomplis, de relever les défis et d’inviter toutes les parties : ministères, secteur privé, société civile et communauté internationale, à coopérer », a-t-il dit. Et d’ajouter : « L’année 2021 est l’année internationale de l’élimination du travail des enfants. Il est donc impératif d’échanger les expériences régionales et internationales pour lutter contre ce phénomène, surtout que les organes spécialisés sont présents comme le Comité des droits de l’enfant des Nations-Unies ou l’Alliance 8.7, initiative dont l’objectif à l’horizon 2030 est d’inciter les dirigeants mondiaux à prendre des mesures immédiates et efficaces pour supprimer le travail forcé, interdire et éliminer les pires formes de travail des enfants et, d’ici 2025, mettre fin au travail des enfants sous toutes ses formes ».
L’année internationale pour l’élimination du travail des enfants a été décrétée pour attirer l’attention sur l’étendue de ce phénomène ainsi que les efforts nécessaires pour l’éliminer. Le Programme international pour l’élimination du travail des enfants (IPEC) de l’OIT a été créé en 1992 avec comme objectif global l’élimination progressive du travail des enfants en renforçant les capacités des pays à s’attaquer au problème. L’IPEC est opérationnel dans 88 pays. L’Egypte coopère activement avec l’OIT sur ce dossier.
« Le travail des enfants trouve ses racines dans la pauvreté, le décrochage scolaire, la désintégration des familles et la croissance démographique. C’est pourquoi l’Etat a adopté, au cours des sept dernières années, des politiques visant à redistribuer l’aide, à assurer la protection sociale et l’égalité des chances en matière d’éducation, de même que des politiques d’investissement dans les individus », a déclaré la ministre de la Solidarité sociale (voir page 3).
Malgré les efforts internationaux visant à éliminer le travail des enfants, les données et les estimations mondiales concernant ce dossier sont alarmantes. 160 millions d’enfants âgés de 5 à 17 ans travaillent, dont 79 millions sont impliqués dans des travaux dangereux et nocifs (voir page 4).
D’après la Capmas, 1,6 million d’enfants âgés de 12 à 17 ans travaillent en Egypte, soit un enfant sur dix. 63 % travaillent dans le secteur agricole, tandis que 18,9 % travaillent dans les secteurs industriels comme le secteur minier, le bâtiment, les industries manufacturières, ou encore les mines, les carrières et les briqueteries.
Plan national 2018-2025
Le nombre d’enfants en situation de travail est plus important dans les zones rurales que dans les zones urbaines.
En vertu de la Constitution de 2014 et de la Vision Egypte 2030, il revient à l’Etat de protéger les enfants. Le ministère de la Main-d’oeuvre a lancé un plan national de lutte contre les pires formes de travail des enfants (2018-2025), en coopération avec l’Organisation internationale du travail. Il s’agit du travail forcé ou obligatoire, l’utilisation ou l’emploi des enfants dans la prostitution, l’utilisation ou l’emploi des enfants dans des activités illégales, comme la production de la drogue, ainsi que le travail portant atteinte à la santé des enfants et à leur bien-être psychologique.
« Un grand effort a été fait par le gouvernement pour éradiquer le travail des enfants », explique Amal Abdel-Mawgoud, du ministère de la Main-d’oeuvre. L’Egypte a ratifié la convention de l’Organisation internationale du travail adoptée en 1973 sur l’âge minimum d’admission à l’emploi et celle de 1999 sur les pires formes de travail des enfants. En outre, un travail important a été accompli au niveau législatif. En effet, la loi de 2008 relative à l’enfance incrimine le travail des enfants de moins de 14 ans. « Nous organisons aussi des séminaires de sensibilisation dans divers gouvernorats et nous oeuvrons en vue de fournir une protection sociale complète aux enfants et à leurs familles. Nous avons également mis en oeuvre 6 programmes principaux de lutte contre le travail des enfants, visant à renforcer la protection des enfants contre le travail et la violence », ajoute Abdel-Mawgoud.
En dépit de ces efforts, le travail des enfants persiste, surtout dans les zones rurales, notamment en Haute-Egypte, affirme le chercheur et membre du Conseil national de la maternité et de l’enfance, Nasser Mouslim. Et d’expliquer : « Au Fayoum, les enfants travaillent comme ouvriers agricoles itinérants dans les fermes, où ils se déplacent d’un endroit à l’autre pendant les saisons de récolte sans aucune protection ni contrôle sanitaire ».
Pour faire face au problème, le gouvernement a créé le concept des écoles communautaires. Ce sont des écoles qui aident l’enfant et la famille à la fois et qui forment des enfants qualifiés, compétents et instruits à l’âge légal. « Malheureusement, certains ont abusé de ce concept et l’utilisent comme échappatoire. Il faut donc revoir l’emploi de ce concept », affirme Nasser Mouslim.
Dimension économique
La lutte contre le travail des enfants ne peut se faire indépendamment des autres aspects du problème, en particulier l’aspect économique qui est une raison directe pour laquelle les familles poussent leurs enfants à travailler.
Le ministère de la Solidarité sociale a lancé plusieurs initiatives et programmes pour offrir aux familles égyptiennes une vie décente comme le projet Takafol Wa Karama, l’initiative Vivre dans la dignité et le projet Mawadda, qui cherchent à préserver la structure de la famille égyptienne.
L’ambassadeur Gihad Madi, membre du Comité des droits de l’enfant des Nations-Unies, salue ces initiatives, notamment le programme Takafol Wa Karama. « Ce programme a beaucoup donné. J’espère qu’il sera plus actif et que son budget sera doublé pour inclure toutes les familles nécessiteuses, car la pauvreté est la cause incontestable du travail des enfants », dit-il. Madi souligne un autre défi : « Ce qui manque à l’Egypte, c’est l’application sur le terrain. Il doit y avoir des mécanismes de contrôle et d’inspection ». Un défi sur lequel insiste l’ambassadrice Mouchira Khattab, ancienne ministre de la Famille et de la Population. « Nous devons appliquer la loi avec fermeté. Nous avons dépassé le stade de la sensibilisation, et aujourd’hui, nous devons mettre en oeuvre la loi qui incrimine le travail des enfants sous l’âge légal et qui incrimine leur privation de l’éducation. Nous ne devons pas réduire le nombre d’enfants travailleurs, mais plutôt de réduire ce nombre à zéro », précise-t-elle. L’autre grand défi est le coronavirus. « Avec le coronavirus, beaucoup de familles ont perdu leur gagne-pain et se retrouvent sans ressources les poussant à faire travailler leurs enfants. L’enfant est ainsi amené à payer les erreurs de la société. Historiquement parlant, nous acceptons socialement de jeter la responsabilité sur le fils aîné qui s’occupe de son frère cadet. Nous acceptons que les enfants portent des responsabilités ! Cela doit cesser », s’insurge Soumaya Al-Alfi, responsable de planification au Conseil national de la maternité et de l’enfance. Selon elle, tous les efforts de développement ne donneront pas de résultats si on ne change pas cet héritage. « Certes, de grands efforts sont faits par l’Etat, mais il nous faut plus, et tout le monde doit participer, notamment les médias et les ONG », conclut-elle.
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