Ahmad Kamel Al-Béheiri
Au cours des huit dernières années, depuis la mi-2013 jusqu’à la mi-2021, la situation sécuritaire en Egypte a connu de nombreux changements en ce qui concerne le niveau et l’ampleur des menaces terroristes. Dans un premier temps, de juin 2013 à juin 2017, la courbe du terrorisme a été ascendante, avant de connaître une importante régression au cours des trois suivantes années.
Avant de passer en revue des efforts et des étapes de lutte antiterroriste en Egypte depuis 2013, il est important de connaître les facteurs qui déterminent le rôle, le poids et l’efficacité des organisations terroristes. Et ce, afin de pouvoir évaluer objectivement les portées de cette stratégie de lutte antiterroriste aux niveaux sécuritaire, idéologique et social.
En tête de ces facteurs figure la zone géographique qui joue un rôle principal dans le positionnement des organisations et groupes extrémistes à différents niveaux : les moyens de se cacher, l’entraînement des combattants et le stockage des armes. La majorité des organisations terroristes s’implantent dans des milieux désertiques et frontaliers qui sont loin du pouvoir central. Le choix porte aussi souvent sur des endroits qui souffrent de difficultés socioéconomiques. C’est ce qui explique pourquoi ces groupes ont tenté de transformer le Nord-Sinaï en un sanctuaire terroriste, notamment depuis 2011, profitant du contexte de vide sécuritaire qu’a entraîné la Révolution de Janvier.
Le deuxième facteur est la composition démographique, un facteur qui détermine l’apparition des organisations terroristes ici ou ailleurs, ainsi que la nature de leurs activités. C’est ce qu’on a constaté dans les années 1990, lorsque des organisations telles la Gamaa Islamiya, Al-Djihad, Al-Takfir wal Higra et les Chawqis ont focalisé leurs activités en Haute- Egypte ou dans des quartiers défavorisés du Caire comme Imbaba. Idem pour les groupes terroristes qui sont apparus pour la première fois depuis 2013 dans des régions désertiques ou frontalières comme le désert occidental.
La stabilité politique et sécuritaire constitue un autre facteur déterminant dans la prolifération des groupes terroristes. L’effondrement de nombreux Etats voisins de l’Egypte (Libye, Syrie, Yémen) a largement favorisé la montée du terrorisme et la présence des groupes terroristes en Egypte. Par ailleurs, les idéologies et les liens organisationnels avec des organisations extrémistes transfrontalières jouent un rôle important dans la survie d’un groupe et sa capacité à recruter de nouveaux éléments. A titre d’exemple, Daech a connu une régression au niveau organisationnel suite à l’assassinat de son leader Abou-Bakr Al-Baghdadi, en octobre 2019. Parallèlement, lorsque des différends opposent ces groupes, cela a un large impact sur les groupes qui leur sont affiliés. C’est ce qui s’est passé avec l’apparition de Daech en 2014 et qui a marginalisé Al-Qaëda, dont de nombreux partisans ont prêté allégeance à Daech. C’était aussi le cas des dissidents du Djihad, de la Gamaa Islamiya et d’Al-Qaëda au Sinaï, qui ont formé le groupe terroriste Wilayet Sinaï, dépendant de Daech, qui a visé, outre les militaires, les civils et les coptes. Ce qui représentait un tournant alarmant. Dernier facteur : la coopération en matière de renseignements et de coordination sécuritaire entre les pays de la région et du monde est essentielle à la mise en place des mécanismes propices à la lutte antiterroriste apte à limiter le déplacement des individus, l’échange des informations, des fonds et des armes.
Une stratégie, trois axes
L’opération militaire antiterroriste « Sinaï 2018 » est parvenue à éliminer les groupes terroristes implantés au Nord-Sinaï.
En référence à ces six facteurs, l’Etat égyptien a lutté contre le terrorisme en se basant sur le développement des rxégions frontalières et sur la hausse du niveau de coopération sécuritaire avec les Etats de la région et du monde entier. A cela s’ajoute le rôle croissant du Caire dans le règlement de nombreuses crises dans des pays voisins, notamment la crise libyenne. La réussite de l’Etat égyptien dans sa guerre contre le terrorisme revient à sa stratégie intégrale. Une stratégie qui reflète la vision du président Abdel-Fattah Al-Sissi formulée lors du Sommet arabo-américain tenu à Riyad en mai 2017. Une stratégie basée sur trois axes. Pour le premier, il s’agit de collecter les informations, localiser les lieux d’implantations des terroristes, dessécher les sources de financement et de soutien logistique et sécuriser les frontières. Viennent ensuite comme deuxième axe les opérations militaires et sécuritaires menées conjointement par les forces de l’armée et de la police et dont l’objectif est d’adresser des coups fatals à ces groupes. Quant au troisième axe, il s’agit du développement des régions concernées comme outil de lutte contre le terrorisme. A cet effet, l’Etat a lancé des projets de développement global au Sinaï et dans les régions rurales pour améliorer les conditions de vie des citoyens, en particulier dans les régions marginalisées, afin d’empêcher les groupes terroristes d’exploiter la pauvreté et l’ignorance pour attirer de nouveaux éléments dans leurs rangs.
« Sinaï 2018 », le coup fatal
C’est donc sur ces trois axes que se sont basées les opérations sécuritaires, dès leur début jusqu’à l’opération militaire globale antiterroriste Sinaï 2018, lancée sous les directives du président Sissi à l’issue du massacre de la mosquée d’Al-Rawda, commis par l’organisation terroriste Wilayet Sinaï, le 24 novembre 2017, et qui avait fait 300 martyrs parmi les civils. Il est incontestable que Sinaï 2018 a réalisé d’importantes réussites en démantelant les structures organisationnelles des groupes terroristes, en desséchant leurs ressources en armes et éléments, en coupant tous les moyens de communication entre ces éléments et l’étranger et en renforçant le contrôle des zones stratégiques frontalières. Hors Sinaï, l’Etat a aussi réussi à freiner l’activité des organisations terroristes au coeur du territoire égyptien (la Vallée du Nil et le Delta), en éliminant la présence des groupes affiliés aux Frères musulmans qui ont fait leur apparition après la chute du régime des Frères musulmans en 2013, tels Al-Eqab Al-Sawri, Hasm et Liwaa Al-Sawra, dont les activités étaient concentrées dans la Vallée du Nil et dans le Delta. Hors Sinaï, le dernier attentat était l’explosion qui a eu lieu près de l’Institut du cancer au Caire en août 2019. Selon l’indice mondial du terrorisme pour l’année 2019, l’Egypte ne figure plus sur la liste des dix pays les plus touchés par le terrorisme. Ce qui prouve que l’Etat a réussi au cours de ces huit dernières années à réaliser de nombreux objectifs stratégiques.
Tout d’abord, au niveau du premier axe, l’Etat a réussi à viser de nombreux cadres des premiers et deuxièmes rangs des groupes terroristes, ce qui a considérablement affaibli leurs capacités. Deuxièmement, l’Etat a réussi à arrêter les opérations terroristes commises par les groupes et groupuscules terroristes affiliés aux Frères musulmans. Troisièmement, l’Etat a commencé à exécuter de nombreux programmes de lutte contre la pauvreté comme Takafol wa Karama (solidarité et dignité), accordant un intérêt particulier aux régions frontalières et à la Haute- Egypte, en plus du projet de développement dans les zones rurales. Aujourd’hui, on peut noter la disparition de tous les groupes affiliés à Al-Qaëda depuis 2018, ainsi que la régression des capacités de l’organisation de Wilayet Sinaï, affiliée à Daech, au cours des années 2019, 2020 et 2021 au niveau du nombre d’opérations exécutées ou de la nature des objectifs visés, avec une incapacité totale du groupe d’exécuter des opérations dans la Vallée du Nil et dans le Delta. L’Egypte a bel et bien avancé dans sa guerre contre le terrorisme ●
*Chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram et spécialiste des groupes terroristes
Lien court: