Al-Ahram Hebdo : Les relations entre l’Egypte et l’Afrique sont passées par plusieurs étapes. Comment ont-elles évolué ?
Salah Heleima: Les relations avec l’Afrique sont ancrées dans l’histoire, et sont passées par trois étapes. A l’époque du président Gamal Abdel-Nasser, elles se sont concentrées sur la décolonisation et les mouvements de libération, l’Egypte ayant alors joué un rôle déterminant et de premier plan dans la création de l’Organisation de l’Unité Africaine (ndlr: OUA, ancêtre de l’Union africaine). Après la période des indépendances, l’Egypte a joué un rôle positif et constructif dans l’instauration de la paix de nombreux pays. Cependant en 1995, après la tentative d’assassinat du président Hosni Moubarak, il paraissait peut-être à certains que le rôle de l’Egypte a reculé. En fait, nous ne pouvons pas dire cela, mais il y avait un rôle au niveau présidentiel. Depuis cette date et juste avant l’arrivée au pouvoir du président Sissi, il y avait un rôle égyptien de premier plan dans le continent, bien que moins fort qu’avant. Parallèlement, certains pays africains sont devenus plus actifs. Ce qui a donné l’impression d’un certain recul du rôle égyptien. Ce qui n’est pas vrai ni en apparence ni dans le fond. Quant à la phase actuelle, l’Afrique occupe une place prioritaire dans la vision de développement de l’Egypte. La coopération avec le continent a connu un élan sans précédent. Les relations entre l’Egypte et l’Afrique sont globales et intégrales dans tous les domaines.
— Dans cette optique, quelle est l’importance du premier Forum de promotion des investissements organisé par l’Egypte à Charm Al-Cheikh ?
— Ce forum s’inscrit dans la poursuite du rôle de l’Egypte entamé lors de sa présidence de l’Union africaine et qui n’a pas été interrompu jusqu’à présent. Il y a beaucoup de projets que l’Egypte a mis en oeuvre dans de nombreux pays africains. Une délégation égyptienne s’est récemment rendue en Tanzanie, en Guinée Bissau, au Sénégal et dans d’autres pays, où les relations économiques ont connu d’importantes évolutions par des investissements égyptiens et des entreprises du secteur privé égyptien, notamment dans le domaine de l’énergie et des infrastructures. Ce forum vise à attirer davantage d’investissements étrangers au continent africain. Il ne fait aucun doute que cette démarche renforcera le rôle et la position de l’Egypte dans les domaines économique et politique.
— Et comment évaluez-vous les efforts de l’Egypte dans le domaine de complémentarité économique ?
— Depuis que l’Egypte avait assuré la présidence de l’Union africaine en 2019, un intérêt particulier a été accordé à tous les domaines de coopération comme je l’ai précédemment mentionné, mais le côté économique a connu un grand essor. Concernant les infrastructures, le dopage d’énormes investissements et l’orientation des investissements vers les différents secteurs productifs, agricoles, miniers, industriels ou marins, sont liés à l’Accord de libre-échange africain. Et l’Egypte a eu un rôle actif dans la mise en place et l’activation de cet accord. L’infrastructure comprend des liaisons routières, électriques et ferroviaires, ainsi que des projets majeurs tels que ceux reliant le lac Victoria à la Méditerranée, la ligne Le Caire-Le Cap et la région « de la Ceinture et de la Route ». L’Egypte a dopé des investissements, que ce soit au niveau officiel ou gouvernemental. Quant aux conférences internationales telles que Russie-Afrique, Chine-Afrique, Grande-Bretagne-Afrique, Allemagne-Afrique, le sommet du G20, la conférence de Munich, l’Egypte a eu un rôle pivot dans toutes ces rencontre en termes de soutien égyptien à l’Afrique pour faire face aux défis sécuritaires ou économiques. En plus, l’Egypte a encouragé le secteur privé à investir en Afrique, notamment en créant un fonds pour soutenir les investissements égyptiens en Afrique. L’Egypte a également oeuvré à avoir un partenariat économique avec de nombreux pays du continent, s’engager dans des projets dans les domaines de l’énergie et des infrastructures et créer des zones industrielles et logistiques dans de nombreux pays du continent.
— Qu’en est-il de la coopération sur le plan sécuritaire et militaire ?
— L’Egypte a joué un rôle déterminant dans ce domaine, notamment dans la lutte contre le terrorisme, le crime organisé, la traite des êtres humains et la migration illégale. Elle a oeuvré pour la sécurité et la stabilité dans le domaine de la sécurité, de la coopération militaire et du maintien de la paix dans la région du Sahel, dans les crises libyenne et somalienne, et dans la lutte contre les mouvements terroristes extrémistes, y compris la situation au Yémen, car cela fait également partie de la région arabo-africaine dans la région de la mer Rouge. Nous soulignons donc un autre rôle central de l’Egypte, qui est récemment apparu dans la création de l’Organisation des Etats arabes et africains riverains de la mer Rouge et du Golfe d’Aden, qui a pour objectif la sécurité, le développement et la stabilité. L’Egypte a également joué le rôle de médiation dans de nombreux pays africains tels que le Soudan du Sud et la Libye, où il y avait une présence étrangère, des mercenaires et des milices extrémistes. Je pense que ce rôle est très positif et a été couronné d’un grand succès jusqu’à présent. Il y a aussi le rôle de l’Egypte dans les opérations de maintien de la paix et dans la lutte contre le terrorisme, dans de nombreux pays africains, dont le Mali à titre d’exemple. De même, un partenariat politique entre l’Egypte et les pays du continent a été créé concernant les visions et les orientations pour résoudre les problèmes africains à travers la voie pacifique, sans oublier la participation de l’Egypte à l’initiative « Faire taire les armes ». Ce partenariat englobe également la recherche de solutions afro-africaines à tous les problèmes et questions, en mettant l’accent sur un nouveau rôle central pour les jeunes et les femmes.
— Le côté social revêt-il la même importance ?
— Certes, l’Egypte a joué un rôle sur deux volets extrêmement importants: la santé et l’éducation. Dans le domaine de la santé, elle a été quasiment la seule à contribuer à la lutte contre la pandémie de coronavirus, en cherchant à moderniser les systèmes de santé dans les pays du continent en renforçant leurs capacités, ou en fournissant les vaccins de façon générale. Je pense que l’Egypte a joué un rôle majeur à cet égard, que ce soit dans son rôle direct au niveau bilatéral ou multilatéral, comme le sommet du G20 qui a alloué 100 milliards de dollars pour lutter contre le Covid-19 dans le continent africain. L’Egypte cherche également à fabriquer un vaccin pour servir le continent, en plus de l’aide médicale qu’elle a fournie à de nombreux pays, du transfert de ses expériences dans la lutte contre l’hépatite C et celui de la campagne « 100 millions de citoyens en bonne santé » vers les pays africains, en particulier les pays voisins comme le Soudan. Sans oublier l’aide médicale fournie par l’Egypte.
En matière d’éducation, il y a également un grand développement dans le renforcement des capacités des pays du continent dans tous les domaines, l’augmentation des bourses de l’Université d’Al-Azhar ou des universités publiques. En outre, l’Egypte a accordé une attention particulière aux jeunes et a organisé des conférences pour eux et pour l’autonomisation économique des femmes. Toutes ces actions s’inscrivent dans le cadre de l’Agenda de l’Union africaine de 2063.
— Le président Sissi a récemment effectué une visite à Djibouti. Quelle est l’importance de cette visite ?
— Djibouti est un pays important, car c’est un pays qui donne sur la mer Rouge, qui est une région liée à la Corne de l’Afrique et aux évolutions et menaces pour la sécurité et la stabilité, que ce soit dans la crise du barrage de la Renaissance, la crise libyenne, la crise en Somalie ou les tensions au Soudan et la crise avec l’Ethiopie. Tout cela fait de Djibouti un pays important vu son emplacement stratégique et la présence de nombreuses bases militaires dans le pays, on en compte 8 appartenant au Japon, à la Chine, aux Etats-Unis, à l’Union européenne, à la France et à la Grande-Bretagne, ainsi que des flottes navales — l’Egypte en a une, ainsi que l’Ethiopie. L’intérêt pour Djibouti est donc une préoccupation stratégique liée à la sécurité et est également lié à la crise du barrage de la Renaissance, d’autant plus que 80% des importations ou des exportations de l’Ethiopie transitent par un chemin de fer via Djibouti, ce qui peut affecter la sécurité et la stabilité régionales et internationales, en étendant son impact sur la sécurité et la stabilité dans la Corne de l’Afrique et la mer Rouge .
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