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« Ce que nous avons à Rabea est sans précédent »

Propos recueillis par Chaïmaa Abdel-Hamid, Mardi, 13 août 2013

Abdallah Khalil, spécialiste des droits de l’homme, évoque la situation à Rabea Al-Adawiya et parle des critères censés être respectés en cas d’intervention de la police pour disperser la foule.

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Al-Ahram Hebdo : Vous avez une longue expérience en matière de droits de l’homme. Quelle est, selon vous, la meilleure méthode pour disperser le camp de Rabea Al-Adawiya, au Caire ?

Abdallah Khalil : D’abord, il faut souligner que tout rassemblement pacifique doit être protégé et ne doit en aucun cas être dispersé. On ne parle de dispersion que lorsqu’un rassemblement porte atteinte à la sécurité ou à l’environnement. Si ce rassemblement incite à la violence ou s’il est armé, alors, il existe des critères internationaux qu’il faut respecter, comme ceux des Nations-Unies relatifs au recours à la force ou l’utilisation d’armes à feu en cas de dispersion des rassemblements illégaux. De plus, il existe la loi égyptienne 109/1971 relative aux forces de police qui stipule qu’en cas de rassemblement illégal, la police a le droit de recourir à la force et à l’emploi d’armes.

— Et quelles sont précisément les étapes à suivre pour l’intervention policière ?

— Le recours à la force en cas de rassemblement illégal se fait selon des critères précis. On commence par un avertissement à travers un haut-parleur couvrant le lieu du rassemblement pour s’assurer qu’il soit entendu par tous les manifestants. Il faut établir un blocus autour du rassemblement en ne laissant qu’une seule sortie aux manifestants voulant quitter les lieux pour qu’ils ne soient pas exposés aux dangers. En cas de refus des manifestants de quitter les lieux, la police dispose de moyens non mortels pour les disperser, comme l’usage du gaz lacrymogène. Quant à l’utilisation des armes à feu, la police ne doit y recourir qu’en cas de légitime défense ou en présence d’un grave danger pour les vies humaines. C’est, en fait, le dernier moyen auquel la police doit recourir. Si c’est le cas, l’utilisation des armes à feu doit se faire sur plusieurs étapes en commençant par des tirs sur les jambes. Mais des exceptions sont permises en cas d’affrontements que la police ne peut arrêter par les moyens habituels. En somme : à toute action une réaction.

— Quelles sont les lois appliquées actuellement en Egypte ?

— En Egypte, c’est la loi 10/1914 qui est appliquée. Elle remonte à la colonisation britannique. Cette loi a été modifiée pour être plus restrictive sur les rassemblements illégaux dont le but est de commettre des violences. Cette même restriction se trouve aussi dans la loi 14/1923 concernant les lieux publics et les manifestations. L’article 102 de la loi 109/1971 autorise la police à tirer sur des foules de plus de 5 personnes si celles-ci menacent la sécurité publique, ce qui constitue un critère beaucoup plus large que celui prévu par le droit international, selon lequel l’usage des armes à feu par les forces de l’ordre n’est autorisé que pour prévenir une infraction particulièrement grave mettant sérieusement en danger des vies humaines. Mais ces lois ont donné lieu à une mauvaise gestion de la force lors des manifestations de 1972 et de janvier 2011. C’est pour cela que nous recourons aux critères internationaux. La Cour européenne des droits de l’homme a demandé à renforcer les garanties d’une bonne utilisation des grenades lacrymogènes, afin de minimiser les risques de décès et de blessures liés à leur usage. La police suit aujourd’hui ces critères et ne veut intervenir que selon ces critères légaux.

— Comment évaluez-vous les rassemblements au Caire de Rabea Al-Adawiya et d’Al-Nahda ? Etes-vous pour une intervention par la force ?

— Pour Rabea et Al-Nahda, nous sommes dans un cas très délicat, car nous avons des otages, à savoir les habitants de ces quartiers qui sont bloqués. Le front Al-Nasra et le mouvement de libération en Syrie utilisent les toits des immeubles dans leur conflit avec l’armée syrienne, causant la perte de nombreuses vies humaines qui n’ont rien à avoir avec ce conflit.

Avec ces pertes de vies humaines, ces mouvements recherchent la sympathie de l’opinion publique internationale. Ils veulent se faire passer pour des victimes de la violence policière, sans pour autant que soient vues les violences commises par eux.

Mais je suis sûr que l’armée égyptienne ne tombera pas dans ce piège.

— Connaissez-vous dans le monde une situation similaire à celle de Rabea Al-Adawiya ? Et comment est-elle traitée ?

— On a parfois des cas de violence qui sont très graves. Mais ce que nous avons à Rabea est sans précédent. On n’a jamais vu de rassemblement avec autant d’armes lourdes, on n’a jamais vu de rassemblement kidnapper et torturer des personnes jusqu’à la mort, menacer d’un bain de sang ou encore utiliser les enfants et les femmes comme boucliers humains. Il est aussi très important de savoir qu’il existe une manière de traitement pour chaque situation.

— Certains ont proposé la présence d’observateurs étrangers lors des opérations de dispersion des manifestants de Rabea. Qu’en pensez-vous ?

— J’approuve totalement cette idée. Il est indispensable que les médias diffusent les vérités. Ceux qui veulent cacher les vérités sont ceux qui veulent commettre des irrégularités.

— Un Etat qui a recours à la force pour disperser des manifestants subit-il des sanctions internationales ?

— Non, pas du tout. Cela ne dépassera pas les condamnations verbales internationales. Dans certains cas, quand il s’agit de massacre et non de simple dispersion, on peut avoir recours aux sanctions économiques contre le régime. Mais ce n’est pas le cas pour l’Egypte.

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