Al-Ahram Hebdo : Le nouveau Gouvernement d’union nationale vient d’être formé. Est-ce le début d’une solution à la crise libyenne ?
Mohamed El Nokaly : M. Dbeibah a été élu premier ministre à Genève le 5 février dans le cadre du Forum du dialogue politique libyen sous l’égide de l’ONU. Un conseil présidentiel de trois membres a été de même élu. Le nouvel exécutif est chargé d’unifier les institutions et d’assurer la transition jusqu’aux élections du 24 décembre, date à laquelle sa mission devrait théoriquement prendre fin. Il est composé de deux vice-premiers ministres, de 26 ministres dont 5 femmes et 6 ministres d’Etat. Le poste du ministre de la Défense reste vacant. Le 10 mars, 121 sur les 132 députés réunis à Syrte ont approuvé le nouveau gouvernement. Le 15 mars, le gouvernement a prêté serment à Tobrouk. La question qui se pose est la suivante : quelle est la différence entre ce gouvernement et le GNA ? Est-ce qu’il s’agit d’un vieux vin dans des bouteilles neuves ? Les signataires de l’accord de Skhirat avaient été choisis par l’ONU tout comme les 75 Libyens qui ont élu le Gouvernement d’union nationale (GUN). L’ancien Gouvernement d’union (GNA) n’a pas réussi car il n’avait pas de consensus clair sur les questions importantes. L’incapacité de ses organes à démanteler les milices et à les intégrer, à s’unir, à gagner en légitimité et à travailler avec les autres factions était claire et a mené le pays à plus de divisions, de chaos ce qui s’est soldé par une guerre civile. Les accords de partage du pouvoir se sont avérés inappropriés car le manque d’autorité de l’Etat empêche de tels arrangements de réaliser leurs objectifs déclarés. L’Etat et son autorité doivent être créés avant que son pouvoir ne puisse être partagé. Mohamed Al-Menfi, président du Conseil présidentiel, a déclaré : « Nous devons être le noyau de la réconciliation d’ici les élections prévues à la fin de l’année », à part cette déclaration les démarches entreprises ou envisagées pour la réalisation de la réconciliation ne sont pas claires. Un processus de réconciliation nationale suffisamment solide est le seul garant des élections.
La Libye est une société tribale et elle ne peut être gouvernée ou reconstruite que par un consensus tribal basé sur la coutume et la religion sans les adopter comme seule référence. Sans consensus, il est difficile de gouverner la Libye : c’est une réalité qui se confirme et son ignorance de la part de la communauté internationale malgré sa clarté nous conduira dans un labyrinthe.
— Quels sont les défis qui attendent le gouvernement de Dbeibah qui devrait diriger la Libye jusqu’à la tenue d’élections en décembre prochain ?
— Les défis sont titanesques sur le plan politique, militaire, économique, sanitaire, administratif, logistique, migratoire et social. La priorité serait l’unification des institutions civiles, militaires et sécuritaires puis de désarmer, démanteler et d’intégrer les milices. L’existence d’un gouvernement central fort nécessite le démantèlement des milices et le démantèlement des milices ne peut être réalisé que par un gouvernement fort. La présence des mercenaires est un enjeu majeur, ce sont des professionnels qui sont une force de nuisance et constituent une menace de déstabilisation sérieuse pour la région. Ces mercenaires dont le nombre s’élève à 20 000 d’après l’ONU devaient quitter la Libye le 23 janvier mais ils y sont toujours.
Le sud de la Libye est actuellement une zone de no man’s land. En dépit de son importance stratégique il n’est jamais mentionné dans les discours politiques. Il est devenu un sanctuaire pour les groupes terroristes et le crime organisé. Des conflits ethniques couvent entre les Toubous et les Tuareg et entre les premiers et les tribus arabes qui pourraient déclencher des hostilités armées de taille causant la déstabilisation de la région sahélo-saharienne. Le GUN doit se substituer au GNA et au gouvernement provisoire à Al-Beida. La fusion des différents ministères sera problématique en raison de l’absence de feuille de route ou de plan de réorganisation
Le désengagement entre les appareils administratifs dans l’est et l’ouest ne sera pas facile et nécessitera des concessions au détriment de l’efficacité au niveau subalterne sans parler des niveaux supérieurs.
L’élection présidentielle devrait être précédée d’un référendum sur une nouvelle Constitution, qui doit être approuvée à la majorité absolue, en accord avec l’amendement constitutionnel voté le 26 novembre 2018 au parlement de Tobrouk. La falsification de la nationalité libyenne est devenue courante en Libye. Des milliers de cas de révocation de la citoyenneté ont été faits dernièrement ce qui impacte négativement les listes électorales.
Le défi majeur c’est la résistance et le refus par les parties prenantes à l’intérieur et à l’extérieur de la création d’un gouvernement légitime central qui les priverait de leurs privilèges et des gains qu’ils tirent du chaos actuel.
Tous ces défis mettent en doute la possibilité de maintenir la date fixée des élections et prolongeront sans doute la période de transition. Il est toujours préférable de donner du temps au temps.
— L’Egypte a déclaré son intention de collaborer avec les nouvelles autorités sur les plans économique, sécuritaire et militaire. Pensez-vous qu’une nouvelle ère des relations stratégiques entre Le Caire et Tripoli s’ouvre ?
— L’Egypte et la Libye ont des relations historiques qui datent de très longtemps. Un grand nombre de Libyens se sont installés en Egypte dès 2011 où ils ont été accueillis fraternellement au niveau populaire et officiel. Avant la désignation du nouveau gouvernement, il y avait des visites réciproques mais beaucoup d’entre elles n’avaient pas été annoncées. Lors de la dernière visite d’une délégation égyptienne à Tripoli, on a discuté de la réouverture de l’ambassade et de la reprise des vols aériens ainsi que de l’accord des quatre libertés (accord signé entre les deux pays et ratifié par les parlements stipulant la liberté d’entrée, de séjour, de travail et de propriété des citoyens des deux pays). Il y a un désir commun d’ouvrir une nouvelle page et d’oeuvrer ensemble pour les intérêts mutuels.
— Quel est le rôle de l’Egypte au cours de la prochaine période, notamment en ce qui concerne sa contribution à la reconstruction de la Libye ?
— L’Egypte contribue depuis longtemps au développement de la Libye et à la construction des infrastructures. Les entreprises égyptiennes ont une réputation remarquable et beaucoup de réalisations cependant, les contrats de reconstruction sont soumis à de nombreuses considérations et sont dominés par les influences politiques.
— Abdel-Hamid Dbeibah a choisi l’Egypte pour sa première visite officielle à l’étranger après sa désignation début février. Quels sont les messages transmis ?
— Le message est clair : l’Egypte est un acteur incontournable dans le règlement des conflits régionaux comme expliqué précédemment, il y a une volonté d’ouvrir une nouvelle page sur des bases nouvelles dictées par l’étape actuelle. La Libye sait qu’elle a un partenaire sur lequel elle peut compter et lui faire confiance. Mais les Libyens résidant en Egypte s’attendent à un assouplissement des procédures d’entrée et de séjour, à l’exonération des amendes imposées aux voitures et à l’infraction au règlement du séjour et des droits d’entrée, et à la facilitation des procédures d’entrée au port de Salloum.
— L’Egypte a accueilli ces derniers mois plusieurs réunions sur le processus constitutionnel ainsi que celles du Comité militaire mixte 5+5. Comment les efforts incessants du Caire ont-ils rapproché les points de vue entre les différentes parties libyennes ?
— La Libye est un pays voisin qui accueillait deux millions d’Egyptiens qui travaillaient dans tous les domaines et vivaient en paix avec leurs frères libyens. L’existence d’un gouvernement fort en Libye est une garantie et une protection pour la sécurité nationale égyptienne. L’Egypte a un grand intérêt à la stabilisation de la Libye, elle n’a épargné aucun effort pour rassembler les parties prenantes en Libye, combler le fossé et rapprocher les points de vue. Beaucoup d’efforts ont été déployés dans tous les domaines souvent dans la discrétion.
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