Après de longues années de conflits internes et de chaos, la Libye, écartelée entre est et ouest, tourne une nouvelle page de son histoire. Le 16 mars, au cours d’une cérémonie à Tripoli, le Gouvernement d’Union Nationale (GUN) dirigé par le premier ministre, Abdel-Hamid Dbeibah, a officiellement pris les rênes de l’exécutif, succédant à Fayez Al-Sarraj. La passation du pouvoir est intervenue quelques jours après que les membres du cabinet et du Conseil présidentiel, présidé par Mohamed Al-Menfi, avaient prêté serment au parlement lors d’une session dans la ville de Tobrouk après avoir reçu le soutien de 121 des 134 membres du parlement libyen. « C’est un jour historique », a déclaré le président du parlement, Aguila Saleh, à la fin de la session. « Ce sera le gouvernement de tous les Libyens … La Libye est une et unie », a promis de son côté le premier ministre dans un bref discours après le vote.
Une lueur d’espoir en Libye ? Originaire de Misrata, Dbeibah a été désigné premier ministre par intérim le 5 février par 75 personnalités libyennes de tous bords, réunis à Genève sous l’égide de l’Onu. Dbeibah aura pour lourde tâche de « procéder aux préparatifs nécessaires pour les élections présidentielle et parlementaires » prévues le 24 décembre, date à laquelle sa mission prendra fin, comme l’indique la feuille de route que le Forum de dialogue politique libyen a adoptée en novembre 2020. Son cabinet est composé de 2 vice-premiers ministres, 26 ministres et 6 ministres d’Etat. Cinq ministères-clés de la feuille de route, dont les Affaires étrangères et la Justice, ont été attribués à des femmes, une première dans l’histoire de la Libye. Selon beaucoup d’observateurs, le nouveau gouvernement a entamé ses fonctions au milieu de grands défis économiques, financiers, sécuritaires et sociaux.
Problématiques et défis de la transition
« La véritable épreuve pour le nouveau gouvernement est de mettre fin aux cycles successifs de transition politique dont le pays a été témoin au cours des dix dernières années et de conduire la Libye sur la voie de la paix et de la réconciliation durables », explique Ahmed Amal, chef du département des études africaines au Centre de la pensée égyptienne des études stratégiques (ECSS). Et d’ajouter : « Pour réaliser cet objectif, le gouvernement doit donc accomplir de multiples tâches urgentes ». Assurer une réconciliation politique globale entre les parties qui ont récemment été impliquées dans un conflit est le défi numéro un. Mais le chemin vers la réconciliation passe aussi par un autre défi de taille : unifier les institutions militaires et sécuritaires. Dans ce sens, le Comité militaire mixte libyen 5+5 a intensifié les rencontres. La dernière en date a eu lieu à Syrte, la semaine dernière, pour débattre de l’application des points restants de l’accord du cessez-le-feu signé le 23 octobre dernier à Genève, en Suisse, et pour poursuivre la coordination entre les comités sécuritaires. « Sans l’unification des institutions sécuritaires en Libye, toute avancée dans le volet politique reste toujours menacée », souligne Amal.
Le premier ministre devra aussi démanteler de nombreuses milices locales lourdement armées et s’assurer du départ des mercenaires et combattants étrangers sur le sol libyen. Selon l’Onu, environ 20 000 militaires et mercenaires se trouvaient encore fin 2020 en Libye. « Quelque 10 bases militaires étrangères sont encore stationnées en Libye », avait déclaré, en décembre dernier, la représentante spéciale par intérim du secrétaire général de l’Onu en Libye, Stéphanie Williams. Le nouveau gouvernement devra s’attaquer également à de nombreux défis économiques et sociaux : services défaillants, corruption, coupures d’électricité, inflation et pandémie.
Par ailleurs, le rétablissement de la production pétrolière à ses niveaux normaux en Libye, qui détient les plus grandes réserves de pétrole d’Afrique, se trouve sur la table du nouveau cabinet libyen. Le président de la National Oil Corporation a récemment déclaré qu’il était prévu de faire passer le taux de production actuel à 1,45 million de bpj d’ici la fin de l’année, puis à 1,6 million de bpj en 2022 et à 2,1 millions de bpj dans 4 ans.
Dénouer la question de la répartition des revenus pétroliers, l'un des points de discorde entre l’est et l’ouest, suscite maintenant beaucoup d’interrogations. Comment les revenus seront-ils répartis ? Sur quelle base ? Quelle sera la part du pouvoir central ? Et celle des régions libyennes ? « Des discussions ont été également lancées pour la réouverture des voies terrestres, notamment la route côtière qui relie le pays de la frontière tunisienne à la frontière égyptienne en passant par Tripoli et Benghazi. La réouverture de cette route, fermée depuis plusieurs années, doit faciliter la circulation des citoyens et du commerce, et aura un impact très positif sur le mode de vie des Libyens, car de nombreuses familles sont divisées entre l’est et l’ouest », estime Amal. Le 11 mars, les vols entre Benghazi et Misrata ont été repris après 7 années d’interruption.
Reste la problématique du temps. « Neuf mois sont une très courte période pour que le nouveau gouvernement puisse s’attaquer à toutes ces questions vitales avant de se rendre aux élections », explique Amal, qui prévoit une prolongation de la période de transition.
Un soutien égyptien à plusieurs dimensions
Mais quel rôle joue l’Egypte au cours de la période prochaine pour soutenir la feuille de route et le développement en Libye ? « C’est une étape historique pour régler la crise libyenne. Le Caire est prêt à remettre le pays sur la bonne voie », a dit le président Abdel-Fattah Al-Sissi, félicitant la formation du nouveau pouvoir exécutif libyen, tout en soulignant sa confiance dans les nouvelles autorités « pour bien gérer cette phase transitoire ». De même, le président a affirmé : « L’Egypte est prête à présenter ses expériences aux domaines nécessaires à réaliser la stabilité politique, outre sa participation à mettre en oeuvre les projets de développement en Libye, constituant une priorité pour le peuple libyen frère ».
En fait, les efforts de l’Egypte pour restaurer la sécurité et la stabilité en Libye et y réaliser le développement n’ont jamais été interrompus dès le début du conflit. « Depuis le début de la crise libyenne, la position égyptienne est constante et claire : le règlement politique constitue la seule issue à cette crise et la sécurité de l’Egypte est une partie intégrante de la sécurité et la stabilité de la Libye. C’est pourquoi l’Egypte est très attachée au succès des arrangements transitoires comme en témoignent les contacts que le président a pris rapidement avec le nouveau premier ministre et le Conseil de la présidence dès leur nomination.
« De même, le choix de Dbeibah de l’Egypte pour sa première visite officielle à l’étranger a été perçu comme un message positif et signe de rapprochement entre Le Caire et Tripoli », explique Amal. Selon lui, « ce nouvel élan dans les relations égypto-libyennes reflète l’efficacité de la stratégie adoptée par Le Caire à l’égard de la question libyenne en général à la lumière des transformations politiques que le pays a connues au cours de la dernière décennie, et en particulier au cours de la période récente, qui a commencé avec la Conférence de Berlin en janvier 2020 qui a lancé trois volets de pourparlers inter-libyens : politique, économique et militaire ». Le spécialiste rappelle que Le Caire a accueilli beaucoup de pourparlers inter-libyens dans le cadre du processus de Berlin et, en parallèle, il a accueilli de nombreuses rencontres concernant notamment « le volet constitutionnel ». Le 20 janvier, les participants au dialogue politique inter-libyen, réunis en Egypte, ont convenu de l’organisation d’un référendum sur la Constitution avant les élections en décembre 2021. « Il y a un désir commun d’ouvrir une nouvelle page et d’oeuvrer ensemble pour les intérêts mutuels … L’existence d’un gouvernement fort en Libye est une garantie et une protection pour la sécurité nationale égyptienne », explique l’ambassadeur Mohamed El Nokaly, ancien ambassadeur égyptien en Libye (voir entretien). Et d’ajouter : « Une délégation égyptienne s’est rendue à Tripoli pour discuter la réouverture de l’ambassade et la reprise des vols aériens, ainsi que l’accord des quatre libertés : accord signé entre les deux pays et ratifié par les parlements stipulant la liberté d’entrée, de séjour, de travail et de propriété des citoyens des deux pays ». Dans ce contexte, l’Egypte continuera de jouer un rôle actif pour soutenir le processus politique et de la reconstruction de la Libye.
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