Au caire, sur les rives du Nil a été allumé le flambeau de la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (ZLECAF) pour donner le coup d’envoi au plus grand marché commun du monde rassemblant 1,3 milliard de personnes au sein d’un bloc pesant 3 400 milliards de dollars, selon les chiffres de la Banque mondiale. Lancé lors du Sommet de Niamey en juillet 2019, l’accord aurait dû entrer en vigueur le 1er juillet 2020, mais il a été reporté au 1er janvier 2021 à cause du coronavirus. Paradoxalement, la crise sanitaire a donné un nouvel élan au projet. « La crise sanitaire mondiale a révélé l’importance de l’intégration intra-africaine vu que la plus grande partie des pays africains compte entièrement sur l’importation des produits de consommation. Pendant la crise, les chaînes d’approvisionnement ont été gravement perturbées. Un fait qui a accru les taux de pauvreté et influencé les chaînes de valeur », explique Dr Sally Farid, professeure d’économie à l’Université du Caire.
Objectifs grandioses
Tous les pays africains, à l’exception de l’Erythrée, ont signé l’accord de libre-échange. Sur ces 54 pays, 34 l’ont déjà ratifié. Les ambitions sont grandes : « Créer un marché commun pour les marchandises et les services, assurer le libre mouvement des hommes d’affaires et des investissements, frayer la voie à une union douanière continentale, augmenter le volume du commerce intra-africain, relever les défis face à l’intégration régionale et continentale, renforcer la compétitivité commerciale et industrielle via une meilleure exploitation des matières premières ». En effet, la Zlecaf est une opportunité de dynamiser les échanges entre les pays africains, de créer une chaîne de valeur propre au continent tout en augmentant l’attrait de l’investissement direct en Afrique pour le reste du monde. En 2019, 18 % seulement des exportations africaines officielles sont allées vers d’autres pays africains, un taux minime comparé aux 52 % du commerce intra-asiatique et aux 73 % au commerce intra-européen la même année, selon Afreximbank, une institution multilatérale de financement du commerce basée au Caire. « En fait, il ne s’agit pas seulement d’augmenter le volume du commerce intra-africain mais aussi de changer ses proportions. Aujourd’hui, les produits finis en représentent 40 %, la nourriture 20 % et les métaux 40 %. L’abolition des barrières douanières et les mesures de facilitation du commerce devront ouvrir la voie à l’augmentation des exportations industrielles à valeur ajoutée pour atteindre 70 % du commerce intra-africain. Ces mesures devront également réduire les exportations africaines de métaux qui représentent 80 % du total des exportations africaines », explique Sally Farid. Un objectif clairement spécifié par le secrétaire général élu de la Zlecaf, Wamkele Mene : « Nous voulons éloigner l’Afrique de ce modèle économique colonial qui consiste à être perpétuellement un exportateur de matières premières allant être transformées ailleurs ».
Défis majeurs
Cependant, rassembler les marchés d’une cinquantaine de pays, à des niveaux de développement différents sur le continent le plus pauvre du monde, ne se fera pas d’un coup de baguette magique. L’économie du continent ne pèse que 3 % de l’économie mondiale, mais elle est morcelée entre 55 systèmes économiques différents. « La voie est encore longue pour mettre en application l’accord sur le terrain et pour en récolter les fruits », a affirmé le président Sissi lors du Sommet exceptionnel de Niamey qui a vu le lancement de l’accord sous la présidence de l’Egypte de l’Union africaine. Avis partagé par le secrétaire général de la Zlecaf. « Cela va nous prendre beaucoup de temps », a affirmé M. Mene. Et d’ajouter : « Si vous n’avez pas les routes, si vous n’avez pas l’équipement adéquat pour que les autorités douanières à la frontière puissent faciliter le transit rapide et efficace des marchandises … si vous n’avez pas l’infrastructure, souple comme matérielle, cela réduit la portée de cet accord ». Selon Dr Sally Farid, le marché commun se heurte à de nombreux problèmes endémiques : procédures administratives lourdes, mauvaises connexions routières et ferroviaires, instabilité politique, problèmes de corruption ou bien encore politiques protectionnistes de certains de ses membres. « Les taxes douanières représentent une source de revenu importante pour de nombreux pays africains. Cependant, la facilitation des procédures commerciales et le court transit des marchandises dans les ports permettront une nette augmentation des exportations. Le revenu de ces exportations compensera largement les pertes des recettes douanières. Le libre-échange des marchandises profitera graduellement aux pays signataires », explique la professeure d’économie à l’Université du Caire. Pour sa part, la Banque mondiale, pour apaiser les craintes des gouvernements de perdre de précieuses recettes douanières et les encourager à accélérer le pas, a annoncé que l’exemption mutuelle des taxes douanières priverait 49 pays sur 54 de moins de 1,5 % seulement de leurs recettes car le volume du commerce intra-africain est minime et les produits d’origine africaine taxés à leurs frontières sont peu nombreux.
Sur les 54 membres, 41 ont déjà soumis des échéances pour la réduction des taxes douanières. Les pays africains doivent retirer 90 % de leurs lignes tarifaires sur une période de 5 ans pour les économies les plus avancées, ou bien de 10 ans pour les pays en développement. La suppression de 7 % des taxes restantes sera soumise à un calendrier plus long, alors que les derniers 3 % pourront être maintenus. Ce qui signifie que d’ici 2034, 97 % des taxes douanières devraient être abolies.
Par ailleurs, d’autres dossiers sont encore en suspens. L’annexe de l’accord sur les origines des produits doit encore être finalisée. Une étape essentielle pour déterminer quels produits peuvent être taxés. Ensuite, il faut résoudre la question des rapports entre la nouvelle Zlecaf et les 8 Communautés Economiques Régionales (CER) existantes. Enfin, les accords commerciaux signés avec l’Europe, la Chine et les Etats-Unis sont encore un autre obstacle à surmonter.
Grandes attentes
Cependant, malgré tous les défis face à la Zlecaf, les perspectives sont prometteuses. Selon une étude de l’Institute for Security Studies (ISS), un centre d’études spécialisé dans les affaires africaines siégeant à Pretoria, le libre-échange entre les pays africains devrait stimuler la transformation structurelle en Afrique qui, à son tour, permettra la croissance des exportations des biens et des services. « La croissance des exportations, du moins dans les secteurs à forte intensité de main-d’oeuvre, devrait créer des emplois. La création d’une classe moyenne africaine plus importante signifie plus de consommation, ce qui devrait déclencher plus de production et des revenus encore plus élevés aux niveaux national et individuel. On s’attend à ce que le cycle se poursuive », précise l’étude.
La Banque mondiale, elle aussi, est fort optimiste quant aux résultats de la Zlecaf. Dans un rapport intitulé « L’ère de libre-échange continentale africaine. Effets dans le domaine économique et en matière de répartition », elle avance des chiffres prometteurs. Les exportations intracontinentales progresseront de 81 % et les exportations vers des pays non africains de 19 % d’ici 2035. Les offres d’emploi qu’elle multipliera permettront une augmentation des salaires des femmes (+10,5 %) et des hommes (+9,9 %), des travailleurs non qualifiés (+10,3 %) et qualifiés (+9,8 %). La pauvreté reculera de façon importante. 30 millions de personnes sortiront de la très grande pauvreté (1,9 dollar par jour et par personne en parité de pouvoir d’achat) et 68 millions de la pauvreté relative (3,20 dollars par jour), soit 98 millions d’Africains qui verront leur sort amélioré. Le taux moyen de pauvreté du continent tombera de 34,7 % en 2015 à 10,9 % en 2035.
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