Al-Ahram Hebdo : Le président Abdel-Fattah Al-Sissi a ratifié cette semaine la Charte institutionnelle du Conseil des Etats arabes et africains riverains de la mer Rouge et du golfe d’Aden. Quelle est l’importance de ce nouveau bloc régional arabo-africain ?
Dr Mossaed Abdel-Ati : La ratification officielle de l’adhésion à ce conseil, signée en janvier 2020 à Riyad, s’inscrit dans le cadre du renforcement des relations entre l’Egypte et les pays riverains de la mer Rouge, pour sécuriser le trafic maritime et la sécurité nationale égyptienne en mer Rouge. Le conseil a été créé conformément aux articles 122 et 123 de la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer de 1982, qui stipulent la coopération directe et entière, bilatérale ou multilatérale entre les Etats riverains des mers. Ce conseil jouit d’un caractère juridique international qui donne aux Etats fondateurs le droit de coopérer et de mettre en place des mécanismes institutionnels dans le domaine de la protection et de la sécurisation de la navigation maritime en mer Rouge, de la protection du milieu marin et de la coopération logistique en matière de transport entre les Etats riverains. Le conseil est une ombrelle juridique et institutionnelle qui rassemble les pays riverains de la mer Rouge et du golfe d’Aden dans le cadre d’une coopération économique, sécuritaire et écologique.
— Quelle est l’importance stratégique de la mer Rouge et du golfe d’Aden ? Comment tracer la carte de la concurrence internationale dans cette région ?
— La mer Rouge et le golfe d’Aden font partie des voies maritimes les plus importantes, non seulement pour les pays riverains, mais aussi pour les pays de la région et pour le monde entier. En effet, leur emplacement géographique renforce leur importance géopolitique et stratégique. La mer Rouge représente une grande valeur pour l’économie mondiale, car environ 3,3 millions de barils de pétrole y transitent quotidiennement ainsi que 13 % du total du commerce mondial. Elle constitue également un lien essentiel pour le commerce entre la Méditerranée (Europe), l’océan Indien et la mer d’Oman. Plus de 20 000 navires commerciaux la traversent chaque année. Il s’agit du principal couloir emprunté par le pétrole du Golfe pour se rendre en Europe et aux Etats-Unis. Sans oublier ses richesses économiques et ses ressources marines. Partant, le mouvement de navigation dans ce couloir maritime a des dimensions internationales indéniables, puisqu’il s’agit d’un facteur fondamental de la paix et de la sécurité internationales, car cette voie représente un lien entre l’Est et l’Ouest. C’est un fait qui accroît la concurrence entre les pays qui veulent y prendre pied. Ainsi, nous espérons que le conseil parviendra à réduire les ingérences et les ambitions internationales, notamment dans la région stratégique au sud de la mer Rouge.
— Quels sont les objectifs de ce nouveau rassemblement régional ?
— Ce groupement d’Etats de la mer Rouge a pour objectif de protéger le commerce mondial et la navigation internationale dans le golfe d’Aden, tout en contribuant au renforcement de l’investissement et du développement dans les pays de la région. En outre, le conseil est une entité juridique institutionnelle qui comprend des pays appartenant à trois cercles différents, arabe, africain et du Golfe. Ce qui signifie que ce rassemblement possède une vision pour former un cadre plus large afin de remodeler les relations arabo-africaines à la lumière des défis auxquels les deux parties sont confrontées. En plus, il offre diverses opportunités de coopération en matière d’investissement entre ses huit membres. Il permet également de trouver de nouveaux partenariats et d’établir des projets et des investissements conjoints, outre la possibilité de conclure des accords d’explorations pétrolières. Il ne s’agit pas d’un bloc ou d’un axe militaire, mais cela n’exclut pas la possibilité d’établir une coordination militaire bilatérale entre les Etats membres.
— Quelle est la vision de l’Egypte dans ce contexte ?
— L’Egypte considère la mer Rouge comme une partie intégrante de sa sécurité nationale, d’autant plus qu’elle constitue l’entrée directe du Canal de Suez via le détroit de Bab Al-Mandab. Cela explique la création de la base militaire de Bernice dont l’objectif est de protéger les côtes sud de l’Egypte, de protéger les investissements économiques et les ressources naturelles, de faire face aux défis sécuritaires dans la mer Rouge, de sécuriser le trafic maritime mondial à travers la mer Rouge vers le Canal de Suez et ses zones économiques. Par ailleurs, la création du conseil coïncide avec le lancement par l’Etat égyptien de sa stratégie à long terme qui comprend le développement de l’axe du Canal de Suez et l’élargissement de son cours d’eau afin d’accroître le trafic et la navigation à l’intérieur du canal. Puisque l’Egypte et l’Arabie saoudite sont les deux plus grands pays du conseil et que son secrétariat général est à Riyad, il est important que l’Egypte accueille son siège régional relatif aux questions de sécurité, de logistique, d’intervention rapide et de sauvetage en mer Rouge.
— Quelle est l’importance du conseil pour l’Arabie saoudite et pour les autres pays membres ?
— L’Arabie saoudite, qui a accueilli les sessions préparatoires et préliminaires du nouveau conseil, le considère comme une nécessité stratégique et économique, d’autant plus que son ambitieuse vision 2030 vise à développer 200 km de routes le long de la côte de la mer Rouge, où se trouvent environ 50 petites îles, afin de promouvoir les initiatives touristiques visant à attirer les investissements étrangers. De plus, l’emplacement de la future ville saoudienne de Neom sera sur cette côte, sans oublier le plan conjoint entre Riyad et Le Caire de construire un pont au-dessus de la mer Rouge qui facilitera le transport des marchandises entre les deux pays, et réalisera une complémentarité entre les marchés de la région arabe et de l’Europe. C’est pourquoi il est dans l’intérêt de l’Arabie saoudite de maintenir la sécurité dans la mer Rouge afin d’avoir un accès sûr au sud, au golfe d’Aden et à l’océan Indien par le détroit de Bab Al-Mandab, et au nord, à la Méditerranée par le Canal de Suez. L’Arabie saoudite devrait transférer ses stocks de pétrole de l’est du Royaume via le golfe à l’ouest sur la mer Rouge, pour éviter les menaces iraniennes de fermer le détroit d’Ormuz. En outre, ce conseil offre de nombreuses opportunités de coopération entre ses huit membres, et l’existence d’un tel rassemblement régional qui vise à assurer la sécurité de la navigation en mer Rouge et le golfe d’Aden est dans l’intérêt de nombreuses puissances internationales.
— Et quels sont les défis que peut affronter ce bloc régional géopolitique et économique ?
— Ce rassemblement est confronté à de nombreux défis, dont les plus importants sont les aspirations de certaines forces régionales, la persistance de la crise yéménite et des craintes que les milices houthies ne menacent le trafic maritime en mer Rouge. A cela s’ajoute la divergence de visions entre les grandes puissances sur la manière d’assurer la sécurité de la mer Rouge. Ce qui pourrait donner lieu à la création de nouvelles alliances en établissant des bases militaires pour les grandes puissances comme les Etats-Unis, la France, la Chine et la Russie. De même, il ne faut pas oublier les ambitions iraniennes et turques dans le sud de la mer Rouge. En fait, la délimitation des frontières maritimes peut représenter un défi, car les pays riverains de la mer Rouge sont étroitement liés les uns aux autres dans des zones économiques exclusives. De plus, d’autres pays non riverains comme l’Ethiopie veulent rejoindre ce conseil. En fait, la formation du conseil en soi est un défi, vu que celui-ci rassemble des pays arabes et africains et exige une répartition des tâches entre ces pays pour que le conseil réussisse à jouer le rôle escompté.
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