« Les forces armées ont réussi à imposer un équilibre stratégique dans la région », a déclaré le président Abdel-Fattah Al-Sissi, le 25 novembre, lors de sa réunion avec le commandant général des forces armées et ministre de la Défense, Mohamad Zaki, en présence du commandant de l’armée de l’air, Abbas Helmi. Selon le porte-parole de la présidence, Bassam Radi, le président a demandé aux forces armées de maintenir le plus haut niveau de disponibilité, afin de protéger la sécurité nationale de l’Egypte. Mais que signifie « imposer un équilibre stratégique » ? Selon beaucoup d’observateurs, l’Egypte a envoyé des messages de dissuasion pour empêcher quiconque de menacer ses intérêts vitaux non seulement sur son territoire, mais aussi au-delà de ses frontières, dans n’importe quel endroit au monde. En fait, cette rencontre intervient alors que l’armée égyptienne a participé, tout au long du mois de novembre, à des exercices militaires conjoints intenses avec des puissances régionales et internationales dans différents théâtres d’opérations.
Au sud, les premiers exercices aériens conjoints ont eu lieu avec le Soudan. Dans la zone militaire nord, l’armée égyptienne a organisé les premiers exercices amphibies T-1 avec le Royaume-Uni. Toujours en Méditerranée, des manoeuvres ont été effectuées avec la France et Bahreïn. Plus au Nord, l’Egypte et la Russie ont commencé la troisième édition de leurs exercices navals « le Pont de l’Amitié 2020 » à Novorossiysk en mer Noire. Simultanément, l’Egypte a lancé les exercices Seif Al-Arab (l’épée des Arabes), réunissant six pays arabes dans la zone militaire nord près de Marsa Matrouh. « Ces activités militaires multiples tracent les contours d’une nouvelle approche militaire », explique Ahmad Eleiba, spécialiste des études sur l’armement à l’ECSS (Centre égyptien des études stratégiques). Cette augmentation significative du nombre d’exercices reflète une volonté de « redéfinir les sphères traditionnelles de la sécurité nationale égyptienne, ou ce que l’on appelle l’espace vital, pour défendre les intérêts stratégiques de l’Egypte. Elle vise également à renforcer les intérêts communs avec les puissances régionales et internationales », ajoute le spécialiste.
Messages politiques
Air, terre, mer, les exercices ont lieu à tous les niveaux. Ces manoeuvres, qui visent à unifier les concepts militaires et à échanger les expertises opérationnelles avec les pays amis et frères, ont montré le professionnalisme de l’armée égyptienne dans la réalisation des missions de combat avec une grande précision et une haute efficacité. Quels sont les messages politiques envoyés par ces exercices militaires ?
Sous le titre « Un seul objectif … Une seule nation », l’exercice militaire Seif Al-Arab auquel ont participé six pays arabes, à savoir l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, la Jordanie, Bahreïn et le Soudan s’est achevé le 26 novembre. Des manoeuvres terrestres, aériennes et navales ont lieu sur la base militaire Mohamad Naguib, à Matrouh, ainsi que dans certaines zones du commandement militaire nord. Cet exercice, considéré comme l’un des plus sophistiqués du monde arabe, vise à renforcer les relations militaires entre l’Egypte et les autres pays arabes. La phase finale s’est terminée par un saut des forces participantes avec leurs drapeaux, ce qui montre une grande harmonie dans l’exécution des tâches.
L’exercice militaire Seif Al-Arab n’était pas le seul exercice interarabe effectué sur le territoire égyptien. Le premier exercice militaire arabe commun, le Bouclier arabe, a eu lieu en novembre 2018 avec la participation de l’Arabie saoudite, des Emirats arabes unis, du Royaume de Bahreïn, de la Jordanie et du Koweït, à la base militaire Mohamad Naguib et dans les zones d’entraînement aérien et maritime conjoint en Méditerranée. « Les concepts militaires arabes doivent être unifiés pour faire face aux défis qui secouent les pays de la région », précise Nasr Salem, expert stratégique. Et d’ajouter que « la manoeuvre Seif Al-Arab a envoyé un message politique fort selon lequel le moment est venu pour former la force arabe commune ». Cette initiative égyptienne, approuvée en 2015 lors du sommet arabe à Charm Al-Cheikh, attendait de voir le jour. Elle vise à mettre en place un mécanisme collectif d’intervention rapide, en cas de besoin, et à la demande des pays concernés « sans porter atteinte à leur indépendance et à leur souveraineté ».
Simultanément, l’Egypte a participé pour la première fois à des manoeuvres navales avec la Russie à Novorossiysk et sur le terrain d’entraînement naval de la flotte de la mer Noire. Trois navires de guerre égyptiens ont traversé les détroits des Dardanelles et du Bosphore, sous contrôle turc, hissant les drapeaux égyptiens pour participer aux exercices navals conjoints égypto-russe « Pont de l’Amitié 3 ». Ces exercices maritimes sont les premiers du genre en mer Noire.
« Le timing et le lieu de la manoeuvre envoient un message de dissuasion fort et décisif à tout pays qui tente d’attiser les conflits dans la région du Moyen-Orient, notamment la Turquie », dit Salem. Et d’ajouter : « Autre message russo-égyptien : les relations entre Le Caire et Moscou ont atteint leur apogée tant sur le plan militaire que stratégique ».
Autre exercice inédit. Des unités de l’armée de l’air égyptienne accompagnées des forces spéciales ont atterri, le 14 novembre, sur la base aérienne de Marawa au Soudan, pour participer à l’exercice aérien conjoint « Nossour Al-Nil 1 ». Cet exercice est effectué pour la première fois entre l’Egypte et le Soudan, depuis la chute de Omar Al-Béchir. « Il ne fait aucun doute que la nature intense et rapide des menaces contre les forces de sécurité soudanaises et égyptiennes leur impose d’augmenter leur niveau de vigilance et d’avoir une coordination stratégique », a déclaré Mohamad Farid, chef d’état-major de l’armée égyptienne.
Les forces armées ont également participé aux premiers exercices amphibies T-1 avec le Royaume-Uni. Les exercices se sont achevés le 12 novembre avec la participation du porte-hélicoptères Anouar Al-Sadate, et d’un nombre de frégates. Les activités conjointes égypto-britanniques comprenaient pour la première fois « des opérations visant à lutter contre les menaces maritimes et l’établissement d’une force pour la protection des navires transportant des marchandises ».
Toujours en Méditerranée, les forces navales égyptiennes et françaises ont effectué un exercice militaire conjoint, le 18 novembre, avec la participation de la frégate égyptienne Taba, et de la frégate française multi-missions Languedoc de type FREMM. Il s’agit du deuxième exercice du genre mené au cours du mois de novembre, avec la marine française.
Ces exercices se sont principalement focalisés sur le combat contre les formations navales hostiles et la lutte contre des cibles aériennes et en surface.
Quel rendement stratégique ?
Se déplacer vers l’extrême Nord et atteindre le Sud en même temps, et aller d’un théâtre d’opération à un autre, en Egypte comme à l’étranger, cela indique « qu’il y a une évolution des menaces dans l’espace vital égyptien qui nécessite que l’on s’y prépare de manière proactive. C’est l’une des fonctions les plus importantes des manoeuvres militaires. Il ne s’agit pas de simples défilés militaires », souligne Eleiba. Autrement dit, les menaces ne se limitent plus au voisinage direct ou à la région. Parfois, elles proviennent de zones beaucoup plus lointaines. « L’Egypte tente d’explorer les zones géopolitiques situées au-delà de ses frontières, d’où proviennent les menaces directes, et cherche à coordonner militairement avec les pays alliés », explique Nasr Salem. On remarque une multiplication des exercices militaires avec Chypre, la Grèce et la France, des pays qui partagent avec l’Egypte les mêmes positions politiques face aux convoitises turques en Méditerranée orientale. Même chose pour les pays « de l’axe de modération arabe », à savoir l’Arabie saoudite, les Emirats, la Jordanie et Bahreïn, pour faire face aux menaces iraniennes en mer Rouge, sécuriser le détroit de Bab Al-Mandeb et assurer la stabilité de la navigation dans le Canal de Suez. « Bien que l’armée égyptienne ait mené ces dernières années un grand nombre d’exercices, elle est l’une des moins impliquées dans des combats réels au-delà de ses frontières », explique Eleiba. Selon le spécialiste, l’Egypte a créé sa propre équation stratégique : renforcer ses capacités de dissuasion sans glisser dans des conflits dans la région la plus troublée du monde.
Lien court: