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Libye : L’heure de vérité a-t-elle sonné ?

Aliaa Al-Korachi, Mercredi, 04 novembre 2020

Les consultations se multiplient à l’approche du lancement du dialogue politique libyen direct prévu le 9 novembre en Tunisie. Des moments décisifs pour l’avenir de la crise libyenne.

Libye : L’heure de vérité a-t-elle sonné ?

Tous les regards se tournent vers la Tunisie. Sous le slogan « Libya First », le Forum du dialogue politique libyen direct ouvrira ses portes dans la capitale tunisienne le 9 novembre. L’objectif primordial du forum est de trouver « un consensus sur une autorité exécutive unifiée et sur les arrangements nécessaires pour organiser des élections nationales dans les plus brefs délais », selon la Mission des Nations-Unies en Libye. Cette réunion en face à face fera suite à plusieurs consultations virtuelles, lancées le 26 octobre pour préparer la rencontre de Tunis. Une plateforme interactive, destinée à permettre de communiquer entre les Libyens directement, tout au long de la période du forum, a été également lancée. « Le Forum du Dialogue Politique Libyen (FDPL) est l’aboutissement des différentes médiations menées par l’Onu et des pays de la région pour trouver une solution politique et durable à la crise en Libye », a déclaré Stephanie Williams, l’émissaire par intérim de l’Onu.

En fait, la reprise du dialogue libyen intervient après quelques jours de la signature à Genève, le 23 octobre, d’un accord de cessez-le-feu « permanent » par les deux délégations de la commission militaire conjointe libyenne 5+5. Cet accord prévoit le départ de tous les mercenaires et combattants étrangers de toute la Libye dans un délai maximum de trois mois et le gel de tous les accords relatifs à la formation militaire par des puissances étrangères sur le sol libyen, jusqu’à ce qu’un nouveau gouvernement unifié prenne ses fonctions (voir page 3). La mise en oeuvre de cet accord est au centre des discussions du cinquième cycle de pourparlers de la commission militaire libyenne mixte (5+5), tenu du 2 au 4 novembre pour la première fois sur le sol libyen, dans l’ancienne ville de Ghadamès. Selon Khaled Al-Mahgoub, directeur du Département d’orientation morale à l’Armée Nationale Libyenne (ANL), la rencontre de Ghadamès vise à activer les clauses de l’accord de Genève et à passer de la théorie à la pratique. Les militaires libyens devront également discuter la création de sous-comités, ainsi qu’un mécanisme de suivi et de vérification du cessez-le-feu.

Bien que l’accord de Genève soit un pas en avant vers la création d’une atmosphère favorable à un nouveau processus politique, des craintes persistent encore. « La crise libyenne passe par les moments les plus décisifs et les plus difficiles pour toutes les parties », comme l’explique Ahmad Amal, spécialiste des affaires libyennes au Centre de la pensée et des études stratégiques (ECSS). « A l’approche de la date de la tenue du Forum du dialogue politique libyen, la situation en Libye devient extrêmement confuse sur plusieurs fronts. On est dans l’expectative. Autrement dit, on doit attendre la fin de toutes ces rencontres en cours à Ghadamès et celles de Tunis pour en évaluer les résultats », ajoute Amal.

La liste des participants divise

Le chemin vers la Tunisie est semé d’embûches. Depuis l’annonce de la liste des participants au forum, les réactions critiquant la Mission des Nations-Unies en Libye, pour la manière dont elle a choisi les noms des participants et leurs tendances politiques, se succèdent. 42 personnes invitées sur 75 sont affiliées au courant de l’islam politique en Libye. Ce qui a soulevé le mécontentement du Conseil suprême des cheikhs et notables de Libye qui a annoncé son boycott au forum, critiquant « la domination des Frères musulmans et leurs alliés alors que des acteurs nationaux et des composants sociaux influents ont été exclus ». Des membres de la Chambre des représentants libyenne ont également exprimé leurs craintes que « cette réunion ne soit qu’un recyclage des mêmes personnes responsables de la crise actuelle. Ce qui pourrait ramener la crise libyenne à la case départ ». « Ce qui compte pour le peuple libyen, c’est ce qui résultera de la prochaine réunion en Tunisie et non quiconque y participe », a déclaré Stéphanie Williams, répondant aux critiques. Déjà des interrogations sur l’après-Tunis s’imposent : quels mécanismes consensuels seront adoptés pour la mise en oeuvre des décisions qui vont résulter du dialogue interlibyen à Tunis ?

Le rôle perturbateur de l’axe Ankara-Doha

Autre scène. Avec l’approche de la rencontre de Tunis, l’axe Turquie-Qatar accélère les démarches pour enraciner davantage sa présence sur le sol libyen, et déstabiliser le processus de paix libyen, comme l’explique Mona Soliman, politologue. Alors que tous les pays du monde ont salué la signature de l’accord de cessez-le-feu comme étant « un tournant dans la stabilité en Libye », la Turquie a mis en doute la viabilité du cessez-le-feu. « Pour moi, cet accord semble manquer de crédibilité », a déclaré le président turc, Recep Tayyip Erdogan, avant de diffuser des photos des membres des forces de l’ouest libyen entraînés en Turquie. Selon Mohamad Mansour, chercheur à l’ECSS, la position turque est venue, comme d’habitude, en dehors du consensus international sur la Libye. « L’évaluation négative de l’accord par Erdogan émane de sa crainte de perdre l’un de ses outils les plus importants en Libye représenté par les mercenaires étrangers, puisque l’accord a stipulé le départ des combattants étrangers de Libye dans un délai de 90 jours », ajoute-t-il. En outre, l’atmosphère d’incertitude qui précède la réunion de Tunis remonte également, selon des observateurs, aux récentes tentatives de violation de l’accord de Genève commis par le Gouvernement d’Entente Nationale libyen (GNA). Quelques heures après la signature de l’accord du cessez-le-feu, le ministre de la Défense du GNA, Salah Eddine Al-Namrouche, a affirmé que « l’accord de Genève n’empêche pas l’armée turque de former les forces de l’ouest libyen en vertu de l’accord militaire signé avec Ankara en 2019 ». Khaled Al-Mishri, président du Haut Conseil de l’Etat, a affirmé de sa part que les accords de sécurité et de commerce signés entre Ankara et le gouvernement de réconciliation « sont intouchables ». Ce qui a été considéré comme une violation explicite de l’accord de Genève par le camp de l’est.

Par ailleurs, trois jours après la signature de l’accord de cessez-le-feu, les ministres des Affaires étrangères et de l’Intérieur du GNA se sont envolés à Doha pour signer un accord sécuritaire avec le Qatar en dépit des décisions prises à Genève. Cet accord sécuritaire avec le Qatar, qui devra s’appliquer pendant une période de trois ans automatiquement renouvelé pour une période similaire, a privé la Libye du droit de recourir à l’arbitrage international ou de faire appel à une tierce partie en cas de litige sur les termes de l’accord. Il précise plutôt que « tout différend pouvant découler de l’interprétation ou de l’application des dispositions du présent mémorandum doit être résolu à l’amiable, sans recours à un tiers ou à un arbitrage international ». Selon des observateurs, cette clause imposée par le Qatar permet d’éviter que l’accord soit annulé en cas de changement de gouvernement. « La réussite des consultations politiques libyennes, que ce soit à Tunis, à Genève ou dans d’autres capitales, dépend principalement des avancées réalisées par le volet militaire. L’expulsion des mercenaires sera le premier test de cet accord », souligne Mohamad Mansour.

Le temps n’est donc pas encore à l’optimisme ? « Si le chemin vers un règlement politique définitif reste long, il faut espérer alors que les Libyens à Tunis s’entendront, malgré tous ces obstacles, sur les questions fondamentales afin d’élaborer une feuille de route d’une nouvelle phase transitoire plus stable qui pourrait ouvrir la voie prochainement aux élections nationales », conclut Amal.

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