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Ahmed Amal : L’objectif des pourparlers d’Hurghada est de parvenir à une solution globale, notamment en matière de questions sécuritaires et militaires

Ola Hamdi, Mercredi, 07 octobre 2020

Ahmed Amal, expert au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques (ECSS) et coordinateur d’équipe de travail égypto-libyenne, revient sur les résultats et les enjeux du dialogue interlibyen en Egypte et au Maroc, et de la Conférence de Berlin 2, actuellement en cours en Allemagne.

Ahmed Amal

Al-Ahram Hebdo : La ville d’Hurghada a accueilli la semaine dernière des pourparlers entre des responsables libyens représentant l’est et l’ouest. Quelle est l’importance de ces rencontres qui se sont concentrées sur des questions sécuritaires et militaires ?

Ahmed Amal : Au cours du mois de septembre, l’Egypte a accueilli plusieurs rencontres de dialogue interlibyen au Caire et à Hurghada qui ont témoigné d’une présence remarquable des personnalités influentes de l'ouest libyen. Ce qui constitue un signe d’ouverture de l'Egypte sur toutes les forces libyennes sans exception et réaffirme son ferme attachement au principe de l'unité de l'Etat libyen. Le Caire a accueilli mi-septembre une délégation de l'ouest libyen, composée de parlementaires, de membres du Conseil suprême d'Etat et de personnalités politiques, sociales et militaires. Quant aux pourparlers d’Hurghada, tenus sur deux jours, entre la délégation de l’Armée Nationale Libyenne (ANL) et celle des forces militaires et sécuritaires du Gouvernement d’union nationale, ils se sont concentrés sur les questions sécuritaires et militaires, ainsi que sur la reprise de la production et de l’exportation de pétrole. Cette réunion s’inscrit dans le cadre du dialogue militaro-sécuritaire libyen (5+5) sous les auspices des Nations-Unies, l’un des résultats les plus importants de la Conférence de Berlin tenue fin janvier 2020.

— Comment voyez-vous les résultats des pourparlers d’Hurghada ?

— Ils ont ouvert la voie à l’émergence d’un nouveau consensus libyen sur un certain nombre de dossiers qui devraient connaître prochainement des avancées sur le terrain.

Parmi ces dossiers figurent la libération des détenus, l'arrêt du discours de haine et d'incitation à la violence et l'ouverture d'un réseau de transports aériens et terrestres entre les différentes régions libyennes. Ces pourparlers ont également examiné les dispositions relatives à la garde des installations pétrolières, afin d’assurer la régularité du processus de production et d’exportation. La répartition des forces militaires selon les régions libyennes, dans le cadre d’un plan de restructuration des différents services de sécurité, figure également parmi les recommandations d’Hurghada qui seront débattues lors des nouvelles discussions militaires tenues la semaine prochaine au Caire.

— Comment voyez-vous le soutien international aux pourparlers d’Hurghada ?

— Les pourparlers d’Hurghada ont connu un large soutien international. La Mission de soutien des Nations-Unies en Libye (MANUL) a salué dans un communiqué les efforts de l’Egypte en affirmant que les deux jours de pourparlers d’Hurghada ont été « positifs » et ont ouvert la voie à de nouvelles discussions en tête-à-tête. L’ambassadeur américain en Libye, Richard Norland, a également apporté son soutien aux pourparlers d’Hurghada et à la déclaration du Caire comme un référentiel de base pour le règlement du conflit libyen. Sur son compte Twitter, Norland a remercié l’Egypte pour avoir accueilli avec succès ces pourparlers. En fait, l’Egypte joue un rôle actif dans le règlement de la crise libyenne. En outre, l’Egypte possède une grande expérience pour rapprocher les deux camps de l’est et de l’ouest libyens. Elle a accueilli les pourparlers interlibyens pour unifier l’institution militaire en 2017 et 2018, et ceux pour unifier le parlement en 2019. Aujourd’hui, l’objectif des pourparlers d’Hurghada est de parvenir à une solution globale, notamment sur les questions militaires, dont dépend le succès des volets politiques, économiques et sociaux.

— Un deuxième round de dialogues à Bouznika au Maroc a repris vendredi après trois reports, entre les délégations du Haut Conseil d’Etat et de la Chambre des représentants. Quel avenir pour le dialogue politique en cours au Maroc ?

— Les pourparlers de Bouznika, portant sur le volet politique du dialogue, fait face à de nombreux défis. Ce deuxième round de pourparlers a finalement commencé après les divergences entre les délégations, notamment sur le fait de savoir qui devrait parler au nom de l’ouest ou de l’est au Maroc. Les négociations dans la ville marocaine de Bouznika portent essentiellement sur l’article 15 de l’accord de Skhirat portant sur le mécanisme de sélection des personnalités qui assument la direction des postes souverains. Il s’agit des postes de présidents de la Banque centrale libyenne, de l’instance de lutte contre la corruption, de président de la Cour des comptes, de chef de l’Autorité du contrôle administratif, de chef de la Commission anticorruption, de président de la Haute commission électorale, de président de la Cour suprême, du procureur général et autre. Vu la sensibilité de ce dossier, le choix des personnalités qui occuperont ces postes pourrait prendre du temps. S’accorder sur la répartition de ces postes est une condition préalable pour la réussite des négociations de Genève, qui auront lieu à la mi-octobre.

— Quel lien existe-t-il entre ces initiatives de paix régionales et le processus de Genève ?

— L’essentiel c’est que toutes les initiatives internationales et régionales soient complémentaires et non pas concurrentes, puisqu’elles se déroulent toutes sous la supervision et avec la participation de la mission onusienne en Libye. Ce qui donne à leurs résultats une légitimité internationale. Cette multiplicité de voies est due à la nécessité de traiter de nombreuses questions de nature technique. En outre, toutes ces initiatives doivent suivre les mêmes lignes directrices, comme l’unité du territoire libyen, l’expulsion des mercenaires étrangers de Libye et la nécessité de tenir des élections générales pour mettre fin à la phase de transition. La Conférence internationale de Berlin 1, tenue début 2020, à laquelle ont participé les dirigeants des pays les plus impliqués dans le dossier, a ouvert l’horizon d’une solution politique en identifiant 3 voies de règlement : politique, économique et sécuritaire. Quant aux rencontres de Montreux qui ont eu lieu le mois dernier, elles visaient à former de petits groupes de travail composés de parties libyennes de diverses régions dans le but de préparer une conférence politique globale qui sera organisée à Genève. Cela vient évidemment compléter les réunions de Bouznika au Maroc et les réunions d’Hurghada en Egypte. La réunion de suivi tenue actuellement en Allemagne a réuni, virtuellement, les participants à la Conférence de Berlin en janvier, sans une présence libyenne au conflit, afin de renouveler leur engagement en faveur d’une solution politique globale en Libye. Contrer l’ingérence turque reste le défi majeur pour que ces pourparlers aboutissent. En outre, les résultats de ces négociations, en Egypte, au Maroc et à Berlin, peuvent constituer comme un indicateur de succès ou d’échec de la prochaine réunion d’octobre à Genève, qui vise à parvenir à un accord plus large entre les Libyens.

— Sur le plan interne, comment voyez-vous les évolutions dans l’ouest libyen survenues après l’annonce de la démission d'Al-Sarraj ?

— Cette démission est une conséquence normale de la violation par le Conseil présidentiel de l’accord de Skhirat, notamment après la démission des représentants de l'est et du sud au Conseil et après l'expiration du délai de sa présence au pouvoir. Cette démission est également vue comme la conséquence des pressions exercées par la rue dans l’ouest. Des manifestations populaires prennent ces jours-ci de l’ampleur contre la détérioration des conditions de vie et les coupures d’électricité. D'un autre côté, cette démission — non définitive — constitue une carte de pression contre les opposants de Sarraj à l'ouest comme à l'est. En fixant fin octobre comme la date de son départ du pouvoir, Sarraj oblige les factions libyennes à achever rapidement les négociations relatives à la nouvelle composition du Conseil présidentiel. Tout échec pourrait conduire à un renouvellement indirect de la légitimité de Sarraj.

— Le départ de Sarraj pose de nombreuses interrogations, notamment qui sera son successeur et quel sera le sort des mercenaires et les accords signés avec la Turquie. Qu’en pensez-vous ?

— La démission d'Al-Sarraj ouvre la porte à une forte concurrence sur qui sera son successeur dans l'ouest libyen, cette région témoignant actuellement d’une division profonde entre les élites des tribus de Tripoli et celles de Misrata. Les milices de l’ouest ne connaîtront pas toutes le même sort. Les mercenaires syriens apportés par la Turquie seront expulsés. Quant aux milices libyennes, une distinction sera faite entre les milices extrémistes qui seront désarmées et celles susceptibles d'être intégrées dans les institutions de sécurité. En ce qui concerne les accords entre le Gouvernement d’union nationale et la Turquie, ceux-ci sont illégitimes, car les accords de Skhirat ne donnent pas le droit au Conseil présidentiel de signer unilatéralement des traités internationaux avant d’être ratifiés par le parlement national libyen. Cela veut dire que ces accords doivent obligatoirement obtenir l’approbation du nouveau parlement élu, pour qu’ils soient internationalement reconnus.

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