Al-Ahram Hebdo : La réunion du groupe de travail du Forum du gaz de la Méditerranée, prévue la semaine prochaine, devrait poursuivre les discussions autour des procédures de transformation du forum en une organisation internationale. Quels sont les avantages d’une telle transformation ?
Ossama Kamal : La transformation du Forum du gaz de la Méditerranée orientale en une organisation internationale vise à permettre à ses membres de tirer le maximum profit des ressources énergétiques abondantes dans cette région. Mais avant de parler des profits qui peuvent être tirés d’une telle transformation, nous devons tout d’abord aborder le rôle que peuvent jouer les organisations internationales. A titre d’exemple, l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP) aurait pu être seulement un regroupement des pays dont les décisions ne seront pas contraignantes pour ses membres ou pour le reste des pays. Etre une organisation internationale signifie qu’il existe un règlement et un système qui définissent les rôles et les compétences, partant, elle est devenue une organisation internationalement reconnue, ayant un poids considérable dans le domaine pétrolier. Il en est de même pour la Ligue arabe, qui aurait pu rester sous la forme d’un simple conseil arabe qui n’a ni charte ni statut reconnu. Devenant une organisation, la Ligue arabe possède aujourd’hui des délégués partout qui assistent en tant qu’observateurs auprès des Nations-Unies, de l’Union africaine et de l’ASEAN (Organisation des Etats de l’Asie du Sud-Est). Ce type d’organisation internationale n’est pas créé par souci de prestige, mais plutôt pour remplir des rôles, mener des études, coordonner entre producteurs et importateurs et devenir ainsi une entité reconnue par les investisseurs, les banques et toutes les parties prenantes. En guise d’exemple, la Grèce et Chypre n’ont pas d’usines de liquéfaction et veulent exporter leur gaz, il est possible donc de recourir aux usines de liquéfaction présentes en Egypte. Dans le cas de menaces extérieures, affronter un pays seul n’est pas la même chose qu’en tant que groupe de pays liés par un accord de défense commun, etc.
— Comment cette transformation peut-elle renforcer la stratégie de l’Egypte de devenir un hub énergétique régional ?
— Premièrement, je veux préciser ce que signifie un hub énergétique régional. C’est-à-dire au lieu de transférer la matière première en Europe pour revenir sous forme de produits pétrochimiques, nous devons profiter de l’emplacement distingué de l’Egypte, de son expertise de plus de 130 ans dans l’industrie du raffinage et de la pétrochimie, de la présence des travailleurs entraînés aussi bien que l’existence d’accords conjoints avec l’Europe comme le GATT et avec des pays africains comme le COMESA. Offrir des exonérations fiscales aux entreprises, qui oeuvrent dans le domaine du gaz et du pétrole, peut les encourager à implanter leurs projets en Egypte. Ainsi, c’est une valeur ajoutée pour l’énergie, tout en tenant compte du fait que l’afflux d’investissements étrangers vers Egypte fait partie de la sécurité nationale. De plus, l’Egypte est le fondateur de cette organisation et membre actif, en plus de l’Italie, la Grèce, Chypre, la Jordanie, la Palestine et Israël, outre la France et les Etats-Unis en tant qu’observateurs. La présence des observateurs au sein du forum est aussi importante pour faire face aux actions illégales de la Turquie en Méditerranée. Ces derniers jours, la France a envoyé des navires militaires en Méditerranée pour soutenir la Grèce et Chypre face à l’agressivité croissante de la Turquie.
— L’Egypte et la Grèce ont signé, début août, un accord sur la délimitation des zones maritimes. Quelle est l’importance de cet accord ?
— L’accord de délimitation de la frontière maritime avec la Grèce est une étape importante pour réglementer les opérations de recherche et d’exploration des ressources pétrolières en Méditerranée. L’accord aidera également les deux pays à lancer davantage d’appels d’offres pour l’exploration d’hydrocarbures dans la zone riche en gaz naturel et à attirer les investissements. La signature de l’accord entre l’Egypte et la Grèce est une réponse politique aux allégations illégales de la Turquie. Puisque tous les articles de cet accord sont conformes aux règles du droit international et de la convention des Nations-Unies sur le droit de la mer de 1982. Sur un autre volet, cet accord ouvrira de nombreux horizons de coopération énergétique entre l’Egypte et la Grèce, qui sont tous deux pays membres du Forum du gaz de la Méditerranée orientale. De plus, l’Egypte entend aussi renforcer son partenariat avec Chypre. Le ministère du Pétrole a dévoilé que les préparatifs étaient en cours pour la mise en place d’un pipeline maritime pour l’acheminement du gaz naturel du champ Aphrodite à Chypre et sa réexportation à travers l’Egypte. Ce qui renforcera la stratégie de l’Egypte pour devenir un hub énergétique dans la région.
— Comment voyez-vous cette dualité de langage d’Erdogan qui prétend que son pays est prêt au dialogue au moment où il intensifie sa présence militaire en Méditerranée ?
— Ankara est dans l’impasse. Erdogan revient sur ses déclarations insensées après avoir réalisé qu’il n’a plus de place dans l’équation de la Méditerranée, notamment après la signature de l’accord maritime entre l’Egypte et la Grèce. Sous la pression de l’Union européenne, Erdogan a commencé à faire des pas en arrière et appeler à résoudre ses différends par la voie de la négociation. Il doit tout d’abord signer la convention des Nations-Unies et reconnaître les frontières maritimes de Chypre et la Grèce avant de s’asseoir à la table des négociations.
— Le ministère du Pétrole vient d’annoncer la conclusion de « 12 accords de recherche et d’exploration pour le pétrole et le gaz au Sahara occidental, en Méditerranée orientale et occidentale et en mer Rouge ». Comment voyez-vous l’importance de ces accords ?
— La production baisse annuellement entre 10 et 15 % en raison de la diminution des puits producteurs. C’est une baisse naturelle et attendue. Pour compenser cet écart entre la production et la consommation locale, on se trouve obligé de le faire à travers l’importation. C’est pourquoi l’Egypte multiplie les travaux de recherche et d’exploration afin d’augmenter la production. Nous avons commis une erreur de 2010 à 2012 lorsque nous n’avons pas conclu de nouveaux accords, ce qui a entraîné un gros problème, donnant lieu à des coupures d’électricité et des files d’attente pour le carburant en raison d’une production insuffisante. A partir de mai 2015, le secteur pétrolier a commencé à conclure de nouveaux accords pour compenser ce déclin progressif et augmenter la production de 25 % par an. La stabilité politique a encouragé en outre l’afflux des investissements dans le secteur énergétique en particulier. Aujourd’hui, nous avons un excédent d’électricité d’environ 40 % disponibles qui peuvent être utilisés à tout moment.
— Enfin, quels sont les défis qu’affronte à l’avenir la région de la Méditerranée orientale ?
— Là où il y a de l’énergie, il y aura des conflits. L’énergie et les conflits sont deux faces d’une même monnaie. Par exemple, le Mozambique est resté un pays inconnu jusqu’à la découverte de 90 milliards de mètres cubes de gaz ; depuis, il s’est glissé dans une spirale de conflits sans fin. Il n’y a pas de développement sans énergie. Le monde entier, les Etats-Unis et l’Europe s’efforcent de sécuriser leurs besoins en énergie, qui se trouvent ailleurs et non pas dans leurs territoires. Et c’est là que réside la problématique. Notre grand défi est d’optimiser l’utilisation de l’énergie puisque nous possédons la matière première, et de créer des industries manufacturières comme l’avaient fait la Corée, le Japon, Singapour et la Malaisie. Comment se transformer d’un pays consommateur à un pays producteur industrialisé : c’est le défi pour l’avenir dans le domaine de l’énergie.
Lien court: