Ce serait une première si un Africain ou un Arabe occupait le poste de directeur général de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). 25 ans après sa création, l’OMC, qui a été jusque-là gérée par les pays industrialisés, est en crise. La mission la plus difficile pour un directeur général sera donc de redonner vie à cette organisation qui a perdu son dynamisme. Quatre candidats se distinguent particulièrement, parce qu’ils viennent du continent africain et du Moyen-Orient. Des régions qui n’ont jamais été représentées à ce poste. Mais ils se distinguent également par leurs parcours riches et variés. Leurs compétences vont de l’économie du développement au secteur commercial, en passant par la diplomatie, les législations commerciales au sein de l’OMC ou dans le secteur privé. Les quatre candidats proposent des solutions différentes à la réforme de l’OMC.
Les quatre candidats se sont exprimés sur leurs visions et ambitions, s’ils étaient nommés au poste de directeur général.
La candidate du Nigeria, Ngozi Okonjo- Iweala, ex-numéro 2 de la Banque mondiale et ancienne ministre des Finances, met l’accent sur la nécessité de garantir la survie de l’OMC.
« Jadis, pour régler leurs différends commerciaux, les Etats partaient en guerre. Mais aujourd’hui, grâce aux règles négociées du commerce, l’OMC est un outil pour garantir la paix et la sécurité », dit-elle. Mais elle note que depuis sa création, l’organisation n’a pas réussi à conclure un nouveau cycle de libéralisation du commerce, et que la plupart des thèmes commerciaux faisant l’objet de négociations sont devenus obsolètes. Par exemple, le cycle de Doha (programme de Doha pour le développement) lancé en 2001, qui continue jusqu’à présent, devait s’achever en 2005. « Résultat : les thèmes des négociations au sein de l’OMC ne traitent pas de sujets d’actualité, tels la révolution numérique ou les changements climatiques », regrette-t-elle dans son commentaire publié sur le site Project Syndicate.
Son concurrent saoudien, Mohamed El-Tuwaijri, met, lui, l’accent sur les problèmes de gestion au sein de l’organisation. « l’Organisation manifeste aujourd’hui des lacunes dans sa gestion. J’étais au coeur du commerce international dans les domaines de la logistique, de l’assurance, de l’énergie et d’autres. Et cela fait trois ans que j’occupe le poste de ministre de l’Economie et de la Planification, j’ai participé à l’une des plus grandes réformes pour diversifier l’économie saoudienne, créer des emplois et soutenir le secteur privé, qui sont des objectifs en fait semblables à ceux de l’OMC », a-t-il expliqué lors d’une conférence de presse. Pour lui, la 12e Conférence ministérielle de l’OMC (reportée à 2021 en raison du Covid-19) est une occasion pour « repenser les règles » de l’OMC, à propos desquelles il a l’intention de proposer des idées et des scénarios différents s’il était nommé au poste de directeur.
A la différence du concurrent saoudien, qui veut changer les règles du jeu, Amina Mohamed, ministre du Commerce du Kenya jusqu’en 2018, compte réformer l’organisation dans le cadre des règles actuelles. Elle s’appuie sur ses compétences de diplomate et son expérience au sein de l’OMC, notamment en tant que présidente de la Conférence ministérielle de Nairobi en 2015, qui a connu un succès rare. Il s’agissait de parvenir, à travers des négociations ardues, à une décision unanime pour les 164 pays membres : supprimer toutes les subventions aux produits agricoles. Une décision qui était en faveur des paysans dans les pays en développement qui ont du mal à pénétrer sur les marchés internationaux en raison des subventions énormes octroyées à l’agriculture, notamment en Europe et aux Etats-Unis.
Crise existentielle
L’OMC a récemment subi deux coups durs. Le premier en décembre 2019, quand son organe d’appel a cessé de fonctionner. En effet, les Etats-Unis ont à maintes reprises bloqué toute nomination de juges aux postes vacants, ce qui a empêché l’organe de fonctionner. Ensuite, le directeur général brésilien, en poste depuis 2013, a annoncé en avril dernier sa démission, effective depuis août 2020. Avec la Conférence ministérielle qui aura lieu en 2021 et les nouveaux défis imposés par le Covid-19, la situation est donc difficile.
Hamid Mamdouh, le candidat égyptien, estime, lui, que « le commerce international est en crise, et cette crise a été aggravée par le Covid-19. Pour lui, la mondialisation fait face à deux défis : le protectionnisme et le nationalisme » (voir entretien page 5).
Par exemple, les Etats-Unis sous la présidence de Donald Trump tendent vers plus de protectionnisme. De plus, l’Administration américaine a choisi de régler ses différends commerciaux avec la Chine en recourant à des sanctions unilatérales, c’est-à-dire sans avoir recourir à l’OMC. Pour Mamdouh, les deux pays devraient soumettre leurs différends à l’organisation. Ce serait le meilleur moyen de la remettre sur pied.
Menaces au libre-échange
Le Covid-19 a fait subir au commerce mondial des changements radicaux. Par exemple, les chaînes de valeurs mondiales, selon lesquelles plusieurs pays s’engagent à produire collectivement un certain produit, se sont avérées nuisibles pour l’emploi dans les pays développés quand les industries sont délocalisées dans les pays du sud. Elles sont également créatrices d’inégalité en maintenant des niveaux de salaires bas dans les pays émergents. Suite à la pandémie, de nouveaux problèmes ont surgi. Il y a eu un problème d’approvisionnement au sein des chaînes de valeurs, quand certains pays ont cessé leurs exportations de denrées alimentaires et de produits médicaux. La question qui se pose est à présent : faut-il changer les règles ou bien avoir recours à la production locale à la place de l’importation ? Mamdouh est optimiste.
« La mondialisation ne va pas disparaître. La solution n’est pas de nationaliser les chaînes de valeurs, mais plutôt de diversifier les sources d’approvisionnement », fait-il remarquer.
Mamdouh est un « enfant du sérail ». Il a passé la plus grande partie de sa carrière dans les coulisses de l’OMC, à rédiger des règles de commerce acceptées par tous les pays membres et « à servir le commerce multilatéral, plutôt que mon pays », selon ses termes. Pour lui, l’OMC souffre d’un déséquilibre chronique au niveau de ses fonctions de base, à savoir le règlement des différends, les négociations et la surveillance de la transparence dans les délibérations. La première a pris le dessus, alors que les deux autres sont atrophiées. Mamdouh blâme les difficiles procédures de négociations. Il compte sur son expertise et sa maîtrise des règles de l’OMC pour remédier à ces déséquilibres. « J’apporte également ma perspective en tant que représentant d’un pays en développement » à une organisation fréquemment accusée de servir les intérêts des grandes puissances commerciales.
Certains candidats veulent changer les règles de l’OMC, d’autres veulent moderniser le répertoire des thèmes qui font l’objet de négociations. Tous ont jusqu’au 7 septembre pour faire entendre leurs voix à l’ensemble des membres. Ensuite, d’après le site de l’OMC, la troïka, composée du président du Conseil général, l’ambassadeur David Walker (Nouvelle-Zélande), du président de l’Organe de règlement des différends (l’ambassadeur Dacio Castillo, Honduras) et du président de l’Organe d’examen des politiques commerciales (l’ambassadeur Harald Aspelund, Islande), consultera alors tous les membres de l’OMC pour connaître leurs préférences et chercher à déterminer quel candidat est le mieux placé pour obtenir un soutien consensuel. Cette phase peut comporter plusieurs séries de consultations, durant lesquelles les pays membres s’efforceront de réduire le nombre de candidats. La troisième phase ne durera pas plus de deux mois.
Lien court: